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En 1975, la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord Québécois (CBJNQ) marque un point tournant dans la quête d’autodétermination des Nunavimmiut. En matière d’éducation, on note, entre autres, que la création d’instances consultatives et décisionnelles au sein de la commission scolaire du Nunavik, Kaitivik Ilisarniliriniq (KI), représente un gain significatif quant à leur latitude décisionnelle. Malgré ces gains, il n’en demeure pas moins que le système d’éducation actuel traîne les legs de profondes injustices qui continuent de se faire ressentir jusqu’à ce jour (Rowan 2014). En effet, les inégalités entre les Nunavimmiut, groupe minoritaire involontaire au Québec, et les Qallunaat (non-Inuit), groupe ethnoculturel majoritaire dans la province québécoise et le Canada, continuent de placer l’élève inuk dans une position délicate où ce dernier doit apprendre à naviguer entre sécurité identitaire et adaptation au monde contemporain et globalisé (Maheux 2016 ; Pellerini et al. 2016 ; Kativik Ilisarniliriniq 2017a). Devant ce constat, il est essentiel de penser des pistes de solution qui permettent de répondre à ce double mandat du système d’éducation, sans toutefois mettre continuellement le fardeau de responsabilité sur l’élève. Étant Qallunaaq (non-Inuk) et travaillant depuis plus de deux ans pour KI à titre de conseillère pédagogique, cet essai est le résultat de nos réflexions académiques, professionnelles et personnelles, et propose une adaptation du modèle théorique d’intégration multiniveaux de Kanu (2011) afin de présenter une stratégie d’arrimage adaptée au contexte d’éducation du Nunavik. Après avoir présenté notre adaptation de ce modèle théorique, nous proposons les fondements épistémologiques et philosophiques qui peuvent sous-tendre le système d’éducation actuel. À la suite de quoi, les principes fondamentaux d’évaluation, des méthodes, stratégies et pratiques pédagogiques à privilégier sont suggérés. Finalement, les enjeux essentiels relatifs au contenu curriculaire et aux ressources didactiques sont survolés et les principaux objectifs d’apprentissage envisageables sont suggérés.

Modèle d’intégration multiniveaux de Kanu (2011) et espace tiers

Dans son livre, intitulé Integrating aboriginal perspectives into the school curriculum, Kanu (2011) s’est intéressée à la façon dont les perspectives autochtones devraient être incluses en classe et au sein du curriculum. C’est sur la base d’une recherche menée sur une période de deux ans en contexte mixte, au Manitoba, qu’elle développe un modèle conceptuel portant sur l’inclusion des perspectives autochtones en contexte scolaire. Ce modèle d’intégration multiniveaux peut être compris comme étant essentiellement vertical. En effet, les perspectives autochtones doivent être présentes à tous les niveaux, c’est-à-dire tant au niveau des objectifs d’apprentissage, du contenu curriculaire et du matériel didactique, des stratégies, méthodes et pratiques pédagogiques, des principes d’évaluation et des fondements philosophiques et épistémologiques du système scolaire. Bien que ce ne soit pas un élément central dans l’argumentaire de Kanu, nous tenons à souligner qu’idéalement, tous les niveaux seraient développés dans une perspective collaborative, en concertation avec les communautés, de manière à favoriser l’autonomie politique des Nunavimmiuts. En effet, tout comme McGregor (2012) l’a démontré dans son analyse du développement des programmes et curriculums scolaires de 1989, 1996 et 2007 au Nunavut, la contribution et les consultations locales sont un facteur clé dans le développement de programmes et de curriculum scolaires qui soient adaptés culturellement. Ceci dit, la figure 1 schématise notre proposition de l’intégration de l’Inuit Qaujimajatuqangit au système d’éducation du Nunavik et ce, en s’inspirant du modèle conceptuel de Kanu (2011).

