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Introduction

L'aménagement de l'espace fait partie intégrante de l'architecture qui varie en fonction des activités, du mode de vie, du milieu environnant, de l'organisation sociale et religieuse, et des connaissances techniques pour ne citer que ces aspects. On ne peut donc pas traiter de l'architecture seulement dans son cadre très restreint, celui de la structure proprement dite, car l'espace extérieur participe aussi bien à la définition de cette structure et peut refléter des activités et des fonctions particulières. Ainsi, pour Preston Blier: “Architecture is integrally identified with human activity, experience, and expression, for, in ordering space, architecture also orders human action […]. In this respect architecture takes human activity to another place, offering concrete parallels to preestablished patterns and perspectives” (1987: 2).

Pour les périodes plus anciennes, comme le Paléolithique, la rareté des vestiges de structure d'habitation et la difficulté de les interpréter, et ce en particulier pour les sites de plein air, ont conduit au développement de méthodes d'analyse spatiale qui ne sont pas uniquement axées sur les vestiges de structure. Ainsi, l'étude de la répartition spatiale des pièces lithiques taillées, des restes organiques, des pierres en association avec la présence de foyers, a permis d'aborder le problème de la structure d'habitation et de l'organisation spatiale, même lorsque les évidences de structures d'habitat sont limitées (Cahen et al. 1979; Leroi-Gourhan et Brézillon 1972; Pigeot 1987; Tixier et al. 1976; Van Noten 1978). Deux approches complémentaires ont conjointement participé à l'élaboration d'interprétations architecturales: la répartition spatiale des vestiges et les remontages, qui donnent principalement de bons résultats sur des sites peu perturbés.

Pour les sites dorsétiens, le terme architecture laisse souvent sous-entendre l'aménagement des pierres interprétées comme structures de tente, habitations creusées semi-souterraines ou maisons longues (Maxwell 1980, 1985; Pinard 2000; Plumet 1985). La présence de tels vestiges dans les sites dorsétiens permet généralement de reconnaître des structures d'habitat caractéristiques de saisons et de périodes culturelles précises. C'est d'ailleurs généralement la présence de ces vestiges en surface qui permet d'identifier un site archéologique. Par comparaison avec le Paléolithique, l'interprétation des structures est souvent liée à des preuves tangibles qui tendent à limiter notre perception de l'organisation spatiale des activités, non seulement à l'intérieur mais aussi à l'extérieur des structures. Dans la même lignée que les travaux précurseurs d'analyse spatiale des sites préhistoriques arctiques (e.g., Dekin 1978; Farid 2001; Gauvin 1991), l'objectif de ce travail est de mettre en relation les données liées à l'analyse des chaînes opératoires de production lithique (fabrication, utilisation, affûtage et rejet des outils) avec les vestiges des structures d'habitation 6, 7, et 9 du site GhGk-63, afin d'identifier des aires d'activités spécifiques.

Contexte géographique et fouille du site GhGk-63

Le site GhGk-63 est localisé à environ 3 km au nord de l'embouchure de la rivière Grande Baleine qui se déverse au sud-est de la Baie d'Hudson (550, 17' 32" N et 770 44' 49" O) (Figure 1). À environ 1 km du rivage actuel de la Baie d'Hudson et à une altitude variant entre 26 et 32 m, le site était situé près du rivage durant la phase moyenne du Dorsétien (IcA 1991, 1992). En effet, dans cette région il y a 2000 ans, le niveau de la mer se trouvait à 25 m plus haut que le niveau actuel selon Hilaire-Marcel et Vincent (1980).

Menacé par les travaux d'exploitation du gravier, le site fût fouillé par les archéologues de l'Institut culturel Avataq au début des années 1990 (IcA 1991, 1992). En raison de sa grande superficie (4000 m2), le site n'a pu être entièrement fouillé mais les zones à fort potentiel archéologique l'ont été, ce qui couvre une superficie de 140 m2.

Le site comprend deux parties géomorphologiquement distinctes: une partie nord représentée par un champ de blocs et une partie sud aux dépôts discontinus d'humus et de sable sur le socle rocheux (Figure 2). Une stratigraphie simple et uniforme a été enregistrée pendant la fouille de la partie sud. Elle se présente comme suit: de la surface à 5 cm de profondeur, une couche de végétation de mousse et d'herbe suivie d'un mélange d'humus et de sable stérile qui fait quelques cm d'épaisseur, et enfin une couche de sable d'épaisseur variant entre 2 et 30 cm reposant sur le socle rocheux (IcA 1991, 1992). La majeure partie des objets provient de cette dernière couche.

