La préservation des langues et des savoirs du NordPreserving languages and knowledge of the North[Record]

  • Louis-Jacques Dorais and
  • Igor Krupnik

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Ce numéro d’Études/Inuit/Studies traite de la préservation des langues et des savoirs autochtones dans le Nord face au changement graduel (shift). Selon certaines définitions, celui-ci se produit quand un objet ou un processus dévie de sa trajectoire originelle pour se mettre à pointer dans une autre direction. Même si cette déviation est minime, l’entité qui la subit risque, après un certain temps, d’aboutir très loin de sa destination première. Dans le cas des populations humaines, le changement graduel des langues et des savoirs doit être entendu dans le sens suivant: la compréhension qu’a un peuple quelconque de son environnement naturel et social, et la façon dont il communique au sujet de cet environnement, sont plus ou moins brutalement mis à l’écart par des concepts et des mots nouveaux. Les modes originaux de compréhension et de communication sont ainsi poussés dans une direction nouvelle qui, dans le pire des cas, mène à leur oubli. Les populations autochtones du Nord et d’ailleurs ont subi — et subissent encore — ce type de changement. Depuis plusieurs décennies, et même quelques siècles pour certaines, leurs langues et leurs savoirs d’origine tendent à être transformés et remplacés par ceux des puissances coloniales et néo-coloniales, ainsi que par les forces mondialisatrices présentement à l’oeuvre dans le Nord. Il en résulte que la plupart, sinon tous les systèmes indigènes nordiques de communication et de connaissance ont été et sont toujours mis en danger par l’intrusion des langues universelles, des idéologies nouvelles, des médias et de la culture populaire, ainsi que de la science internationale. Dans ce numéro, nous nous demanderons jusqu’à quel point les langues et les savoirs autochtones peuvent être préservés et rester dynamiques ou, à tout le moins, viables face à ce changement graduel. En d’autres mots, comment la diversité linguistique et cognitive encore présente au Nord peut-elle, grâce à une inversion du processus de changement, survivre à ce rouleau compresseur que constituent la pensée occidentale et les langues majoritaires européennes soutenues par l’État. Des auteurs provenant de divers pays et possédant des formations professionnelles différentes — linguistes, éducateurs, anthropologues, spécialistes des savoirs, travailleurs culturels — décriront des exemples d’efforts récents pour tenter d’inverser la tendance au changement des langues et des savoirs. La plupart de ces exemples relèvent d’un contexte inuit, de la Tchoukotka russe à l’Alaska, au Canada et au Groenland; mais dans un but de comparaison, on citera aussi des cas provenant d’autres régions du Nord. Nous ne prétendons pas tirer quelque conclusion que ce soit sur une possible corrélation directe entre la vitesse et les étapes du changement linguistique et celles du changement des savoirs. Nous croyons cependant fermement — et plusieurs articles de ce numéro l’illustrent assez explicitement — que les savoirs autochtones ne peuvent survivre sans les formes linguistiques dans lesquelles on les pense et les exprime habituellement, et que le changement linguistique entraîne presque nécessairement un changement au niveau de la cognition. Inversement, la langue peut probablement survivre sans l’ancien système de connaissances qu’elle sous-tendait, mais il est loisible de croire qu’elle le fait sous une forme cognitive amoindrie. Dans un texte fondateur publié en 1991, le sociolinguiste américain Joshua A. Fishman discute des fondements et de la méthodologie de ce qu’il appelle «Inverser le changement langagier» (Reversing Language Shift, ou RLS). On peut facilement élargir son propos au domaine des systèmes de connaissances, pour parler d’«inverser le changement des langues et des savoirs» (Reversing Language and Knowledge Shift, ou RLKS), concept que nous utiliserons dans ce volume. Fishman (1991: Chap. 2) donne diverses raisons justifiant le RLS (et le RLKS …

Appendices