Figure 1

Modèle d’intégration de l’Inuit Qaujimajatuqangit au système d’éducation (Turpin-Samson 2022)

Modèle d’intégration de l’Inuit Qaujimajatuqangit au système d’éducation (Turpin-Samson 2022)

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Bien que Kanu présente les niveaux à partir des objectifs d’apprentissage pour ensuite aborder les niveaux supérieurs, nous avons décidé de les présenter à partir des fondements philosophiques et épistémologiques, car nous jugeons que c’est à partir de ce niveau que les autres niveaux doivent être pensés, développés et appliqués. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un modèle d’intégration où la création d’un espace tiers garantit l’inclusion des perspectives autochtones. Cet espace tiers est un espace neutre qui permet à l’élève de négocier, par lui-même, les perspectives autochtones et occidentales. De cette façon, l’élève devient responsable d’arrimer les perspectives occidentales et autochtones qui se présentent à lui pour les intégrer de manière cohérente. Néanmoins, le processus est facilité lorsque l’enseignante ou l’enseignant, de même que les autres acteurs scolaires, adoptent une posture informée de leur propre identité culturelle et d’ouverture à l’altérité de manière à favoriser un processus réflexif sécuritaire chez l’élève. De cette façon, les divergences et les contradictions de l’élève peuvent désormais faire l’objet d’une articulation cohérente entre ses connaissances traditionnelles et celles occidentales, son intuition, sa spiritualité et son identité. De cette façon, l’intégrité de la culture autochtone est préservée et ses différences avec la culture dominante sont maintenues. Le développement des connaissances n’est pas un processus dualiste entre l’esprit et la rationalité, mais plutôt un processus holistique où l’élève doit créer un sens, une relation, entre les différents éléments qui l’entourent. Sans cet espace tiers, il pourrait être risqué d’adopter une approche additive qui articule préalablement les perspectives autochtones aux perspectives de la culture dominante, car le rôle actif de l’élève dans son apprentissage en serait atteint et une intégration superficielle des perspectives autochtones pourrait en résulter. Ceci dit, la section suivante expose les particularités épistémologiques à privilégier dans le système d’éducation du Nunavik.

Fondements épistémologiques du système scolaire

Les fondements épistémologiques sont la pierre angulaire d’un système d’éducation qui réponde aux besoins et aux particularités des apprenants nunavimmiut. À la lumière de nos lectures, nous avons identifié trois principales épistémologies à considérer dans les fondements du système scolaire du Nunavik : l’épistémologie inuit, l’éducation transformationnelle et l’éducation communautaire. Bien que les deux derniers ne soient pas explicitement identifiés par KI, nous nous sommes permis de les inclure, car leur fondement conceptuel permet d’adresser des enjeux spécifiques relatifs à l’éducation au Nunavik comme nous le verrons dans cette section.

Épistémologie inuit et continuité entre l’école, la famille et la communauté

La démarche collaborative ayant mené à la publication du document Inuit Qaujimajatuqangit: Education Framework for Nunavut Curriculum par le Gouvernement du Nunavut en 2007 est un bel exemple duquel le Nunavik peut s’inspirer afin d’offrir un système scolaire ancré dans l’épistémologie inuit. En effet, ce document fondateur de l’Inuit Qaujimajatuqangit (IQ) étaie de façon détaillée une vision inuit de l’éducation, ceci dans le but de développer une éducation qui favorise l’identité inuit (McGregor 2012). De plus, il établit quatre champs d’apprentissage sous-tendus par l’IQ où leur intégration se veut holistique à l’ensemble du curriculum scolaire (Gouvernement du Nunavut). C’est précisément dans cette même logique que l’épistémologie inuit doit être intégrée au système scolaire du Nunavik. Cette dernière doit être présente de façon transversale en éducation, c’est-à-dire à tous les niveaux, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons intégré une flèche qui représente l’IQ et qui traverse l’ensemble des couches du modèle multiniveau présenté à la figure 1. Il s’agit là d’une caractéristique essentielle du système scolaire des Nunavimmiut, afin d’éviter, autant que possible, d’adopter un modèle éducatif additif plutôt qu’holistique où les élèves, et les membres du personnel Inuit, sont confrontés à des conflits interculturels sur une base quotidienne et où ceux-ci doivent se dissocier de leur communauté, leur identité et leurs valeurs (Aikenhead et Elliott 2010). Pour cette raison, il est essentiel que l’éducation au Nunavik soit ancrée dans une épistémologie inuit et puisse ainsi garantir une continuité entre l’école, la famille et la communauté. C’est sur cette base épistémologique que s’est construit notre discours discursif du système d’éducation du Nunavik, pour ensuite s’intéresser aux fondements d’une éducation transformationnelle.

