Recensions

BORDIN, Guy, 2011 On dansait seulement la nuit. Fêtes chez les Inuit du nord de la Terre de Baffin, Nanterre, Société d’ethnologie, Anthropologie de la nuit, 3, 117 pages.[Record]

  • Fabien Pernet

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  • Fabien Pernet
    Direction des pratiques et valeurs inuites, Régie Régionale de la Santé et des Services Sociaux du Nunavik, C.P. 900, Kuujjuaq, Québec J0M 1C0, Canada
    fabien.pernet@ssss.gouv.qc.ca

À partir d’une ethnographie des fêtes des Inuit du nord de la Terre de Baffin, antérieures et postérieures à la conversion au christianisme, ce petit ouvrage — 117 pages — de Guy Bordin interroge sur cinq chapitres le rapport des Inuit à la nuit. Le chapitre 1 présente d’abord la région de Mittimatalik, et l’histoire des contacts successifs avec les Européens, baleiniers puis commerçants, depuis le début du XIXe siècle. Au XXe siècle, l’évangélisation de la région est d’abord le fait de prosélytes inuit, avant l’arrivée des missionnaires catholiques et anglicans, puis, contemporaine de la sédentarisation des années 1960, des églises pentecôtistes. Ce chapitre aborde ensuite le cadre nocturne à haute latitude, en proposant plusieurs définitions astronomiques du crépuscule, de la nuit arctique ou de la nuit polaire. L’auteur semble ici suggérer que ces définitions astronomiques reposent sur un lien entre nuit et obscurité, au contraire des conceptions inuit qui ne définissent pas la nuit par l’obscurité ni le jour par la lumière. Certains termes de la langue inuit qui désignent la nuit lumineuse du printemps, ou le jour obscur du coeur de l’hiver, offrent aux aînés d’excellents arguments pour souligner la dissociation entre nuit et obscurité, entre jour et luminosité. La nuit apparaît dès lors comme un phénomène façonné par des bornages aussi bien astronomiques que physiologiques, aussi bien sensuels que sociaux. Finalement, ce premier chapitre apporte quelques éléments dont la convergence suggère une certaine dévalorisation inuit du sommeil. Le sommeil apparaîtrait comme l’antithèse des valeurs positives attachées au travail ou à la sociabilité, et le rêve comme une source de vulnérabilité. L’auteur évoque également le phénomène de la paralysie du sommeil, assez fréquent chez les Inuit, une expérience généralement effrayante. Le chapitre 2 introduit le thème de la fête, en décrivant le cycle annuel des fêtes d’autrefois, antérieures à la conversion au christianisme. L’auteur s’appuie ici essentiellement sur la littérature ethnographique et mobilise des descriptions issues de tout l’Arctique central et oriental canadien. Par-delà la diversité culturelle de ces régions, il apparaît clairement que le coeur de la fête inuit est nocturne. La nuit est le moment privilégié des festivités, et les grandes séquences rituelles et festives sont ordonnées en fonction d’une partition entre jour et nuit. Au moment des premiers contacts avec les Européens, l’hiver apparaît comme une saison festive et rituelle intense. Plus précisément, la fin de l’automne et le début de l’hiver, lorsque l’obscurité se répand, sont l’occasion de rassemblements festifs, impliquant durant des heures chants, danses et jeux, et donnant lieu à d’importants partages de nourriture. À côté de ces festivités ordinaires, on retrouve en cette saison les grandes cérémonies rituelles (tivajuut à Iglulik, qulungirtut dans la région du Nord-Baffin) qui s’appuient sur ces mêmes séquences de danses, de chants, de jeux, mais mobilisent également l’intervention de chamanes. Début février, à Mittimatalik, le retour du soleil ne donnait pas lieu à une fête, mais faisait néanmoins l’objet de rites. C’est lorsque la lumière envahit à nouveau les jours et les nuits que les fêtes et réjouissances se faisaient à nouveau plus nombreuses, l’hiver s’achevant. Le retour de l’abondance alimentaire autorisait l’intensité festive et permettait de multiples rassemblements printaniers. L’été, les pratiques variaient significativement entre les régions, mobilisant de simples jeux, des divertissements familiaux, ou encore des rassemblements communautaires. Le chapitre 3 poursuit cet examen du cycle festif inuit en interrogeant les transformations du système cérémoniel et festif inuit détaillé au chapitre précédent, et l’établissement d’un nouveau calendrier festif, aligné sur celui du Canada, avec ses fêtes d’origine chrétienne et civile. L’auteur mobilise ici des données issues de son travail de terrain …