Les dessous de la littératureQuand Georges-André Vachon pousse Ahmadou Kourouma à récrire Les soleils des indépendances[Record]

  • Florence Davaille

Il est des événements importants dans la vie d’une revue : ceux notamment qui en consacrent la naissance et font reconnaître son acuité de vue dans le domaine culturel. En 1967, Georges-André Vachon est le directeur de la revue Études françaises, créée par René de Chantal en 1965, lui-même directeur du Département d’études françaises de l’Université de Montréal. Les Presses de l’Université de Montréal (PUM) — qui se renouvellent en 1962-1963 à partir d’une première maison d’édition publiant en français les ouvrages des scientifiques de l’université — se sont ouvertes à la littérature. Le prix de la Francité, aussi nommé prix de la revue Études françaises, que Vachon crée en 1967, constituera une façon d’étendre les domaines de publication des Presses. Vachon retient dans ce contexte un premier livre à proposer au jury : Les soleils des indépendances de l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma, qui est publié pour la première fois aux PUM en 1968. Le prix et le choix de Kourouma constituent une façon nouvelle d’interpréter les champs d’intérêt de la revue. Créée pour être un lien entre réflexion critique québécoise (on dit alors « canadienne-française ») et française, sans oublier sa proximité avec les États-Unis, la revue souligne à travers le prix de la Francité sa participation à la reconnaissance d’un corpus « francophone » mondial, dont le Québec peut se faire particulièrement l’écho. L’histoire de la publication du roman de Kourouma est aujourd’hui connue. Refusé par plusieurs éditeurs français, le roman est envoyé par l’auteur à Georges-André Vachon, quand l’annonce de la création du prix de la Francité parvient jusqu’à Kourouma dans un journal d’Alger. On sait aussi que le roman a été profondément remanié, dans sa troisième partie notamment, sous l’impulsion de Georges-André Vachon qui reçoit Ahmadou Kourouma pendant trois semaines en 1967 pour effectuer ces remaniements avant une candidature pour le prix et une publication aux PUM. Cette histoire continue à susciter l’intérêt, notamment en critique génétique, cette discipline qui étudie les manuscrits d’écrivains. La génétique littéraire s’est en effet intéressée aux manuscrits du roman de Kourouma, notamment ceux qui sont conservés aux Archives de l’Université de Montréal. L’ensemble des avant-textes connus de ce roman est à présent réuni pour comprendre l’aventure exceptionnelle d’un roman africain parvenu jusqu’au Québec. Ils permettent de mesurer la part de l’intervention de l’éditeur dans la publication de ce roman, d’interroger les raisons de cette intervention, et plus globalement d’envisager comment les questions de réception influencent la réécriture d’un tel texte. Pour comprendre la logique qui a pu présider aux réécritures du roman sous l’impulsion de Georges-André Vachon, il est bon tout d’abord de rappeler le contexte culturel dans lequel se trouvent la revue et les PUM à la fin des années 1960. L’Université de Montréal a vécu la restructuration de l’enseignement supérieur qui s’est opérée dans la mouvance de la Révolution tranquille : ancienne université confessionnelle dirigée par les Jésuites, elle connaît une laïcisation et la reconstruction de ses programmes en reprenant la structure des diplômes français. Les PUM se sont restructurées depuis 1962-1963, à partir d’une maison d’édition plus confidentielle datant de 1955, dédiée à la publication de travaux universitaires de scientifiques tel le professeur Demers. Au début des années 1960, elles cherchent à se développer en tant que maison d’édition subventionnée et concurrentielle par rapport aux maisons d’édition privées. La revue Études françaises, dans ce contexte, apparaît comme une façon de faire reconnaître sur le plan éditorial le travail d’un département, dans la situation d’effervescence des années 1960 où la littérature porte une partie de la réflexion sur l’identité culturelle québécoise. La ligne éditoriale de …

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