Éducation transformationnelle et justice sociale

Nous avons précédemment souligné qu’un modèle bi-culturel en éducation doit créer un espace neutre, c’est-à-dire un espace tiers, où l’apprenant peut négocier les savoirs qui se présentent à lui. Selon Mezirow (2000), nos croyances et notre contexte historique, culturel et biographique influencent ce processus de négociation dans la mesure où le tout doit être cohérent aux yeux de l’individu. Dans un contexte où le personnel enseignant est principalement issu d’un contexte culturel différent, plusieurs recherches en éducation au Nunavut et au Nunavik ont montré que les enseignantes et les enseignants qallunaat ont tendance à avoir un biais occidental-eurocentré dans leur interprétation de certains comportements chez leurs élèves (Aylward 2009 ; Berger 2009 ; McLean 2017). Plus spécifiquement, ces études ont démontré que le personnel enseignant peut parfois imputer les retards scolaires, le décrochage scolaire et l’absentéisme des élèves à une mésadaptation culturelle résultant de pratiques parentales ou culturelles inadéquates. Selon Aylward (2009), ce biais interprétatif peut limiter, à leur insu et malgré leurs bonnes intentions, le rôle d’allié que peuvent occuper ces acteurs scolaires. Il importe alors de changer leur angle d’analyse de sorte que ces comportements soient compris comme étant plutôt un symptôme d’un racisme institutionnel qui prône un système inadapté à leur réalité culturelle, sociale, historique, économique et identitaire (Schwan et Lightman 2015). Pour favoriser cette décentralisation personnelle, les enseignantes et les enseignants qallunaat doivent s’informer sur l’histoire de la colonisation et les relations sociales qui se sont développées à travers le temps (Goulet 2001).

C’est dans cette perspective de décentralisation personnelle que l’éducation transformationnelle devient un outil dans la lutte contre l’impérialisme cognitif tel que défini par Battiste (2019). Selon Davis et Roswell (2013), la pédagogie transformationnelle crée des expériences d’apprentissage significatives et réciproques qui transforment l’apprenant et la communauté. Dans une perspective épistémologique où la relation éducative vise principalement l’égalité plutôt que la hiérarchie (Goulet et Goulet 2014), l’éducation transformationnelle permet de créer des opportunités d’apprentissage où l’élève, comme l’enseignante ou l’enseignant, peut apprendre l’un(e) de l’autre. D’un côté, l’élève peut apprendre des connaissances qui lui sont transmises par les stratégies pédagogiques employées par le personnel enseignant. D’un autre côté, en étant confronté à sa position privilégiée grâce à une expérience d’apprentissage authentique, l’enseignante ou l’enseignant peut prendre conscience des injustices sociales présentes et passées. Ce faisant, il peut devenir un allié dans la transformation de l’asymétrie sociale et l’autodétermination des Inuit dans le domaine de l’éducation. En partageant désormais une vision commune des causes relatives aux écarts en matière d’éducation, les Qallunaat peuvent ainsi travailler de concert avec les Inuit, comme recommandé au point 7 des « Appels à l’action » de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015), où il est demandé au gouvernement fédéral : « d’élaborer, de concert avec les groupes autochtones, une stratégie conjointe pour combler les écarts en matière d’éducation et d’emploi entre les Canadiens autochtones et les Canadiens non autochtones » (2015, 349).

