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Lieu et situation

Sur la commune de Pont-Salomon[2] se sont installées progressivement, durant le XIXe siècle, différentes activités industrielles. Une première activité de papeterie évolue rapidement en usine de taillanderie, suivie de nombreuses installations de production de petite métallurgie. L’implantation profite de l’énergie hydraulique de la Semène, un affluent de la Loire.

Face à la concurrence internationale, le propriétaire actuel, originaire de la région stéphanoise, et spécialisé dans la fabrication d’articles de jardinage, souhaite, dans les années 1990, concentrer sa production sur d’autres sites en France. Il décide alors de cesser l’activité du site de Pont-Salomon qui devient, dès lors, un « lieu en suspens » (Barnay 2015). Néanmoins, pour garder en état les lieux, une petite activité est maintenue pendant une trentaine d’années[3] qui cesse définitivement en 2019[4].

Aujourd’hui, tout cet ensemble appartient à plusieurs propriétaires :

  • l’entreprise REVEX pour les bâtiments industriels,

  • la municipalité pour les équipements publics,

  • les bailleurs sociaux et des propriétaires privés pour les habitations.

Les enjeux

Deux grandes difficultés se présentent. Elles concernent d’une part l’unicité du site menacée par cette multitude de propriétaires et d’autre part l’absence d’attractivité du fait de sa situation géographique éloignée des grandes agglomérations. Il est important de signaler que l’on découvre, dans les zones économiques fortes, depuis quelques décennies, le potentiel original des sites industriels dans un processus de reconversion. Ce site est complexe, à lui tout seul, car constitué de plusieurs bâtiments, de nombreux espaces intermédiaires et d’ouvrages hydrauliques, le tout inséré dans un paysage et un contexte géographique remarquables.

Dans ce contexte se pose la question principale : quelle deuxième vie peut-on donner au site Alliance à Pont-Salomon, un patrimoine industriel unique en France?

Repères historiques

Le projet d’installation d’un site industriel fondé sur les idées fouriéristes au XIXe siècle a fait l’objet d’études poussées (Lioud 2005 ; Rojas 2018)[5]. Victor Considérant avait en effet fondé une colonie industrielle, « La Réunion », au Texas quelques années auparavant.

Dès la fin des années 1830, les métallurgistes du bassin industriel stéphanois cherchent à diversifier leurs activités. En 1838 certains, Alexis Massenet notamment, arrivent dans la vallée de la Semène afin de mettre en place de petites unités de production de faux et de faucilles, profitant de la force motrice de la rivière et de la qualité de l’eau. Des entrepreneurs, tels Jackson et Holtzer, le rejoignent rapidement. Ce mouvement prend une autre dimension avec le projet de Pierre-Frédéric Dorian en 1856. « Ce dernier répond à une logique industrielle qui a pour objectif principal la constitution d’une véritable communauté de travail » (Lioud 2005 : 78).

L’expansion est rapide et l’entreprise se diversifie par la production de matériel agricole (pelles, bêches, fourches…) et de fournitures militaires en 1867 (sabres et baïonnettes), en 1914 et en 1939, de radiateurs dans les années 1960, de sécateurs, de râteaux et de tenailles à partir des années 1960. Le paysage autour des sept sites de production se transforme progressivement en une véritable cité ouvrière ou « ville-usine », entièrement dévouée à ses fondateurs au XIXe siècle et en une usine patronale plus traditionnelle au XXe siècle avec la transformation en Société Anonyme en 1904.

De vastes bâtiments furent construits de 1857 à 1859 par l’architecte et ingénieur civil Auguste Leroux (Lioud 2005 : 99-102) : ateliers de fabrication et de réparation, forges, bureaux et logement patronal. Certains bâtiments ont été reconstruits (trempe en 1908, forge en 1909, atelier de finissage en 1913) ou remaniés (atelier de planage en 1923, logement en 1927). Le nouveau logement patronal surplombant l’usine est construit vers 1912 (Henry 1999).

Les aménagements hydrauliques initiaux sont ceux d’une papeterie transformée en logements. L’énergie nécessaire est produite par des machines à vapeur et trois turbines en 1859, par une usine à gaz en 1860 et une nouvelle machine à vapeur en 1907. Trois roues hydrauliques verticales actionnent les martinets de platinage. L’électricité arrive vers 1902 dans la vallée. Les roues hydrauliques verticales des usines sont secondées par des moteurs électriques à partir des années 1920 (Henry 1999). Les sept usines ont toutes cessé de fonctionner : La Méane en 1947, Chabanne vers 1965, Le Pont en 1980, Le Vieux Moulin au début des années 1980, Le Foultier en 1983, l’Alliance et La Fraque en 2019.

La patrimonialisation

En 2003, ce site reçoit une reconnaissance patrimoniale grâce à son inscription à l’inventaire des Monuments Historiques[6]. Le site industriel comprend ateliers, bureaux et logements, ainsi que les aménagements et équipements intérieurs destinés à la fabrication. De plus, on y trouve des bâtiments du village d’origine (église, école communale, notamment).

Outre leur aspect mémoriel, certains édifices ont une très grande qualité constructive et architecturale, soit à cause des charpentes, soit à cause de la qualité des murs et de leur modénature, ou, comme dans les caves, de la qualité du dispositif en plan. Dans certains édifices, une partie du dispositif de production demeure en place, par exemple presses, martinets, systèmes de transmission par courroie, canalisations d’amenée d’eau.

Bonnet 2017

Les bâtiments du site présentent des états de conservation différents, du délabrement au bon état général. Des actions conservatoires sont donc inévitables pour valoriser le site.