La chronologie du site a pu être précisée par la datation d'échantillons de charbon de bois. Un ensemble de dates corrigées, assez cohérent, permet de placer l'occupation du site entre 2050 ± 100 A.A. et 1695 ± 85 A.A. avec une date intermédiaire de 1890 ± 85 A.A. Ces trois dates correspondent au Dorsétien moyen.

Un riche ensemble lithique a été mis au jour ainsi qu'une petite collection d'ossements très fragmentés. Aucun objet en os ou en ivoire travaillé n'a été découvert. Les études archéologiques préliminaires du site, effectuées pendant les années 1990 (Bernier 1996, 1997; IcA 1991, 1992), ont permis de confirmer l'attribution chrono-culturelle et de discuter de différents aspects généraux de l'occupation du site. Cependant, l'interprétation relative à la durée d'occupation ou à l'identification de zones d'activité spécifique n'a pu être précisée.

Méthodologie

Un travail mettant l'accent sur la technologie lithique, dans le cadre plus général du Dorsétien, est en cours de réalisation (Desrosiers 1999, Desrosiers et Gendron, sous presse a). Ce travail fait ressortir la diversité des chaînes opératoires sur le site GhGk-63 qui correspondent étroitement aux variétés des matières premières lithiques utilisées. Nous proposons donc d'explorer cette diversité en fonction des zones que nous définissons selon la répartition des éléments de structures identifiés lors de la fouille. Pour chaque zone, nous allons décrire la distribution des matières premières, des outils, ainsi que des déchets de taille caractéristiques, pour permettre une discussion de la fonction de chaque zone et l'existence éventuelle d'un aménagement des espaces, intérieur et extérieur, aux structures. Les remontages réalisés aideront également à comprendre les relations entre les diverses zones.

Figure 1

Localisation du site (d'après IcA 1992: 2)

Localisation du site (d'après IcA 1992: 2)

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Figure 2

Plan du secteur sud du site et structures fouillées (d'après IcA 1992: Appendix 4)

Plan du secteur sud du site et structures fouillées (d'après IcA 1992: Appendix 4)

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L'étude préliminaire de la dispersion spatiale des artefacts a été réalisée en tenant compte des diverses couches géologiques que nous avons décrites précédemment. Cependant, pour des raisons que nous exposons dans la discussion et la conclusion, nous ne tenons pas comptes de ces couches dans l'analyse que nous présentons dans ce travail.

Les structures associées au site

Le site comprend au total trois structures semi-souterraines, sept structures de tente et quatre aménagements secondaires. Les structures semi-souterraines, deux des structures de tente et deux caches se trouvent dans le champ de blocs de la partie nord du site. Dans cette partie, les sondages effectués dans les structures semi-souterraines et une structure de tente se sont avérés négatifs (IcA 1991). Les autres structures de tente et les deux aménagements secondaires sont situés dans la partie sud du site qui repose sur une terrasse marine d'environ 28 m d'altitude (IcA 1991 1992). La fouille a porté principalement sur les structures de la partie sud, c'est-à-dire, les structures 6,7, 8 et 9, ainsi que les aménagements secondaires II, III et IV (Figure 2).

La structure 6 est située à l'est de la partie sud du site, à une dizaine de mètre en bordure de la terrasse et à environ 5 m d'une zone de végétation. Elle se définit par la présence d'un aménagement de pierre, plus ou moins continu, de forme ovale qui mesure 3,8 m de longueur sur 3 m de largeur. La présence, dans la partie nord de cette structure, de concentrations de charbon de bois associées à des pierres, détermine la présence d'une aire de combustion. Un échantillon de charbon de bois provenant de cette aire a fourni la date de 2050 ± 100 A.A., ce qui correspond à la date la plus ancienne du site. En se basant sur la distribution des pierres et leur abondance, cet espace a été divisé en zones; la zone 1 couvre l'espace externe est de la structure alors que la zone 2 correspond à l'espace externe sud (Figure 3). La zone 3 correspond à la moitié intérieure est de la structure, qui se caractérise par la présence de pierres intérieures et de l'aire de combustion. Enfin, la zone 4 correspond à la moitié ouest de la structure ne montrant aucun aménagement interne.