Éducation communautaire et autodétermination dans l’éducation des jeunes

De façon similaire à la pédagogie transformationnelle, l’éducation communautaire remet en question les inégalités au sein d’une société donnée, s’interroge sur leurs causes et dénonce l’illusion de l’égalité des chances et les conséquences de l’intériorisation de ce système discriminatoire, de manière à transformer le personnel enseignant et les élèves en agents de changement (Gruenewald 2003). Elle favorise la décolonisation et une réappropriation du territoire de par sa remise en question de certains fondements qui sous-tendent le système d’éducation actuel, en commençant par la présomption de supériorité du système d’éducation issue de la culture dominante (Gruenewald 2003 ; Smith et Sobel 2010). C’est en soulignant les contradictions et les incohérences entre le système d’éducation actuel et la communauté que l’éducation communautaire lutte contre les iniquités sociales et la discrimination systémique. Concrètement, elle remet en question l’agenda politico économique du système d’éducation dominant qui, de par sa nature compétitive, encourage les élèves à développer des valeurs individualistes dans l’optique du développement économique national. D’ailleurs, plusieurs études menées dans l’Inuit Nunangat (Berger 2007 ; Eriks-Brophy et Crago 2003) ont montré que le personnel enseignant issu de la culture dominante a davantage tendance à adopter un style d’enseignement qui favorise le développement de ces valeurs en comparaison avec leurs confrères et consoeurs inuit dont les pratiques sont plutôt orientées vers le développement de valeurs collectivistes telles que la coopération. Plutôt que d’encourager un système qui cultive le développement des forces principalement individuelles, l’éducation communautaire met l’accent sur ce que tous et chacun peut apporter à la communauté. Elle repose essentiellement sur les enjeux et les priorités des communautés où elle prend place avant de s’intéressant à des enjeux plus distaux et abstraits. En orientant l’éducation sur des enjeux qui les concernent tels que la langue, la culture et l’histoire, plutôt que sur les priorités socio-économiques nationales, les acteurs scolaires, agents de changements, peuvent contribuer à la décolonisation du système d’éducation, tout en encourageant le développement d’une identité collective à l’échelle communautaire. Plutôt que d’insister sur le fonctionnement de l’élève dans les deux cultures, point de vue typiquement adopté par les Allochtones, les préoccupations de la communauté sont au centre de l’éducation (Aylward 2009). De cette façon, l’éducation communautaire devient un outil dans la souveraineté d’un territoire et favorise un militantisme social, environnemental et économique (Schissel, Wotherspoon et Friesen 2002 ; Smith et Sobel 2010). La Fédération des Coopératives du Nouveau-Québec, fondée en 1967, est un bel exemple, car de par ses activités économiques et de gestion (construction d’hôtel, services bancaires, vente au détail, etc.), elle permet à de nombreux Nunavimmiut de développer une expertise utile à leur communauté, tout en favorisant leur autonomisation (Fédération des Coopératives du Nouveau-Québec 2018).

