PrésentationLe minuscule, trait de civilisation médiatique[Record]

  • Marie-Ève Thérenty and
  • Guillaume Pinson

Dans ce numéro d’Études françaises, les collaborateurs réfléchissent aux petits genres journalistiques sur une période historique qui est celle du premier long siècle du journal, des années 1830 au lendemain de la Première Guerre mondiale. Avant de présenter les différentes contributions qu’on lira dans les pages suivantes, nous aimerions indiquer dans quel cadre général s’inscrit ce travail et rappeler les lignes directrices qui l’ont guidé. Par « microforme », nous entendons ces bribes de textes qui ont trouvé à s’épanouir dans l’espace du journal, petits textes parfois difficilement classables saupoudrés dans un espace dont l’esthétique même allait se révéler être celle, éminemment moderne, de la mosaïque. Sommes-nous là dans les régions maintenant bien balisées des minores ? S’il s’agit de décrire formellement et poétiquement le corpus, sans aucun doute : brièveté, fugacité de l’imaginaire, esthétique du détail, fréquent anonymat des textes, tout cela contribue à conférer un caractère anodin à l’ensemble. Mais d’un autre point de vue, nous sommes au coeur d’un trait essentiel de la modernité, dont les origines précèdent largement la période que balise ce collectif : en effet, à partir du dernier tiers du xviiie siècle environ, s’impose progressivement un imaginaire où le fragment est ce qui donne le mieux accès à une totalité en soi insaisissable, et ce qui rend aussi possible la conception moderne de la temporalité. Bien des manifestations en témoignent qui, on ne l’a d’ailleurs peut-être pas encore suffisamment répété, sont diversement associées aux formes périodiques. Ainsi du romantisme d’Iéna qui met de l’avant, dans la revue L’Athenäum (1798-1800), la poésie du fragment ; dans un autre registre et en France, la fameuse « poétique des ruines » du Salon de 1767 de Diderot, paru dans la Correspondance littéraire de Grimm, et où des fragments du passé échoués dans le présent invitent à la rêverie ; ou encore, à la fin du siècle, la vaste entreprise de Louis-Sébastien Mercier éclatée en plus de 1000 brefs chapitres, Le tableau de Paris (1781-1788), qui cherchent à recomposer l’image d’une capitale aux signes désormais dispersés. Réfléchir au minuscule, c’est donc éprouver la fragmentation et le morcellement, l’incomplétude et le cumulatif, comme des traits révélateurs de la modernité. C’est aussi voir l’avènement d’un nouveau temps social, un temps désormais rapide, linéaire, celui de l’événement et du choc imprévu, obligeant le sujet à se situer d’une manière inédite face au monde. Or tous ces traits de civilisation nous paraissent intimement liés à l’avènement d’une nouvelle culture médiatique qui s’impose progressivement, encore une fois, dès le xviiie siècle, mais de façon accélérée et sans commune mesure à partir de la monarchie de Juillet en France. Les chercheurs en histoire littéraire et culturelle de la presse sont actuellement en train de mieux comprendre cette rupture médiatique et d’en calculer les énormes conséquences. L’avènement d’une littérature moderne fondée sur la représentation et la fiction, les nouvelles pratiques de l’écrivain — et tout particulièrement l’accélération des rythmes d’écriture —, l’attention réaliste, l’apparition de nouvelles formes poétiques comme le poème en prose, voilà certaines conséquences littéraires que les dix-neuviémistes peuvent distinguer parmi les bouleversements de la civilisation médiatique, et qui marquent désormais les territoires de recherche de la nouvelle histoire littéraire. Ce numéro d’Études françaises entend se situer dans le prolongement de ces riches domaines de recherche. Or, il y a sans aucun doute dans la perspective ici adoptée, celle du trait furtif et du morcellement tels qu’ils s’élaborent naturellement dans l’objet périodique, un angle d’analyse qu’il reste encore à défricher. Traditionnellement, la recherche a accordé beaucoup d’importance au fait divers, genre …

Appendices