La structure 7, située à l'ouest de la structure 6, est constituée de deux lobes de pierre séparés par un aménagement axial, relativement bien conservé, orienté est-ouest (Figure 3). Ce passage formé par deux séries de pierres rectangulaires alignées parallèlement et séparées par un dallage, mesure environ 60 cm de large sur 2,3 m de long (Figure 4). La structure 7 est de dimension moyenne avec 4,2 m sur 2,6 m. L'entrée de cette structure chevauche le côté est de la structure 6. Ce recoupement, montre l'antériorité de la structure 6 et se trouve aussi appuyé par la datation au radiocarbone de la structure 7, plaçant son occupation à 1695 ± 85 A.A. L'échantillon de charbon de bois, qui a fourni cette datation, provient d'une zone de combustion située à la périphérie interne de l'aménagement axial. Nous avons divisé cette structure en deux zones: la zone 6 correspond au lobe nord et la zone 7 au lobe sud où on trouve un dallage discontinu. La zone 5 couvre l'espace externe nord, la zone 8 correspond à l'espace externe sud et la zone 9 à l'espace externe ouest. Ce dernier se caractérise par une dépression fortement empierrée qui a fourni un riche matériel lithique et osseux. Il renfermait également plusieurs lentilles de charbon de bois témoignant de la présence d'aires de combustion ou de rejet de foyer. Une date obtenue sur charbon de bois place cette zone aux alentours de 1890 ± 80 A.A.

La structure 8 est située à environ 5 m à l'ouest de la zone 9 et se présente sous la forme d'un cercle de pierres discontinues, sans aménagement intérieur apparent, qui a livré très peu d'artefacts (Figure 3). L'érosion ainsi que l'emprunt possible des pierres pour l'aménagement d'autres structures sont peut-être responsables de cette configuration particulière. Étant donné le type d'analyse spatiale que nous effectuons et le résultat des fouilles archéologiques, nous n'inclurons pas cette structure dans notre travail bien qu'elle se trouve dans la zone principale de fouille.

La structure 9 se trouve à environ 30 m au sud de l'ensemble des structures 6, 7 et 8, dans un terrain relativement plat et aujourd'hui humide. Il s'agit d'une structure de pierre circulaire assez continue, bien préservée et de dimensions importantes; soit 5,2 m sur 5 m (Figure 5). L'entrée sur le côté est se présente par un court passage constitué de deux alignements de pierres d'environ 1 m de largeur. La distribution des pierres a permis de diviser cette structure en trois zones: la zone 1 correspond à la moitié nord de la structure, là où il y a des aménagements de pierres internes; la zone 2 correspond à la moitié sud sans aménagement particulier; et la zone 3 couvre l'espace extérieur de part et d'autre du couloir d'entrée (Figure 6). La présence de pierres plates dans la zone 1, associées à quelques fragments de charbon, suggère l'existence d'une aire de combustion. Les fragments de charbon, trop petits, n'ont pas permis une datation au radiocarbone.

Les aménagements secondaires

Dans la partie sud du site, il y a deux aménagements secondaires. L'aménagement IV se trouve à environ 3 m à l'est de la structure 6 et correspond à une concentration de pierres de forme indéterminée qui représentent peut-être une cache démantelée. Peu de vestiges lithiques lui sont associés. L'aménagement III se trouve à environ 7 m au nord-ouest de la structure 7. Il est caractérisé par une concentration de pierres sans forme particulière n'ayant livré aucun artefact et qui pourrait également correspondre à une cache de nourriture. L'aménagement II, qui ne se trouve pourtant pas dans la partie sud du site, a été fouillé pour son caractère unique. Il s'agit en effet d'une cache d'objets lithiques située à la périphérie du champ de blocs à environ 60 m de l'ensemble des structures 6, 7, 8 et 9 et qui contenait des nucléus préparés et des ébauches de bifaces.

