Abstracts
Résumé
Suivant l’image de la révolution copernicienne, le présent article traite de l’ironie dans les poèmes garnéliens. Il s’agira d’abord d’évaluer le « rêve poétique » de Garneau pour comprendre l’impact de cette révolution. Selon l’allégorie formulée dans « Le jeu », la poésie constitue un espace de liberté où l’imagination ordonne et invente le monde à sa guise. On sent poindre le sentiment d’une grâce qu’on retrouvera aussi dans les « Esquisses en plein air ». On ne peut toutefois pas s’en tenir à cette seule lecture. Le principe même de l’allégorie met ici en lumière la proximité foncière de l’ironie et de la poésie, chacune faisant place à une « parole oblique », pour reprendre l’expression de Philippe Hamon. Inscrite, pourrait-on dire, dans le code génétique de la poésie garnélienne, l’ironie est à la source de la révolution copernicienne que la deuxième partie de l’article analysera. En effet, le poème « Autrefois » relate une rupture sur le plan de la conscience poétique ; rupture illustrée notamment par l’usage discordant d’un vocabulaire scientifique. L’ironie intervient ainsi à la faveur d’un retournement critique qui dissipe les illusions provoquées par les premiers enthousiasmes poétiques, dont celle de la centralité du sujet dans le monde. Destinée à devenir un exercice de subtilité, la poésie en mode ironique refuse les excès du lyrisme, qu’ils soient euphoriques ou désespérés, mais cherche l’« équilibre impondérable » qui rallie les contraires : la gravité, le rire ; l’identité, l’altérité ; la poésie, la prose ; l’intelligible, le sensible ; l’apprentissage, le désapprentissage.
Abstract
This article deals with irony in Saint-Denys Garneau’s poems. The allegory found in “Le jeu” suggests that poetry is a place of freedom where imagination has free rein to wilfully structure and invent the world at its whim. A certain feeling of grace, that will also appear in “Esquisses en plein air,” emerges from the poem. This reading is, however, far too limited. The very principle of allegory stresses that irony and poetry are fundamentally similar: both yield to a “parole oblique” (Philippe Hamon). Irony, a natural trait of Garneau’s poetry, is at the heart of the Copernican revolution that the second part of the article analyzes. In the poem “Autrefois,” Garneau’s poetic consciousness reaches a breaking point, exemplified in the jarring use of a scientific lexicon. Irony thus participates in a critical reversal that debunks the illusions of the young writer’s poetic enthusiasm, including the subject’s centrality in the world. Inevitably subtle, ironic poetry refuses lyrical excess, be it ecstatic or desperate in tone, and seeks the “équilibre impondérable” that unites opposites: seriousness and laughter; identity and otherness; poetry and prose; the intelligible and the sensitive realm; learning and unlearning.