De même, l’éducation communautaire s’intéresse aux relations entre l’être humain, l’environnement qui l’entoure et les efforts de préservation pour les générations futures. Selon Smith et Sobel (2010), l’éducation communautaire adopte une vision écologique, c’est-à-dire une vision où l’Homme et la nature sont sur le même pied d’égalité et où les intérêts de l’un ne doivent pas surpasser ceux de l’autre. Ce faisant, l’éducation communautaire encourage le développement durable. Cette pédagogie responsabilise et engage les élèves et le personnel enseignant dans leur relation au monde qui les entoure dans la mesure où elle les encourage à prendre des actions sociales qui préservent son intégrité présente et future et contribuent au développement et au bien-être de la communauté. De par sa nature située, cette pédagogie se veut multidisciplinaire, interrelationnelle et expérientielle (Gruenewald 2003). C’est en prenant la communauté comme contexte d’apprentissage et comme appui dans le processus d’apprentissage qu’elle amorce l’enseignement des différentes matières en classe. Qu’importe la discipline, l’éducation communautaire prend racine dans la communauté, ses intérêts et ses préoccupations, favorise le vivre ensemble et utilise les connaissances et le savoir-faire local (Smith et Sobel 2010). Elle redonne une voix aux membres de la communauté dans l’éducation des jeunes. De cette façon, la socialisation et l’éducation des enfants reposent alors à nouveau sur l’ensemble de la communauté. Ce faisant, les parents, les aînés et les membres de la communauté peuvent se réapproprier l’éducation des jeunes conformément aux recommandations du Comité national sur l’éducation inuit (Inuit Tapiriit Kanatami 2011). De plus, en remettant la communauté au centre de l’éducation, cela permet d’adresser les critiques adresser envers les différentes initiatives politiques telles que le curriculum de l’Innuqatigiit dans les Territoires du Nord-Ouest (1996) ou encore l’Inuit Qaujimajatuqangit: Education Framework for Nunavut Curriculum au Nunavut (2007), selon lesquelles les spécificités locales ne sont pas suffisamment considérées (Aylward 2012). En effet, bien que les Inuit du Nunavut, du Yukon, du Nunavik et des Territoires du Nord-Ouest partagent plusieurs caractéristiques communes, il n’en demeure pas moins que chaque communauté détient ses particularités culturelles et langagières, et ce, même au sein d’une même région. C’est dans cette logique que la pédagogie communautaire dénonce non seulement les effets de la colonisation, mais permet aussi de renouer avec les coutumes et les traditions locales en vue de se réapproprier la relation au territoire, facteur essentiel à l’adaptation culturelle de l’éducation en contexte autochtone tel qu’identifier dans la méta-analyse de Sutherland et Henning (2009).

En somme, le système d’éducation du Nunavik doit s’ancrer dans une épistémologie inuit, transformationnelle et communautaire. De cette façon, l’éducation peut offrir des opportunités d’apprentissage tant aux élèves qu’aux enseignantes et enseignants, de sorte à faire de ces derniers des agents de changement. En prenant principalement appuie sur les enjeux puisant leurs racines dans leur communauté, un système d’éducation avec ces bases épistémologiques assure une continuité entre l’école, la famille et la communauté, oeuvre pour la transformation de l’asymétrie sociale et permet aux communautés de se réapproprier l’éducation des jeunes. Pour ce faire, cela exige néanmoins que les principes d’évaluation soient cohérents avec ces fondements épistémologiques.

Principes d’évaluation

Au Nunavik, comme ailleurs au Canada, une forte pression est exercée pour la standardisation de l’évaluation en éducation (Smith et Sobel 2010). Or, ne considérant pas les violences et les barrières systémiques auxquelles se heurtent les apprenants autochtones, ces tests, généralement développés par et pour des membres de la culture dominante, tendent à endosser et renforcer l’idée selon laquelle les Caucasiens sont supérieurs (Goulet et Goulet 2014) et mettent l’accent sur les lacunes plutôt que sur la consolidation des acquis (Canadian Council on Learning 2007 ; Inuit Tapiriit Kanatami 2011). Dans cette perspective, il importe que la conception de l’évaluation des apprentissages en contexte inuit soit révisée à la lumière des fondements épistémologiques présentés à la section précédente Plus précisément, nous avons identifié le développement des connaissances dans une perspective de Life-Long Learning et la mise en pratique de ces savoirs pour le bien-être de la communauté en tant qu’éléments clé dans une conception de l’évaluation qui soit plus adaptée culturellement.

Le Life-Long Learning et l’évaluation centrée sur la progression des apprentissages

En 2007, le Conseil canadien sur l’apprentissage (CCA) a développé en concertation le Life-Long Learning Model (modèle d’apprentissage au long de la vie) qui redéfinit la notion d’apprentissage et d’évaluation. Présenté à la figure 2, ce modèle décrit le processus à long terme qu’est celui de l’apprentissage.