Analyse spatiale de l'espace des structures 6 et 7

Le chert

La majorité des pièces en chert sont des éclats de faibles dimensions (plus de la moitié font moins de 1 cm de longueur). Ils se concentrent principalement dans les zones, 3, 6 et 9 (Figure 7) et sont aussi présents en périphérie de la zone 7. Les plus fortes concentrations d'éclats sont associées aux lieux de combustion qui se situent aux deux extrémités de la zone 9, près de l'aménagement axial dans la zone 6 et aussi dans la zone 3. Les nucléus et les grattoirs en chert sont aussi représentés sur la figure 7. Dans la zone 3, les nucléus (N=17) se trouvent au centre de l'amas de taille alors que peu de nucléus sont associés aux zones 4 et 8 (N=2). Les nucléus (N=33) sont plus nombreux dans la zone 9 mais sont plus dispersés que dans la zone 3. La distribution particulière des nucléus indique que les éclats présents à l'intérieur de la structure 7 sont les témoins des dernières étapes de retouche de l'outillage plutôt que des premières étapes de taille réalisées dans les zones 3 et 9 et soutenues par les raccords obtenus. En effet, deux remontages de nucléus fracturés et le remontage d'un éclat sur un nucléus ont été effectués à l'intérieur de la zone 9, alors qu'un éclat remonte sur un nucléus dans la zone 3.

Figure 3

Secteur des structures 6, 7 et 8 et division des zones (modifié d'après IcA 1992: Appendix 5)

Secteur des structures 6, 7 et 8 et division des zones (modifié d'après IcA 1992: Appendix 5)

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Figure 4

Aménagement axial de la structure 7, vue nord-ouest (photo NB 9101 (1)-25, IcA 1992)

Aménagement axial de la structure 7, vue nord-ouest (photo NB 9101 (1)-25, IcA 1992)

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Figure 5

Structure 9, vue nord-ouest (photo NB 9101 (3)-20, IcA 1992)

Structure 9, vue nord-ouest (photo NB 9101 (3)-20, IcA 1992)

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Figure 6

Les zones de la structure 9 (modifié d'après IcA 1992: Appendix 6)

Les zones de la structure 9 (modifié d'après IcA 1992: Appendix 6)

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Les grattoirs semblent se répartir en fonction de la distribution des éclats. La majorité (N=20) se trouve dans la zone 3 et aux périphéries nord et ouest de la structure 7 (N=16), tandis que peu de grattoirs (N=4) sont associés à la concentration d'éclats dans la partie ouest de la zone 9 (Figure 7).

La figure 8 montre la répartition des pointes et fragments de pointes bifaciales ainsi que celle des ébauches de pointes et des chutes de cannelure. On remarque qu'il y a un bon nombre de chutes de cannelure dans les zones 6 et 7 (N=21) alors que la majorité se situe dans les zones 3 et 9 (N=58), avec des concentrations particulières comme dans le coin nord-est de la zone 9 (N=14). Comme on peut le voir avec les autres catégories d'objets (pointes et ébauches), la majorité des activités de façonnage a été réalisée dans les zones 3 et 9. À l'intérieur de la structure 7 et dans la zone 4 (moitié intérieure de la structure 6), on remarque l'absence d'ébauche de biface et la présence de pointes complètes et fragmentées, ainsi que des chutes de cannelures. Ceci semble indiquer que les pointes n'ont pas été majoritairement façonnées à l'intérieur des structures mais que certaines activités liées à ces pointes se sont déroulées à l'intérieur. Par exemple, il pourrait s'agir du remplacement de l'extrémité d'une tête de harpon qui aurait nécessité un affûtage final produisant des chutes de cannelures.

Les microlames se trouvent dans les mêmes zones et se répartissent d'une manière similaire à celle des éclats (Figure 9). Cette distribution montre qu'une partie des déchets de taille doit être liée à cette production comme par exemple les éclats provenant de la mise en forme et de l'entretien des nucléus à microlames. Cependant, il est aussi évident que la production des microlames et celle des éclats se sont déroulées dans les mêmes zones. Les microlames retouchées n'ont pas de distribution particulière et sont étroitement liées aux zones de production 3 et 9. Cela suggère que, non seulement des activités de taille, mais aussi d'utilisation de l'outillage, étaient réalisées dans ces deux zones. On peut dès lors se demander si ces deux concentrations se sont formées indépendamment. Les remontages ont répondu à cette question puisque des liens clairs ont été établis par des raccords de fracture de microlames entre les deux zones. Dans la zone 3, un remontage fait le lien entre un nucléus, une tablette d'avivage de plan de frappe et une microlame, alors que cinq microlames remontent ensemble dans les zones 2, 3, 4 et 7. Les raccords de microlames fracturées montrent aussi des liens pour les mêmes zones.

