Abstracts
Résumé
Et Laurent Bordelon (1653-1730) et le protagoniste de son Histoire des imaginations extravagantes de Monsieur Oufle (1710) occupent chacun une position d’excentrique au sein de notre histoire littéraire. Cette double marginalité nous invite à revisiter l’articulation entre littérature et barbarie. Le personnage donne l’exemple d’une barbarie à la fois érudite et bestiale, au terme de laquelle la littérature peut faire de l’homme un loup-garou pour l’homme. L’auteur dénonce cette barbarie en s’exilant des conventions littéraires, en se faisant lui-même un barbare incapable de parler la langue commune du récit. L’analyse détaillée d’un épisode de cet antiroman pose non seulement la question de savoir comment on peut devenir loup-garou, alors même que nous savons que les loups-garous n’existent pas. Elle nous pousse surtout à nous demander ce que c’est qu’un « esprit », aussi bien à l’échelle de l’individu qu’à celle du public. On en conclut que l’esprit relève non d’une psychologie, mais d’une médiologie : l’antiroman de Monsieur Oufle nous aide à voir que notre esprit consiste en une circulation médiatique, et que la littérature, telle qu’elle a pris sa forme moderne un siècle après la parution de ce texte, n’a fait qu’approfondir le besoin obstiné qu’éprouvait Bordelon de résister à cette circulation en l’évidant de toute crédibilité.
Abstract
Both Laurent Bordelon (1653-1730) and the main character of his History of the Ridiculous Extravagancies of Monsieur Oufle (1710) occupy an eccentric position within our literary history. This double marginality invites us to revisit the articulation between literature and barbarism. The protagonist illustrates an erudite and yet bestial barbarity, whereby literature can turn each of us into a werewolf to our fellow-human. The author denounces this barbarity by exiling himself from literary conventions, by practicing countless narrative barbarisms as if he were incapable of speaking the proper language of the novel. Through a detailed analysis of an episode from this anti-novel, this article attempts better to understand what is an esprit (spirit, mind, ghost, wit). It concludes that both our individual and our public minds are made of “mediatic spirits.” The anti-novel of Monsieur Oufle helps us envision more clearly the mediatic circulation which constitutes our mind. It also helps us understand how literature, as it has emerged in its modern form one century after the publication of this text, only deepened Bordelon’s uncanny attempt to eviscerate it from any form of credibility.