Figure 2

Modèle holistique d’apprentissage tout au long de la vie chez les Inuit (Canadian Council on Learning 2007)

Modèle holistique d’apprentissage tout au long de la vie chez les Inuit (Canadian Council on Learning 2007)

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Selon cette conception, l’apprentissage d’une ou d’un Inuk prend place tout au long de la vie. Les apprentissages peuvent se faire de façon non structurée, c’est-à-dire à la maison et sur le territoire ; ou encore, de façon structurée, c’est-à-dire en classe et dans la communauté. Les savoirs développés la vie durant ont trait à trois domaines : la culture, la relation au territoire et les interrelations humaines. Ces sources de savoirs sont chacune constituées de sous-domaines (langue, tradition, nature, environnement, communauté, aînés et famille). Selon Tagalik (2009), c’est le développement de ces savoirs qui permet d’accroître sa sagesse et ainsi maîtriser les questions de la vie. Autrement dit, les apprentissages sont le résultat d’une vie où l’Inuk fait un lien entre ses connaissances acquises en contexte structuré et non structuré, à travers ses relations à la culture, son peuple et la mère-terre (Preston et al. 2015). Les 38 Inuit au sein de cette figure représentent les valeurs et convictions inuit (l’IQ) où les aînés, les parents, les membres de la communauté et les ancêtres assurent une transmission intergénérationnelle des connaissances. Enfin, l’ensemble de ces apprentissages permettent à l’Inuk de contribuer au développement du bien-être économique, social, environnemental et physique de sa communauté, en mettant à profit ses connaissances traditionnelles et occidentales acquises tout au long de sa vie. Selon Kanu (2011), ce dernier aspect du modèle de Life-Long Learning est particulièrement important dans l’évaluation de l’apprentissage. En effet, il soutient que la mise en pratique des connaissances acquises, et ce, en vue de favoriser le développement du bien-être de la communauté, est la méthode à suivre afin de savoir si l’élève a une profonde compréhension d’un phénomène donné. Sans considérer le contexte, la connaissance acquise n’est qu’un reflet d’une acquisition ponctuelle et circonscrite d’un savoir. Autrement dit, plutôt que de dissocier le contexte du savoir du savoir lui-même, les stratégies d’évaluation doivent tenir compte de cet aspect holistique dans le développement et la mise en pratique de ces savoirs. De plus, puisqu’une éducation épousant les fondements de l’éducation communautaire doit répondre aux besoins collectifs de la communauté, l’évaluation doit aussi porter sur la façon dont les savoirs de l’élève sont mobilisés en vue de les adresser. Concrètement, la tenue de journaux de bord ou encore de portfolios par les élèves afin de témoigner de leur progression serait une technique d’évaluation culturellement appropriée, car elle témoigne de la progression des élèves dans leurs apprentissages. Ce sont sur les fondements décrits à la section précédente et cette conceptualisation des pratiques évaluatives que doivent s’inspirer les méthodes, stratégies et pratiques pédagogiques au Nunavik.

Stratégies, méthodes et pratiques pédagogiques

À travers la littérature, on recense de nombreuses initiatives pédagogiques documentées ayant pris place au Nunavik. Cette section se veut une synthèse de ces pratiques pédagogiques qui sont cohérentes aux fondements épistémologiques de l’éducation et de l’évaluation en contexte inuit. Bien que nous présentions les différentes pratiques, méthodes et stratégies pédagogiques de façon distincte, il est à noter qu’elles ne sont pas mutuellement exclusives et que les initiatives présentées ne sont pas exhaustives. La figure 3 illustre de façon schématique l’ensemble des pratiques.