Figure 7

Répartition des nucléus, éclats et grattoirs en chert dans le secteur des structures 6 et 7

Répartition des nucléus, éclats et grattoirs en chert dans le secteur des structures 6 et 7

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Figure 8

Répartition des objets liés à la production des pointes bifaciales dans le secteur des structures 6 et 7

Répartition des objets liés à la production des pointes bifaciales dans le secteur des structures 6 et 7

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Le schiste

Les objets en schiste se trouvent principalement dans les zones 1, 3 et 9 (Figure 10). Seule une petite partie de la zone 1, adjacente à la zone 3, comprend une concentration de pièces en schiste (N=18). Les zones 1 et 3 présentent tous les types de déchets de fabrication (éclats, fragments à rainure, etc.) ou d'utilisation des outils (fragments d'outils) en schiste. Cela semble indiquer que toutes les étapes de production et de remplacement de l'outillage ont été réalisées dans ces zones. De plus, dans la zone 3, un polissoir en quartzite se trouvait associé à la production des outils polis. Le centre-ouest de la zone 3 montre une forte présence d'éclats sur tranchant poli, alors que les fragments d'outils se trouvent majoritairement en périphérie de cet amas. Cela pourrait montrer une organisation des activités de production au sein de l'amas.

Peu de vestiges sont associés aux zones 4 et 8, de même qu'aux zones 5, 6 et 7. Cependant, c'est dans les trois dernières zones que se rassemble la majorité des fragments distaux d'outils (5 sur un total de 6).

Comme la zone 1 et la zone 3, la zone 9 regroupe plusieurs objets en schiste ainsi que tous les types de pièces liés à la fabrication des outils. Trois remontages de pièces fracturées ont été effectués à l'intérieur de cette zone.

En conclusion, comme dans le cas du chert, il y a eu deux zones de fabrication d'outils en schiste et les remontages ont été effectués à l'intérieur de chacune des zones. Toutes les étapes de préparation et de confection sont représentées: le sciage, la taille, le polissage et l'aménagement des encoches. La répartition particulière des fragments distaux d'outils (fragments de pointes), dans les zones 5, 6 et 7, indique leur possible abandon sur les lieux d'utilisation. On note aussi qu'il y a plus de fragments proximaux associés aux zones étudiées que de fragments distaux, qui pourraient avoir été abandonnés sur des zones d'utilisation plus éloignées du lieu d'habitation.

L'étude technologique du matériel en schiste a montré que la partie proximale des pointes losangiques (constituée d'encoches) est très standardisée (Desrosiers et Gendron, sous presse b). Cela permet d'émettre l'idée que l'étape finale de fabrication des pointes nécessitait le calibrage de la partie à emmancher, d'où la présence des fragments proximaux (fragments de base) dans les zones de fabrication de ces outils (zones 3 et 9).

Le quartz cristallin

La majorité des objets en quartz cristallin est associée aux zones 3 et 9 (Figure 11). Aucune répartition particulière des microlames, retouchées et brutes, n'a pu être identifiée. Les deux amas de taille, précédemment décrits aux zones 3 et 9, lors de l'analyse du chert et du schiste, se retrouvent également dans la répartition des objets en quartz cristallin. Il faut noter dans la zone 4, et en périphérie de la zone 3, l'association des grattoirs et des microlames brutes ou retouchées. Cette présence, en l'absence d'éclats de taille, peut témoigner d'une activité d'utilisation particulière qui associe ces deux types d'outils.

Figure 9

Répartition des objets liés à la production des microlames en chert dans le secteur des structures 6 et 7

Répartition des objets liés à la production des microlames en chert dans le secteur des structures 6 et 7

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Figure 10

Distribution des objets en schiste dans le secteur des structures 6 et 7

Distribution des objets en schiste dans le secteur des structures 6 et 7

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Les autres matières lithiques

De nombreux éclats en quartzite grossier ont été récoltés lors de la fouille. Détachés par percussion directe au percuteur dur sur des pierres plates en quartzite, ces éclats résultent de la préparation des dalles (Desrosiers et Gendron, sous presse a). Ces éclats sont, pour la plupart, situés dans la zone 3, mais ils sont aussi associés à l'aménagement axial de la structure 7 (Figure 12). Seuls quelques fragments de stéatite ont été récoltés sur le site, de même que quelques herminettes en andésite (N=1) et en néphrite (N=3), ainsi que deux pseudo-burins en néphrite et deux en chert qui se répartissent dans les zones 3, 6 et 9 (Figure 12). Un des pseudo-burins en chert ainsi qu'une chute de pseudo-burin en chert ont été trouvés à l'intérieur de la structure 7, respectivement dans les zones 6 et 7. Cette présence pourrait témoigner de l'utilisation et l'affûtage de ces outils à l'intérieur de la structure.

