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Esthétiques et imaginaires de la nuit à CubaFaire le pont entre l’ethnographie audiovisuelle et les études cinématographiques[Record]

  • Eleonora Diamanti and
  • Alexandrine Boudreault-Fournier

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  • Eleonora Diamanti
    Université John Cabot

  • Alexandrine Boudreault-Fournier
    Université de Victoria

1961 fut une année de troubles à Cuba avec la tentative d’invasion militaire de la Baie des Cochons. Ce fut aussi le premier cas de censure d’un film cubain par les autorités locales, ce qui provoqua l’un des premiers schismes parmi les artistes et intellectuels de l’époque après la Révolution de 1959. Bien que n’ayant pas un contenu politique, le film qui a provoqué de grandes tensions dans le cercle des intellectuels et au gouvernement était un court métrage expérimental sur la nuit. Intitulé PM , le film réalisé par Alberto Cabrera Infante et Orlando Jiménez Leal dépeint la vie nocturne de La Havane et a été diffusé dans l’émission de Canal 2 : Lunes en TV . Les réalisateurs du film avaient été mandatés par la chaîne de télévision pour enregistrer les efforts héroïques, nationalistes et révolutionnaires mis en place par les Cubains pour repousser les envahisseurs de la Baie des Cochons (Vincenot 2009). Mais plutôt que de se concentrer sur ce contexte politique explosif, les cinéastes ont été frappés par l’atmosphère effervescente et hédoniste de la vie nocturne de La Havane, et ont choisi en revanche de créer une ode poétique à la nuit. Dans le célèbre magazine Bohemia, le film a reçu les éloges du directeur de la photographie Nestor Almendros, encore peu connu à l’époque, celui-ci déclarant : « PM est extrêmement réaliste et en même temps profondément poétique [...] c’est un petit film [.. .] qui capture enfin toute l’atmosphère de la vie nocturne » (dans Vincenot 2009).PM est une ode à el cine espontaneo , le cinéma gratuit, caractérisé par un esprit DIY, des caméras portables, sans dialogue, un mélange de musique et d’enregistrements in situ, le cinéaste est observateur du quotidien et la caméra moyen d’expression (voir aussi Masin 2013). Le gouvernement révolutionnaire cubain et les intellectuels de l’époque considéraient ce regard impertinent et indépendant sur la vie nocturne de La Havane comme une menace pour les principes héroïques révolutionnaires, ce qui lui valu d’être censuré quelques jours après sa sortie. La décision a été prise par l’ICAIC, l’Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos, qui publia le communiqué officiel (AA.VV. 1961). Certains de ses membres étaient cependant en désaccord avec la décision, comme le célèbre réalisateur Tomás Gutiérrez Alea, co-fondateur de l’ICAIC, qui démissionna de l’institut pour protester contre la censure officielle (2009). L’une des raisons invoquées par le comité pour interdire le film était qu’il fournissait « une représentation partielle de la vie nocturne à La Havane, appauvrie, défigurée et déformée, plutôt que de donner au spectateur une vision correcte de l’existence du peuple cubain à ce stade de la Révolution ». Ce portrait imaginaire d’une vie nocturne havanaise sensuelle, spontanée et indomptable ne devait pas être diffusé, selon les autorités. Des années plus tard, PM reste un film très connu dans la population Cubaine malgré, et surtout, à cause de son destin et du débat public qu’il a généré. En tant que premier cas de censure d’un film cubain suite à la Révolution, l’affaire PM a également donné un vitalité à une littérature académique sur le documentaire cubain, le cinéma expérimental et la politique (Luis 1987; Masin 2013; Vincenot 2009). Avec une approche expérimentale en temps réel, le film accompagne le spectateur dans un voyage sensoriel dans la noche cubana. Des gros plans extrêmes aux plans moyens, PM se base sur l’atmosphère affective des rencontres sensuelles intimes. La caméra suit les noctambules qui dansent, jouent de la rumba, consomment de l’alcool et de la nourriture. Seules quelques scènes extérieures situent le spectateur devant des bars bien connus, …

Appendices