Figure 3

Synthèse des méthodes, pratiques et stratégies pédagogiques (Turpin-Samson 2022)

Synthèse des méthodes, pratiques et stratégies pédagogiques (Turpin-Samson 2022)

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Nous présentons tout d’abord le soutien de la communauté en donnant l’exemple des Learning Stories (histoires d’apprentissage), pour ensuite aborder l’implication des aînés illustrée par le Storytelling (partage de récit), et enfin, la pédagogie ancrée dans le territoire et l’apprentissage par expérience (observation et imitation).

Soutien de la communauté et les Learning Stories

Selon le Comité national sur l’éducation inuit, il est prioritaire de mobiliser les parents dans l’éducation de leurs enfants (Inuit Tapiriit Kanatami 2011). Pour ce faire, il est primordial d’accorder et de promouvoir l’idée selon laquelle les parents sont aux premières loges dans l’éducation de leurs enfants et qu’ils ont un pouvoir d’influence dans le contexte scolaire (Inuit Tapiriit Kanatami 2011 ; Taylor, de la Sablonnière et Bourgeois 2015). La communauté constitue un contexte d’apprentissage où les élèves peuvent travailler selon leurs intérêts, tout en contribuant au bien-être de la communauté. Dans cette perspective, les membres de la communauté deviennent des partenaires importants dans l’expérience éducative de l’élève. D’ailleurs, traditionnellement, la socialisation et l’apprentissage des enfants, autrement dit l’Inunnguiniq, sont une responsabilité collective suivant la logique où tout un village est requis pour élever un enfant (Tagalik 2009). Entourés de membres de leur communauté en qui ils avaient confiance, les jeunes se permettaient davantage de faire des erreurs et de poser des questions. En contexte de classe, il peut être difficile pour l’élève de faire des tentatives et ainsi prendre le risque de faire une erreur, car la relation de confiance se développe à travers le temps (Goulet et Goulet 2014). Or, étant donné que la reconnaissance des erreurs peut être une composante importante du processus d’apprentissage, la place de la communauté et des personnes en qui l’enfant a confiance est de mise en éducation. Le jeune doit se sentir à l’aise de commettre une erreur et pouvoir prendre le temps de le réaliser par lui-même. Au besoin, il peut demander de l’aide de la communauté et des gens en qui ils ont réellement confiance. Pour cette raison, il est essentiel de créer et de poursuivre les partenariats entre l’école et les membres de la communauté.

Le projet de Rowan (2013) offre un bon exemple du soutien de la communauté dans un contexte d’éducation à la petite enfance. Les Learning Stories sont une pratique pédagogique où les éducateurs photographient les enfants dans des situations quotidiennes, monitorant ainsi l’intérêt des enfants pour ses relations avec les autres, la terre et les objets qui les entourent. Par la suite, les éducateurs inuit sont appelés à narrer, à l’écrit et en inuktitut, les histoires qui immergent des photos des enfants. Les photos et leur histoire sont assemblées et le produit final est présenté aux familles, aux enfants et aux collègues afin que ceux-ci discutent des histoires et planifient les activités futures. Rowan (Ibid.) soutient que ces histoires mènent souvent à des discussions qui portent sur les savoirs traditionnels et favorise l’usage de l’inuktitut, et ce, tant pour les enfants que pour les éducateurs. Cela permet d’ouvrir un espace symbolique, et donc un espace tiers, où les uns et les autres peuvent entrer en relation dans un contexte culturel qui leur est pertinent. La famille ayant aussi une meilleure connaissance de ce que fait leur enfant à l’école, cela favorise une plus grande collaboration.