Les vestiges fauniques

Les os proviennent exclusivement de la zone 9 (Figure 12) et il n'y a pas eu d'étude archéozoologique de ce matériel très fragmenté. L'épaisseur du sédiment et l'environnement humide propice à la congélation dans la zone 9, ont certainement favorisé la préservation des os. Il est plausible que la zone 9 représente un dépotoir de restes culinaires associés à de nombreux vestiges lithiques et des résidus de combustion.

Analyse spatiale de la structure 9

La structure 9, bien isolée par rapport aux autres structures, a fourni moins de matériel lithique. La répartition des pièces en chert permet de constater que la majeure partie des opérations de taille, documentée par la présence des éclats bruts, a eu lieu dans la zone 3, à l'extérieur de la structure (Figure 13). La présence d'éclats en quartz et en schiste dans cette zone appuie aussi cette constatation. À l'intérieur de la structure, la majorité des artefacts se trouve principalement dans la zone 1, caractérisée par la présence d'aménagements intérieurs. En effet, autour de l'aire de combustion présumée, se trouvent des microlames en chert et en quartz cristallin (N=3), un grattoir, un fragment d'outil en schiste, deux pointes bifaciales en chert et des éclats de retouches (Figure 13). Cette association indique probablement une zone d'activité domestique qui a nécessité occasionnellement l'affûtage des outils. La présence de pièces bifaciales associées à des chutes de cannelures corrobore aussi cette interprétation.

Figure 11

Répartition des artefacts en quartz cristallin dans le secteur des structures 6 et 7

Répartition des artefacts en quartz cristallin dans le secteur des structures 6 et 7

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Figure 12

Distribution des autres artefacts lithiques et des restes osseux dans le secteur des structures 6 et 7

Distribution des autres artefacts lithiques et des restes osseux dans le secteur des structures 6 et 7

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Figure 13

Répartition des artefacts dans l'espace externe et interne de la structure 9

Répartition des artefacts dans l'espace externe et interne de la structure 9

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Figure 14

Travail à l'extérieur de la tente pendant la saison estivale (photo: W.E. Taylor, 1958, Collection de photos historiques, Institut culturel Avataq)

Travail à l'extérieur de la tente pendant la saison estivale (photo: W.E. Taylor, 1958, Collection de photos historiques, Institut culturel Avataq)

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Les microlames en quartz cristallin se trouvent aux alentours de l'aire de combustion, à quelques cm du grattoir. Cette association entre microlames et grattoir a été déjà signalée lors de l'analyse spatiale des structures 6 et 7. Elle suggère une activité, telle que la préparation des peaux, qui mettrait possiblement en oeuvre l'utilisation de ces deux types d'outils.

À l'opposé de la zone 1, où la majeure partie des activités domestiques s'est déroulée près de l'aire de combustion, et de la zone 3, où ont eu lieu les opérations de taille, la zone 2, qui ne comprend aucun aménagement interne, s'avère également pauvre en objets lithiques, à l'exception de quelques petits éclats de retouches. Cette répartition spatiale des objets lithiques, associée aux vestiges de structure, permet de mettre en évidence deux zones d'activités spécifiques et une zone à caractère plus ou moins pauvre qui pourrait refléter une zone de repos.

