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Le livre de Robert McGhee s’adresse à un très large public intéressé par l’aspect romantique et aventurier de la conquête du Grand Nord plus qu’à sa préhistoire. L’approche est personnelle et l’auteur, qui a une longue expérience de l’archéologie dans l’Arctique, se projette dans son récit avec ses enthousiasmes, ses émotions et ses idées originales. Le style, fort vivant, transmet agréablement sa sensibilité et sa subjectivité en se référant abondamment à ses propres expériences de terrain, selon un parti pris courant en Amérique du Nord. Mais ce parti pris est absent de nombrilisme comme de fausse modestie.

Dans son court Prelude qui ouvre l’ouvrage, McGhee raconte les circonstances et les influences qui lui ont donné le goût et une perception personnelle de l’Arctique. Il explique que son histoire de la zone polaire ne vise pas au pittoresque et à l’exotique, mais au contraire à intégrer cette région dans le champ global de l’expansion de l’humanité. Le premier chapitre, de neuf pages seulement, retrace la mise en place du climat et de l’environnement arctiques dans la continuation du dernier «Âge de Glace» et celle des populations qui s’y trouvent jusqu’à maintenant. Ensuite, en une douzaine de pages qui s’appuient sur une documentation originale et bien choisie, il évoque l’Arctique mythique des Grecs et les représentations souvent fantasmatiques, parfois ésotériques, qui en ont découlé jusqu’au milieu du 20e siècle. Cela le conduit, dans le troisième chapitre, à présenter en 22 pages les relations de l’homme au milieu arctique. Sans vraiment suivre une progression chronologique mais en s’appuyant sur ses expériences et celles de collègues, il explique l’environnement et les modes d’adaptation des hommes, leurs spécificités culturelles, leur mode de représentation du monde, le chamanisme, tout en esquissant, mais sans intention pédagogique, les grandes lignes de la préhistoire de l’Arctique depuis les grottes du Poisson Bleu jusqu’aux Inuit, en passant par les Prédorsétiens et les Dorsétiens. Les Inuit, auxquels il assimile implicitement les Thuléens, ne sont encore évoqués que par leurs récits concernant les Tuniit, terme synonyme de Dorsétien pour McGhee.

Le chapitre suivant consacre 28 pages à l’Arctique sibérien. L’histoire de l’exploration russe de la Sibérie s’y mêle avec les aventures personnelles de l’auteur et quelques esquisses du mode de vie des petits peuples autochtones, sans négliger les changements impliqués par la colonisation soviétique. De la Sibérie, nous passons à la saga de l’Atlantique Nord et aux colonies vikings du Groenland. Ce thème, cher à l’imaginaire nord-américain et de ce fait largement traité avec plus ou moins de pertinence dans la littérature anglo-saxonne, occupe 28 pages, dans lesquelles l’épopée des moines celtes n’est pas oubliée. Si McGhee ne pouvait guère apporter grand chose de nouveau sur ce sujet, il a su présenter l’essentiel dans son approche personnelle en tenant compte des données et des opinions les plus récentes. Un chapitre tout aussi long est enfin dévolu à «l’Inuit», qui pour McGhee remplace le «Thuléen» des préhistoriens et inclut les Esquimaux contemporains depuis la Sibérie jusqu'au Groenland. Là encore, la préhistoire est seulement évoquée par le biais des récits des premiers explorateurs européens qui rencontrèrent les Inuit et surtout à travers la fouille du site d’Ékven, en Tchoukotka, à laquelle l’auteur participa quelques semaines. Il privilégie le rôle du métal qui, selon lui, aurait encouragé la migration néoesquimaude d’Alaska au nord-ouest du Groenland, où les Dorsétiens connaissaient déjà et exploitaient le météorite ferreux du cap York tout en acquérant des objets en métal auprès des Vikings. Il estime que le réchauffement climatique, généralement invoqué pour expliquer cette migration, n’affecta pas tout l’Arctique et qu’il faut en chercher ailleurs les motivations. Les différentes représentations, souvent dévalorisantes ou incongrues, que les Européens se firent des Inuit sont relatées et illustrées par des citations bien choisies, dont l’une, assez longue, du français Jean Malaurie auquel la défense de la civilisation inuit sert pourtant de faire-valoir. Comme souvent dans ce livre, l’auteur mêle les histoires du passé à celle du sort actuel des différents groupes inuit.

À partir du chapitre 7, qui commence un peu avant la moitié du livre, McGhee consacre essentiellement la suite de son texte aux explorateurs européens de l’Arctique depuis le viking Ottar, le premier dont l’histoire enregistra qu’il doubla le cap Nord en 890, jusqu’à la compétition de Robert Peary et de Frederick Cook pour atteindre le pôle Nord. Il choisit les récits de façon à souligner l’importance de l’imaginaire comme moteur des explorations et de l’imagination dans les descriptions du pays, de ses autochtones, des aventures vécues, et aussi du ton trop souvent et exagérément tragique ou héroïque donné aux narrations. Il nous fait suivre des voyageurs moins connus qui tentèrent leur chance en Nouvelle-Zemble, aussi bien que Barents et d’autres qui cherchaient le passage du Nord-Est, puis, vers l’ouest, Frobisher et ses mines d’or illusoires, les baleiniers du Spitsberg, les voyages de Henry Hudson, de Munk… L’exploration moins célèbre de Samuel Hearne à l’intérieur du Keewatin est l’occasion de montrer les relations entre Européens, Cris et Inuit, qui révèlent ces différentes ethnies, mais aussi d’essayer de décrypter des aspects cachés de la réalité en recoupant divers témoignages. Après Franklin, Kanes et bien d’autres, on retrouve aussi la migration du groupe mené par Qitdlarssuaq depuis Baffin jusqu’à la région de Thulé, dont le récit fut enregistré auprès des descendants de ces migrants par le Père Mary-Rousselière.

L’avant-dernier chapitre, The people’s land est un survol, toujours sur un ton personnel, de l’ensemble de l’Arctique et des interactions qui s’y poursuivent, pour le meilleur comme pour le pire, entre les différents peuples qui depuis la préhistoire continuent de s’y entremêler. L’influence du commerce, des épidémies, de la christianisation, de la géopolitique contemporaine, entre autres, sont relatées tout comme les diverses tendances qui se dessinent dans les évolutions politiques récentes d’une extrémité à l’autre de l’Arctique. La très brève conclusion de deux pages qu’est le dernier chapitre, An Arctic journey, rappelle que l’objectif du livre était de montrer l’Arctique comme un monde à part dans tous ses aspects y compris les représentations qu’il suscita et suscite encore chez l’auteur.

Derrière le romantisme et la légèreté apparente du style qui rend la lecture agréable à tout esprit curieux, en dépit du plan un peu décousu, l’auteur fait passer de nombreuses informations et des observations personnelles avec lesquelles le lecteur peut ne pas être d’accord, mais qui ne manquent de provoquer sa réflexion. S’il s’adresse d’abord à un large public, il intéressera agréablement aussi les spécialistes de l’Arctique. C’est la raison pour laquelle on peut regretter l’absence de références bibliographiques dans le texte et le côté aussi sommaire que général des quelques monographies, articles et sites Web suggérés à la fin du livre au lecteur. Ce dernier restera sans doute insatisfait s’il n’est pas complètement novice. Les illustrations en couleur sont fort bonnes, les cartes généralement claires et simples, bien que parfois trop petites, mais les photos en noir et blanc demeurent de qualité moyenne.