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QUMAQ, Taamusi, 2012 Je veux que les Inuit soient libres à nouveau. Autobiographie (1914-1993), introduction, notes et chronologie de Louis-Jacques Dorais, traduit de l’inuktitut, Montréal, Imaginaire Nord et Presses de l’Université du Québec, Collection Jardin de givre, 156 pages.[Record]

  • Jean Morisset

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  • Jean Morisset
    Département de géographie, Université du Québec à Montréal, C.P. 8888, suc. Centre-Ville, Montréal (Québec), H3C 3P8, Canada
    morisset.jean@uqam.ca

Ce petit livre est un bijou. Bijou d’humanité. Bijou d’aménité. Recevoir ainsi, en toutes grâces et sans l’avoir recherché, un appel à la liberté dans un pays qui n’en fait guère une pratique avouée constitue une expérience émouvante empreinte d’une certaine fragilité. À parcourir et re-parcourir ce livre comme s’il s’agissait d’un voyage de chasse en traîneau à chien vers une destination mouvante sans cesse négociée par le destin et qu’on se demande intérieurement si le gibier escompté sera au rendez-vous ou pas, on se dit alors qu’on est privilégié d’avoir en main pareil témoignage. Non seulement la chasse a-t-elle été bonne, mais les lieux qui nous sont offerts à la lecture, les paysages de la mémoire qu’on traverse, les personnages qu’on rencontre et surtout, le regard porté sur les événements par le narrateur chasseur-penseur, chroniqueur et philosophe à la fois, constitue un apport unique. Et inespéré. Dans le cadre de l’univers circumpolaire, et malgré son caractère péninsulaire, le Nord-Québec s’avère une aire géographique passablement inconnue, méconnue et prégnante de mystère tout autant que ses eaux océaniques. Né dans les entours d’Inoukdjouak entre terre et mer, glaces et toundra, mosaïques subarctiques et oasis arctiques, l’auteur est issu d’un milieu riche et composite, multiculturel avant la lettre. À prendre ce petit livre entre ses mains, à le soupeser et à l’interroger pour en appréhender le tissu spirituel, on se dit qu’on a entre les mains un codex des temps modernes et des temps millénaires. Et qui constitue un gigantesque inoukchouk dans les annales inédites du Nord. Un livre qui avait de fortes chances de ne jamais émerger de la voûte de l’oralité et partant, un cadeau imprévu venant d’un espace mental d’autant plus évasif qu’il est trop rapproché de nous. Et paradoxalement, d’autant plus fuyant qu’il est trop éloigné de l’histoire écrite pour qu’on puisse arriver à reconstituer son langage et sa posture devant l’infini ou le banal. Parler une langue, c’est une chose, mais faire parler cette langue dans son rapport à l’espace et la fréquentation de ses amitiés mythiques et ses rêves migrants à travers le territoire, c’en est une autre. Ainsi, tous les Mozart assassinés dont parle l’Occident vis-à-vis de lui-même ne suffiront jamais à combler le vide des Mozart jamais nés du précambrien et des concertos pour glaces flottantes que se chantaient les anciens sans se préoccuper de les transcrire. Car sous la saga de la Grandeur nordique, il ne s’agissait après tout que du vécu le plus courant pour tous ceux qui en parcouraient quotidiennement l’avènement! Depuis sa livrée originale en syllabique, ce que ce livre apporte dans sa traduction, c’est l’expression d’un temps cyclique sans frontières et le sentiment d’un être qui ne nous est à peu près jamais donné dans sa version autochtone première. Et cela par l’un des derniers témoins de l’entre-deux du Nord qui sait écrire tout en n’ayant pas perdu son langage sous le poids de l’assimilation. Avant lui, l’écriture en syllabique d’un texte personnel n’était pas possible. Après lui, ce ne sera plus possible, car le langage disparaîtra sous la scolarisation. Si bien qu’il demeure comme un écrivain penseur analphabète, le transcripteur d’un réel ayant officiellement basculé en dehors du réel. Ainsi, Tamoussee Koumaq — si on me permet d’écrire son nom dans la vague graphie de l’époque — est-il un rescapé de l’espace raconté et d’un vécu toujours interprété par l’Autre. Comme si le Nord «esquimau» du mi XXe siècle nous échappait davantage encore que tous les Nord millénaires antérieurs. Et cela, en dépit même de sa prise en cinéma documentaire et de sa mise en anthropologie. Et …

Appendices