Discussion

L'aire fouillée joignant la structure 9 et son espace externe et l'aire fouillée unissant les structures 6 et 7, représentent deux ensembles d'aménagements différents. Dans le premier cas, un nombre limité de vestiges a été recueilli. Ils sont surtout localisés dans la zone 3, située à l'extérieur de la structure 9, de part et d'autre de l'entrée. Il semble aussi logique que cette ouverture soit située du côté où le terrain va en descendant plutôt que de l'autre côté où le terrain est en pente ascendante. Dans ce cas, la majeure partie des activités de préparation de l'outillage lithique s'est donc déroulée à l'extérieur, de part et d'autre de l'entrée. À l'entrée de l'habitation, la zone 1 se caractérise par une aire de combustion et un dallage, suivie par une zone qui regroupait des aménagements intérieurs, aujourd'hui déstructurés. Cette zone a révélé des vestiges liés à l'utilisation et à l'affûtage des outils (grattoir, microlames, fragments d'outils en schiste et bifaces). À l'inverse, la zone 2 — pauvre en vestiges — peut représenter une zone de repos qui aurait pu être recouverte de peaux, un peu à la manière des Inuit, comme cité dans les travaux ethnographiques (e.g., Birket-Smith 1929: 86, Fig. 16). L'analyse de la structure 9 montre une seule occupation courte qui nous a permis d'identifier des zones d'activités spécifiques illustrées par l'aménagement particulier de l'espace.

Ce cas nous rappelle l'organisation spatiale associée aux tentes d'été des chasseurs actuels dans l'Arctique, où certaines activités se déroulent près de l'entrée de la tente (Figure 14). La structure de tente, représentée par des pierres de charge pour solidifier la couverture face aux tempêtes de vent, est partiellement déstructurée lors du démontage.

L'aire de fouille des structures 6 et 7 a révélé un ensemble d'habitation différent caractérisé par des réoccupations successives. Les datations montrent que la structure 6 est plus ancienne que la structure 7 et que la zone 9 (espace externe à la structure 7 où ont eu lieu, entre autres, des activités de combustion) est contemporaine de la structure 6. Le secteur aurait donc été occupé à quelques reprise au cours d'un épisode s'échelonnant sur un peu plus de 200 ans. Ces occupations successives ont certainement affecté la répartition des artefacts et des pierres de charge.

Pour tenter de comprendre ces phénomènes nous aurions pu tenir compte des différentes couches géologiques. Cependant, la faible sédimentation dans certaines zones, la présence de remontage entre des artefacts provenant de couches différentes, la distribution similaire des artefacts pour chaque couche et le fait que la grande majorité des artefacts provient de la couche 3, nous ont amenés à rejeter cette idée. Nous avons donc considéré les différentes couches comme étant un ensemble où il est impossible de distinguer avec certitude des sols d'occupation. En fait, nous nous sommes trouvés dans un cas un peu similaire à celui du sous-espace D de Diana 4 (JfEl-1) pour lequel Gauvin concluait, d'après l'analyse spatiale, qu'“il pourrait être plus profitable d'exploiter la distribution horizontale plutôt que verticale des vestiges car, dans de nombreux secteurs, nous avons observé que la proximité horizontale des pièces pouvait être plus significative que leur association stratigraphique” (Gauvin 1991: 117-118).

La majorité des vestiges liés à la production d'outils lithiques se concentre dans les zones 3 et 9 qui ont pu servir d'aires d'activité de taille. En ce qui concerne la zone 9, la présence de charbon et aussi la forte présence d'os associés aux déchets lithiques, permet de penser qu'elle aurait servi aussi d'aire de rejet ou de dépotoir (cf. Binford 1978; Birket-Smith 1929; McGhee 1984). Toutefois, la distribution spatiale de certains déchets de taille comme les chutes de cannelures, les pièces en quartz cristallin, les microlames (remontages) et les nucléus, suggère la présence d'ateliers de taille ou encore d'activités requérant l'utilisation d'outils spécialisés, comme le travail des peaux. La zone 9 aurait donc pu avoir deux fonctions différentes, simultanément ou successivement.

La structure 6 est discontinue et une partie de ses pierres a pu être utilisée pour aménager la structure 7. Cette dernière est plus complexe, avec un aménagement axial qui a nécessité un important investissement, dont la taille de certaines des dalles en quartzite. Elle a livré de nombreux vestiges qui ont pu s'accumuler au cours de la réoccupation de la même structure. Il est aussi possible que des structures différentes aient été aménagées dans le même emplacement. Toutefois, la répartition des vestiges lithiques, associée à la disposition des pierres de la structure 6, montre que la zone 6, comprenant une partie de l'aire de combustion, aurait été le lieu de certaines activités domestiques nécessitant des outils, tandis que la zone 7, qui comprend un dallage interne mais partiel, correspondrait plutôt à une aire de repos. Il y a donc une certaine cohérence dans la réoccupation qui laisse supposer que si le lieu a été réoccupé successivement, ce fut d'une façon relativement systématique, par une réutilisation similaire des même espaces préalablement aménagés.

