Présentation. Mémoires, histoires et vérités dans la littérature française contemporaine[Record]

  • Eric Chevrette and
  • Pascal Riendeau

Depuis une trentaine d’années, l’intérêt pour la frontière séparant la littérature et l’histoire est indéniable. Cet objet complexe a été abordé de part et d’autre de la limite disciplinaire, tantôt à partir des humanités, tantôt à partir de la littérature. Certaines publications témoignent encore plus directement de cette porosité de la frontière entre littérature et histoire en faisant intervenir des spécialistes issus des deux disciplines. La question demeure néanmoins ouverte dans la mesure où il s’agit d’un problème insoluble. Si « l’imagination a une capacité de déchiffrement de l’histoire », une telle lecture du passé doit affronter des écueils éthiques et esthétiques dans la saisie et l’interprétation auxquelles elle procède, soulignant la difficulté inhérente à l’appariement du véridique et du vraisemblable. Les démarches de narrativisation faisant très souvent appel à la mémoire (exprimée de première main ou prise à distance), le problème éthique s’en trouve complexifié d’autant que la mise en récit soulève également la question de la fidélité au réel (ou, au contraire, son éloignement). Les articles que nous avons réunis abordent la mémoire selon deux conceptions distinctes et complémentaires : d’une part sous l’angle de la capacité (comme dans l’expression « avoir mémoire de ») ; d’autre part sous l’angle du processus (comme dans l’expression « faire mémoire de »). Dans les deux cas, la dimension narrative occupe un espace central dans la transmission des expériences (entendu que, de l’autre option, le silence, nous ne pouvons rien dire). En découlent les questions liées à ces « deux grandes classes de discours narratifs [que sont] le récit de fiction et l’historiographie », dont les problèmes semblent de moins en moins spécifiques à mesure qu’augmente la porosité de la frontière disciplinaire, notamment depuis la parution de Temps et récit. En outre, la pluralité des mémoires se retrouve également dans la variété de ses vecteurs, de ses objets et de ses archives, de ses sujets et de ses témoignages. D’où la complexité plurielle de l’histoire – dans son écriture comme dans son saisissement événementiel, ce que la langue allemande distingue à l’aide des termes Geschichte et Historie, et la langue anglaise avec history et story. Car si l’« Histoire [comme history] est un spectacle », c’est une fois le rideau tombé que l’histoire (comme story) s’écrit en se montrant critique à la face même des ambitions qui l’habitent. Pluralité de récits, certes, mais aussi confrontation de l’historiographie par la littérature, autant dans la fonction que dans les formes classiquement associées à la première que la seconde n’hésite pas à adopter. Enfin, comment (et pourquoi) parler des vérités ? Du point de vue discursif, l’on n’a plus à rappeler que la parole ne coïncide ni avec la pensée ni avec l’expérience (intérieure autant qu’extérieure) qu’elle cherche à décrire. C’est ce qui rend aussi fondamental ce que Catherine Coquio désigne comme le « problème éthique de la vérité » : « Division de la vérité, obsession de la vérité : deux faces d’un même mal. » En l’absence d’absolu, le relativisme et ses doutes assiègent la transmission de l’expérience, ce qui place la vérité dans l’ordre du souhait, d’un horizon inatteignable. Nous faisons nôtre la conception selon laquelle « la littérature contemporaine s’établit dans la conscience aiguë que le passé n’est jamais donné mais recomposé, reconfiguré à distance ». Les oeuvres se constituent alors comme une action affrontant les problèmes éthiques qui se posent devant elles – par exemple ceux relatifs à la fidélité de la mémoire ou à la saisie d’une expérience vécue par un autre que soi. Les réseaux des possibles explorés par la littérature reposent …

Appendices