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Bryan Hood contribue depuis plus de 30 ans à l’archéologie des peuples nordiques. Il a travaillé non seulement au Labrador, mais également sur la Terre de Baffin, au Groenland, dans le nord de la Norvège et en Russie. Il a fait ses premiers pas au Labrador dans le cadre de travaux dirigés par l’archéologue William Fitzhugh qui s’est d’ailleurs occupé de l’édition finale de cette monographie. Bryan Hood enseigne l’archéologie à l’Université de Tromsø en Norvège depuis 1996. C’est d’ailleurs en 1996 que j’ai eu le plaisir de le connaître car il avait accepté de diriger une des équipes devant contribuer à l’étude d’impact archéologique que l’on m’avait demandé de coordonner aux environs de Voisey’s Bay, à quelque 15 km au sud-ouest de Nain, la région qui fait justement l’objet de cette monographie (cf. Hood et Baikie 1998). Déjà à cette époque, il avait été choisi en raison de sa connaissance approfondie de l’archéologie de cette région qu’il avait déjà étudiée dans le cadre de ses études de maîtrise (Trent University) et de doctorat (University of Massachusetts, Amherst).

Cette monographie porte principalement sur les sites archéologiques de l’île Nukasusutok qui occupent huit des 10 chapitres descriptifs alors que les deux autres portent sur des travaux d’envergure plus modeste réalisés aux environs de Webb Bay/Port Manvers Run, toujours aux environs de Nain. En fait, une grande attention est accordée au site Nukasusutok-5 (cinq chapitres) dont l’occupation remonte à l’Archaïque maritime. Mais Hood ne s’arrête pas là et s’intéresse également aux Paléo-esquimaux de l’Arctique et plus particulièrement aux Pré-dorsétiens et Dorsétiens qui ont également fréquenté le Labrador septentrional. Il propose aussi un aperçu de l’occupation inuit de la région (chapitre 11) en se basant sur des données ethno-historiques et archéologiques afin de saisir et dépeindre le mode de vie des chasseurs inuit qui ont occupé l’île Nukasusutok au 18e siècle. Mais ce qui l’occupe par-dessus tout, c’est de définir les limites ethniques et territoriales au cours des épisodes préhistoriques les plus anciens dont la synthèse est présentée au chapitre final.

Point forts

Ce qui représente l’une des plus grandes qualités des recherches qui font l’objet de cette monographie est le souci de saisir l’espace à toutes les échelles et dans ses emboîtements successifs, depuis l’étude du microcosme correspondant à l’intérieur des habitations jusqu'à la synthèse régionale elle-même replacée dans un contexte plus vaste, c’est-à-dire l’ensemble de la côte du Labrador.

Cet impressionnant ouvrage traduit un équilibre remarquable entre la tradition américaine, soucieuse d’interprétation et d’explication d’une part, et d’autre part, l’école française ou européenne qui continue de produire des contributions méthodiques et descriptives des vestiges matériels du passé avec un souci de détail et de précision (cf. les résultats de fouilles pratiquées selon la technique des aires ouvertes publiés par Leroi-Gourhan et Brézillon (1972) et Plumet (1985) pour une application de cette technique en contexte arctique). Hood fait d’ailleurs référence à ces sources dans sa nouvelle publication, ce qui marque une amélioration par rapport à la majorité des publications archéologiques par des anglophones en ce qui a trait au nombre de références en français. Hood (1998) nous avait déjà donné un aperçu de son savoir faire et de ses idées théoriques qu’il reprend et développe ici avec beaucoup d’art. Il s’agit d’un changement fort appréciable par rapport aux thèses publiées autrefois par l’ancien Musée de l’homme (Ottawa) dans la collection Mercure et qui se voyaient amputées de leurs chapitres théoriques et méthodologiques. Le lecteur remarquera également la grande qualité des planches photos et des illustrations qui ne comptent pas moins de 234 figures et photos auxquelles s’ajoutent 95 tableaux. Enfin, ce qui n’est pas négligeable, signalons la présence d’un index qui renvoie aux principales notions et catégories de l’histoire culturelle, aux noms géographiques et aux auteurs.

Quelques manques à gagner

Il y a très peu de choses que l’on pourrait reprocher à l’éditeur, mis à part le fait qu’il n’y a pas de résumé au début de l’ouvrage, sinon à l’endos avec la notice biographique. Il n’y avait pas non plus de résumé aux ouvrages précédents publiés dans cette même collection, du moins dans le recueil édité par Fitzhugh et al. (2002). Il serait approprié d’inclure à l’avenir un résumé en anglais, voire même en français et surtout en inuttut, la langue des Inuit du Labrador, étant donné que les études portaient sur le territoire occupé par cette population. Notons également une petite erreur dans la présentation de Fitzhugh (p. iv) qui fait référence au lac Hutte de la Sauvage au lieu de lac de la Hutte sauvage ou Indian House Lake mentionné plus loin par Hood. C’est une erreur cocasse tout comme celle que nous avions déjà observée sur une carte officielle où les cartographes du gouvernement avaient inscrit Indian Horse Lake pour désigner cet élargissement de la rivière George. Il aurait été plus sage d’utiliser le toponyme amérindien Mushuau Nipi qui désigne ce même lieu et qui signifie «lac des terres sans arbre» en montagnais[1].

Par ailleurs, l’histoire des recherches présentée dans l’introduction semble simplement servir à rendre hommage aux auteurs ayant contribué à la mise en place d’un cadre chronologie et culturel (Figure 2, p. 6), un modèle qui semble avoir peu changé par rapport à celui que proposait Fitzhugh (1977) 30 ans plus tôt. Il aurait été pertinent d’intégrer notamment les contributions plus récentes de Lisa Rankin[2], professeure à la Memorial University of Newfoundland qui travaille au Labrador depuis quelques années. Autre petit manque, ou était-ce en vue de nous surprendre au terme de la présentation des données, l’auteur a omis d’attribuer l’étiquette Archaïque maritime aux chapitres correspondant à cette période alors que les autres chapitres de l’ouvrage identifient clairement la période lorsque les données traitées correspondent au Pré-dorsétien, au Dorsétien ou à l’histoire récente des Inuit. Enfin, il n’y a aucune référence à l'établissement, depuis décembre 2005, d’un gouvernement autonome par les Inuit, et à ce que cela peut signifier pour la recherche archéologique et la protection des sites, une préoccupation qui se trouvait pourtant dans Hood et Baikie (1998).

En somme, malgré ces quelques omissions ou bévues, il ne fait aucun doute que cette monographie représente une contribution majeure à l’avancement des connaissances sur le peuplement du Labrador et nous la recommandons à tous les chercheurs et aux personnes sérieusement intéressées par l’histoire des premiers peuples d’Amérique.