Figure 1

Pont-Salomon, site Alliance, vue d’ensemble

Pont-Salomon, site Alliance, vue d’ensemble
Photo J. Garleff 2020

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Figure 2

Pont-Salomon, site Alliance, rue intérieure

Pont-Salomon, site Alliance, rue intérieure
Photo J. Garleff 2020

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Figure 3

Pont-Salomon, site Alliance, intérieur, espace de contrôle

Pont-Salomon, site Alliance, intérieur, espace de contrôle
Photo J. Garleff 2018

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La friche : matière à projet, mais quel projet ?

Une friche industrielle aujourd’hui « en suspens », même reconnue pour ses valeurs patrimoniales, peut être difficilement sauvée dans son intégralité sans un plan réaliste de réutilisation et sans la volonté des propriétaires.

En 2017, Frédéric Bonnet[7] propose, après observation attentive du site, en présence de Michel Reymond[8], l’établissement d’un « plan guide » qui précèderait toute intervention future. Outre des idées de valorisation touristique (gîtes), verte (éco-hameau), gastronomique et culturelle (art contemporain, expositions), le site se prête particulièrement bien à l’accueil de collections de machines-outils et de produits manufacturés (faux, faucilles…), actuellement stockées sur d’autres sites[9]. Cette présentation muséale intégrerait certainement la visite des installations existantes.

C’est une approche « archéologique » très sobre, intéressante en soi, qui respecte la qualité spatiale et l’esprit des lieux. Il serait préférable de ne pas envisager une « mise au net » exhaustive qui, outre le fait qu’elle ne rencontre pas les capacités budgétaires, altérerait vraisemblablement la perception de ce patrimoine industriel (Bonnet 2017).

Cette étude propose que les conditions de production réelles ne soient pas restituées par une scénographie « léchée », comme on peut parfois en voir dans les réhabilitations d’usines. Cette mise à jour d’une partie du site « brut » pose une série de questions techniques (protections, mais aussi assurance donnée sur la stabilité de certains ouvrages de charpente ou de maçonnerie en l’état) et de sécurité. Dans la mesure où le site reçoit du public, il faudrait assurer, en sus de la préservation des ouvrages, la sécurité des visiteurs, comme l’accessibilité des personnes à mobilité réduite.

La pertinence de la conservation ou du degré de réhabilitation de tel ou tel élément dépend d’une vision d’ensemble et des hypothèses de mise en place dans le temps. Ainsi, M. Bonnet propose que ce « plan guide » contienne des éléments de réflexion utiles dans le dialogue avec les services chargés de la conservation du Patrimoine (conservateur régional du Patrimoine).

Dans cette perspective, il serait bon de rassembler dès que possible tous les documents disponibles témoignant de l’usage des sites (lieu de stockage de produits, aires de manipulation, site de production utilisant ces produits, etc.) car une bonne connaissance historique des conditions d’exploitation aide à discriminer les sondages, et donc à réduire les coûts d’investigation et d’analyse.

N’oublions pas que le site est complexe d’un point de vue topographique. Cela fait sa qualité paysagère et l’essentiel de son attractivité. Cependant, ces caractéristiques supposent des solutions d’aménagement innovantes: préservation d’une partie du patrimoine arboré, maintien de voies de gabarit limité (simple sens en boucle) pour éviter les terrassements à la fois onéreux et invasifs, typologies tenant compte de la pente, etc. (Bonnet 2017)

Ces propositions précèdent directement les actions projetées par l’association « ALLIANCE ».

Le projet « ALLIANCE »

Depuis début 2020, une nouvelle association est constituée pour initier et coordonner des activités de reconversion/conservation/transformation du site Alliance à Pont-Salomon[10]. Elle porte le même nom que le site industriel. Son acronyme exprime son programme : « Association Locale Liant Industrie et Arts pour de Nouvelles Créations et Expériences ». Conscient de la nécessité de recenser, étudier, sensibiliser, transmettre et mobiliser l’héritage matériel et immatériel d’un site qui est peut-être le dernier témoin complet d’une aventure industrielle et sociale unique en France, l’association ALLIANCE a pour but :

  • de sauvegarder le caractère patrimonial exceptionnel du site,

  • d’accompagner une activité productive diversifiée in situ dans le cadre des transitions économiques, sociétales et environnementales,

  • de valoriser par des actions culturelles, pédagogiques et évènementielles la spécificité du site et de son inscription dans le grand territoire[11].

Les actions de coordination de l’association ont pour but le développement de l’activité du site par :

  • la production d’une connaissance pluridisciplinaire et la mobilisation d’outils pour la produire,

  • l’organisation d’expositions d’art, de design et de métiers d’art à rayonnement régional, national et international,

  • l’organisation et l’animation de stages, d’ateliers, de sessions de recherche et de formation, de conférences,

  • la mise en place d’activités pédagogiques à destination de tous les publics,

  • l’accueil de résidences d’artistes, de designers, d’architectes, d’urbanistes, de paysagistes, notamment,

  • le développement de l’activité de gîte et de restauration (évènementielle et/ou pérenne), pour tous les publics,

  • l’organisation de chantiers de restauration,

  • l’organisation d’actions de sensibilisation et de manifestations culturelles,

  • La gestion et l’acquisition des biens mobiliers et immobiliers nécessaires,

  • la mise en réseau des connaissances, compétences, ressources auprès de sites et d’équipes similaires en France, en Europe et dans le monde.

La valorisation de ce site industriel exceptionnel par l’intermédiaire des actions scientifiques, artistiques et événementielles portées par l’association ALLIANCE pourrait évoluer à moyen terme pour donner naissance à d’autres activités et supports institutionnels.