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CANOBBIO, Éric, 2009 Géopolitique d’une ambition inuite. Le Québec face à son destin nordique, Québec, Septentrion, 342 pages.[Record]

  • Thibault Martin

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  • Thibault Martin
    Chaire de recherche du Canada sur la gouvernance autochtone du territoire, Département des sciences sociales, Université du Québec en Outaouais, Case postale 1250, succursale Hull, Gatineau (Québec) J8X 3X7, Canada
    Thibault.martin@uqo.ca

Cet ouvrage, par son exhaustivité et la finesse de son analyse, constituera, malgré quelques faiblesses, un repère dans les études sur le Nunavik et, d’une certaine manière, dans celles des relations entre le Canada et les Inuit. L’objectif du texte est de mettre en parallèle l’appropriation politique du Nunavik par les Inuit et par le Québec et d’analyser les conflits et les convergences que ce double processus de «régionalisation», selon la formule de l’auteur, engendre. Le texte est écrit avec élégance et l’auteur, bien qu’il propose des analyses complexes et entraîne parfois le lecteur dans des digressions, développe sa thèse de façon convaincante. Publié en 2009, ce livre ne peut débattre de l’échec du référendum sur la création d'un gouvernement régional du Nunavik. Alors que beaucoup de chercheurs avaient, comme moi, tablé sur son adoption qui apparaissait comme la conséquence naturelle du long processus d’autonomie gouvernementale des Inuit, Canobbio ne s’était pas prononcé sur ce sujet. Néanmoins, son analyse du processus d’acquisition de l’autonomie politique par les Inuit du Nunavik contient tous les éléments qui permettent de l’expliquer. Pour l’auteur, ce processus, qu’il qualifie d’étapiste (p. 300), s’alimente de contradictions et de tensions: tensions internes, d’abord entre les fondateurs du mouvement coopératif et les leaders issus de la négociation de la Convention de la Baie James, puis entre les tenants d’une économie fondée sur la redistribution communautaire et l’approche de Makivik, que Canobbio qualifie de néolibérale. Les conflits qui se sont déroulés à l’intérieur du Canada lui-même (référendums souverainistes, rapatriement de la Constitution, échecs des ententes constitutionnelles) ont constitué, selon lui, autant de séquences d’accélérations ou de réorientations de ce processus (p. 323). Sans oublier les tensions avec d’autres territoires, le Nunatsiavut (Terre-Neuve-et-Labrador) et le Nunavut (notamment pour le contrôle des eaux littorales); tensions avec les autres groupes autochtones ou distanciation d’avec ces derniers, tant au niveau régional avec les Cris, qu’au niveau national avec les Premières Nations. Chacune de ces interrelations plus ou moins conflictuelles a, selon Canobbio, contribué à définir les frontières matérielles du Nunavik, mais aussi ses frontières symboliques puisqu’elles ont permis aux Inuit d’affirmer leur propre vision du monde et de leur avenir. L’ouvrage de Canobbio articule plusieurs thèses qui se développent plus ou moins sur un continuum historique. J’en retiens cinq. Tout d’abord, celle que je viens de mentionner, l’étapisme tranquille inuit et l’importance des conflits et divergences dans la construction des contours politico-géographiques du Nunavik. La seconde suggère que le succès de la régionalisation du Nunavik repose à la fois sur son ancrage dans le Québec mais aussi sur son inscription dans l’oekoumène politique inuit. Cette inscription, les Inuit la concrétisent par leur participation aux institutions inuit tant nationales que circumpolaires, ainsi que par leur engagement dans la gestion de problématiques communes, telles que le changement climatique ou la protection de l’environnement. Cette intégration, malgré l’inscription dans des frontières provinciales distinctes, que d’ailleurs les Inuit assument (ils n’ont pas demandé à joindre le Nunavut) leur permet d’actualiser leur «appartenance [à] une civilisation cohérente, une sorte de Méditerranée polaire où les cultures régionales inuites et leurs interdépendances définissaient un espace communautaire historique et inaliénable […]» (p. 335). La troisième thèse veut que, tout comme la création du Nunavut est devenue le «meilleur élément de promotion» du fédéralisme (p. 158) et a permis au Canada de donner une plus grande légitimité à ses prétentions territoriales dans l’Arctique, la création du Nunavik atteste de la capacité de la fédération à se renouveler. En effet, c’est, selon Canobbio, en s’appuyant sur le lien tutélaire et sur le cadre institutionnel fédéral que les Inuit ont fait progresser la régionalisation …