Abstracts
Résumé
Au lieu de chercher à contourner la proscription qui pèse sur les représentations littéraires de la Shoah, Les Bienveillantes de Jonathan Littell se précipite à la rencontre du scandale médiatique en prenant le parti de la transgression. Or cette transgression n’est pas une simple « pornographie de l’horreur », puisqu’elle se donne également pour objet d’explorer les limites de la notion de littérature, qui revêt une importance primordiale pour l’auteur et pour son roman. L’« espace littéraire » devient, dans Les Bienveillantes, singulièrement apte à accueillir une âpre confrontation entre esthétique et historiographie, notamment en musicalisant la structure de la bureaucratie nazie, qui devient ainsi l’un des moteurs formalistes du récit lui-même. Cette contamination du réel par le littéraire donne également lieu à une recherche de la vérité qui exalte l’invraisemblance pour mieux dire les limites des disciplines du savoir (notamment l’historiographie) au nom d’une rupture de l’histoire qui serait la vérité même de la Shoah. Ce « dis-cours », sensible tout au long du roman, se place sous l’égide d’auteurs tels que Georges Bataille et Louis-Ferdinand Céline, mais c’est surtout Maurice Blanchot qui semble avoir le plus fortement influencé Les Bienveillantes. En effet, non seulement Blanchot est-il cité dans le roman, mais on y retrouve également de nombreuses traces de la pensée blanchotienne du « mourir », telle qu’elle s’expose dans Le pas au-delà. Les gestes transgressifs et délibérément sadiens qui traversent le roman d’un bout à l’autre se révèlent ici être indissociables d’une conception dont Blanchot est le garant littéraire : l’écriture comme proximité, voire expérience de la mort de l’autre, ainsi que de la mort comme Autre. Ainsi, la transgression opérée par Les Bienveillantes se révèle être à l’origine de la force proprement éthique du roman.
Abstract
Instead of circumventing the ban that weighs down on literary representations of the Shoah, Jonathan Littell’s The Kindly Ones charges headfirst into controversy by way of transgression. Yet Littell’s transgressive aims are not to be mistaken for “pornography of horror,” as they also seek to explore the very limits of a concept that is of utmost importance to the author and his novel: literature. Indeed, in The Kindly Ones, the “space of literature” becomes the locus of a fierce debate between aesthetics and historiography. For example, the novel expressly ‘musicalizes’ Nazism’s bureaucratic structures, turning them into formalist narrative devices that operate an aesthetic contamination of reality. A quest for truth nevertheless arises in the process, yet one that is paradoxically grounded in unlikelihood so as to better delineate the borders of knowledge-based fields such as historiography. Indeed, the novel suggests that the Shoah, which embodies a point of rupture in History, calls for a kind of writing whose quest for truth requires a break with historiography. This “dis-course,” palpable all throughout the novel, is indebted to writers such as Georges Bataille and Louis-Ferdinand Céline, but it is Maurice Blanchot who seems casts the longest shadow over The Kindly Ones. Beyond the fact that his name is repeatedly quoted in the novel, Littell’s writing also bears the mark of Blanchot’s notion of “mourir” (dying), especially as formulated in The Step Not Beyond. The deliberately transgressive and Sadian gestures that define The Kindly Ones turn out to be inseparable from a conception of whom Blanchot is the literary godfather: writing as nearness to, even experience of, the death of the other, as well as death as Otherness. Thus, if The Kindy Ones seeks to transgress, this quest reveals itself to lie at the very heart of the novel’s ethical impact.