La répartition spatiale selon les matériaux lithiques montre que les zones d'activités pour la préparation d'outils en chert, en schiste ou en quartz cristallin sont relativement similaires. En effet, les résidus de taille, de façonnage, de sciage des plaquettes de schiste et de polissage se répartissent majoritairement dans les zones 3 et 9.

Il est clair que les activités de taille se sont principalement déroulées à l'extérieur de la structure 7 et il est peu probable que la taille des ces objets ait pu s'effectuer ainsi dans des conditions hivernales. Maxwell (1985: 96-97) pense que l'absence de “support à combustion” construit avec des pierres verticales, à l'intérieur de l'aménagement axial, peut être liée à un aménagement d'habitation d'été plutôt qu'à une habitation d'hiver. Si l'on considère cette hypothèse et les divers indices de l'analyse spatiale appuyant le déroulement de certaines activités à l'extérieur des structures, nous proposons que la structure 7 ait été occupée durant la saison estivale, à plusieurs reprises, alors que la structure 9 aurait été utilisée une seule fois en été.

Le fait qu'un grand nombre de vestiges soient localisés dans la zone 3, à l'intérieur de la structure 6, montre que l'espace a été utilisé différemment, possiblement après l'abandon de la structure. Les habitants de la structure 7 y ont probablement réalisé des activités extérieures. Les remontages ont montré, en effet, que des liens existent entre les zones 2, 3, 4, 7 et 9 et que les mêmes individus ont travaillé dans ces différentes zones.

Conclusion

L'objectif de cette recherche était de jumeler l'analyse de la répartition spatiale des artefacts avec celle des structures aménagées, pour permettre d'atteindre une meilleure interprétation de l'architecture des structures 6, 7 et 9 du site GhGk-63. Il nous a été possible de définir des zones d'activités variées: activités domestiques à l'intérieur des structures et généralement autour des aires de combustion, des ateliers de taille et des zones de rejet à l'extérieur des structures. Nous avons montré que l'aire d'habitat comprenant les structures 6 et 7 a été réoccupée à plusieurs reprises alors que la structure 9 montre une occupation indépendante, possiblement unique et de courte durée. La présence de caches de nourriture et de matériel lithique appuie l'idée de réoccupations successives du site GhGk-63 par un même groupe dorsétien, revenant à cet endroit durant la saison estivale.

Le site GhGk-63 représente un cas relativement complexe pour réaliser une analyse spatiale. En effet, pour les structures 6 et 7, la réoccupation successive des lieux rend plus difficile l'interprétation de la répartition des objets qui ne peuvent souvent pas être associés de façon précise à l'occupation d'une structure ou d'une autre. La faible sédimentation des lieux au cours du temps nous a d'ailleurs empêché de distinguer clairement une association entre un niveau archéologique et une structure. Le cas de la structure 9 représente, quant à lui, un cas beaucoup plus simple: une seule occupation d'une durée limitée.

Cette étude met en lumière l'aménagement de l'espace sur un site dorsétien pour trois structures quelque peu différentes; une structure ovale simple, une structure bilobée avec aménagement axial et une structure circulaire simple avec un court passage d'entrée. Cela permet de souligner l'importance de l'espace externe des structures durant la saison estivale. La conception de l'espace interne semble indiquer une division des structures en deux parties, la première se résume principalement aux activités d'utilisation de certains outils (déchets d'utilisation, de retouche ou de raffûtage et traces de combustion), alors que l'autre est une aire réservée principalement au repos (nombre limité de déchets). L'espace extérieur est utilisé, entre autres, pour la production de l'outillage. Cette activité semble localisé près de la porte d'entrée ou dans les environs immédiats de la structure. De nombreuses traces de combustion sont aussi associées aux activités extérieures.

L'architecture de ce site, d'apparence simple, recèle donc une certaine organisation de l'espace qui a été mise en évidence par l'analyse spatiale. Il sera intéressant dans l'avenir d'appliquer cette méthodologie à d'autres sites dorsétiens afin de déceler d'éventuelles variations dans la conception et l'organisation de l'espace chez les groupes paléoesquimaux.