Présentation[Record]

  • Isaac Bazié

Le présent dossier s’articule autour d’une problématique peu étudiée dans le champ des littératures francophones : les enjeux critiques et les modalités figuratives du corps. La francophonie dont il est question dans les réflexions en présence est celle que l’on situe généralement en dehors de l’espace occidental, tout en y incluant le Québec. Souvent perçues comme de nouvelles littératures ou des littératures émergentes, les littératures francophones jouissent d’une considération critique et institutionnelle croissante, dont l’historiographie permet de voir qu’elles sont le résultat de plusieurs tentatives successives de délimitation et de détutélarisation par rapport notamment au champ littéraire français. Dans cet élan de délimitation et de spécification de productions littéraires en langue française, issues d’autres contextes géographiques, culturels et politiques, contextes marqués le plus souvent par un multilinguisme notoire, on observe que plusieurs paradigmes ont été convoqués, dont celui de l’identité et de l’altérité. Cette approche identitaire des textes francophones a par exemple mis de l’avant le paradigme racial dans la forte orientation donnée par le mouvement de la négritude depuis les années 1940 jusqu’aux années 1970 du siècle dernier. C’est la présence avérée des liens — évidents dans le cas de la négritude — entre écritures francophones et corps d’une part, et leurs implications critiques et théoriques d’autre part, qui justifie les réflexions réunies dans le présent dossier. Dans d’autres cadres disciplinaires et artistiques, le corps a fait l’objet d’études approfondies, ce qui n’est pas le cas de la recherche sur les littératures francophones. Sans vouloir faire l’inventaire des différentes approches de cet objet complexe — il faudra pour cela se référer entre autres aux contributions de ce numéro — il suffit de penser aux travaux sur le corps concentrationnaire par exemple, dans les textes portant sur l’holocauste, pour se rendre compte de la complexité, mais aussi des inépuisables ressources de cet objet d’étude. Les événements tragiques qui ont marqué le vingtième siècle ont suscité un intérêt très marqué pour les formes d’appréhension de la violence et du chaos. Ces regards divers portés sur les ruines et décombres d’un siècle sanglant et tourmenté voient dans la violence un lieu de réflexion important. Cette violence qui, par moments, se décline dans un pluriel nécessaire à une appréhension différenciée des phénomènes en présence, est l’une des motivations lointaines des travaux qui ont abouti à la constitution du présent volume sur le corps. En effet, les génocides et guerres de toutes sortes qui apparaissent de manière récurrente dans les textes de fiction et les critiques, s’attardent au corps pour en faire un lieu d’articulation de diverses convoitises. Si des théoriciens comme Michel Foucault et José Gil ont pensé le corps (dans ses liens avec le pouvoir), parallèlement à des travaux qui s’attachent à le décrypter, notamment dans le domaine littéraire, il faut noter que le récent débat sur les littératures francophones, tout en s’intéressant aux événements tragiques mentionnés ci-dessus, ignore quasiment les enjeux liés à la problématique dont il est ici question. Il faut souligner par ailleurs une inadéquation entre l’écriture du corps et la réflexion critique consacrée à celui-ci dans les oeuvres francophones. Cette inadéquation consiste dans le fait que les représentations du corps ne sont guère un tabou dans ces littératures, alors qu’une réflexion systématique sur le sujet reste à mener. Un survol même rapide de ces représentations du corps permet de voir qu’il apparaît comme le lieu par excellence de l’inscription d’expériences complexes — esclavage, colonisation, métissage, tensions politiques et sociales, etc. — et devient ainsi un lieu idéal de figuration de divers conflits. C’est cette lacune que visent à combler les articles de ce numéro. Dans leurs orientations, singulièrement, …

Appendices