Implication des aînés de la communauté et le Storytelling

Outre le soutien de la communauté, l’implication des aînés au sein de l’éducation des jeunes est une composante clé à considérer (Aylward 2012 ; McGregor 2012). En effet, il importe de comprendre que, dans la culture inuit, les aînés détiennent un rôle et un statut particulier au sein de la communauté. De par leurs connaissances et la sagesse qu’ils ont développées, ils sont une source importante de savoirs en ce qui concerne l’identité autochtone, le territoire et ce qu’il comporte, l’histoire, la géographie et la biologie (Goulet et Goulet 2014). Dans cette perspective, il est primordial que l’éducation reflète cette place privilégiée qu’ils occupent. Pour ce faire, en contexte d’éducation formelle, les aînés peuvent être invités en classe afin de partager sur les savoirs traditionnels, tenir des cérémonies, des prières ou rituels (Archibald 2008 ; Goulet et Goulet 2014 ; Laugrand et Oosten 2009). Il est aussi possible d’inviter les aînés à partager des histoires et des anecdotes, autrement dit à pratiquer le partage d’expériences (Storytelling). Il est cependant important d’offrir un suivi pédagogique aux élèves de manière à favoriser des apprentissages multimodaux. Bien que le Storytelling puisse être une piste de solution afin d’impliquer davantage les aînés dans l’éducation des jeunes, il est important de noter que les aînés préconisent la démonstration de l’IQ plutôt que la verbalisation en tant que méthode de transmission (Laugrand et Oosten 2009). L’implication des aînés dans l’éducation ne peut donc pas se limiter au partage de récits (De Canck 2008). C’est pour cette raison que la section suivante traite de la pédagogie ancrée sur le territoire et de l’apprentissage par l’expérience.

Pédagogie ancrée sur le territoire et l’apprentissage par l’expérience

Le territoire ancestral, l’Inuit Nunangat, est un pilier de l’identité inuit où l’individu développe l’IQ à travers sa relation au territoire et aux expériences sensorielles authentiques qu’il lui propose (Somerville 2017). C’est principalement à travers l’observation et l’imitation d’un expert que l’apprenant développe ses capacités à exécuter une tâche (Kanu 2011). De son côté, l’expert s’assure que l’apprenant puisse bien observer ses actions et, lorsque requis, lui offre des explications plus précises sur le processus qui sous-tend la tâche en question. L’apprenant observe et pratique la tâche de façon mentale, de façon à maîtriser les étapes essentielles et en avoir une bonne représentation mentale. L’observation lui permet aussi de comprendre la rationalité entre la technique utilisée et le contexte. En développant par eux-mêmes la relation entre les caractéristiques du problème à résoudre et la solution utilisée, l’élève s’autonomise dans ses aptitudes de résolution de problèmes (Gruenewald 2003). Peu à peu, l’expert concède des responsabilités de plus en plus importantes à l’apprenant. Au besoin, l’apprenant peut s’orienter vers les membres de la communauté qui savent exécuter cette tâche en vue d’acquérir plus d’autonomie. Dans cette optique, la pédagogie ancrée sur le territoire favorise les liens sociaux, le travail d’équipe et la pratique des activités de subsistances, tout en s’inscrivant dans une transmission intergénérationnelle des apprentissages (Goulet et Harvey-Trigoso 2005 ; Gruenewald 2003 ; Smith et Sobel 2010). Non seulement la pédagogie ancrée sur le territoire peut porter sur des savoirs typiquement traditionnels, mais elle permet aussi d’arrimer les connaissances occidentales à un contexte d’apprentissage et des méthodes pédagogiques cohérentes avec l’épistémologie inuit. Soulignons tout d’abord que dans une culture où l’apprentissage se fait traditionnellement par observation et imitation, la culture alphanumérique en éducation ne permet pas de transmettre la réalité sensorielle de ce qu’elle décrit (Rasmussen 2001). Dans cette optique, des situations d’apprentissage offrant des expériences sensorielles authentiques sur le territoire et dans la communauté, tel que le prône la pédagogie transformatrice, deviennent une méthode pédagogique privilégiée afin de transmettre le contenu du curriculum scolaire. Dans la littérature, on recense de nombreuses initiatives pédagogiques ayant arrimé le contenu scolaire à la pédagogie ancrée sur le territoire. En effet, que ce soit concernant la fabrication d’armes de chasse, de trappes ou de pêche (Rowan 2017), la sculpture sur neige (Rowan 2015), des excursions sur le territoire (Students on Ice 2019), des activités artistiques traditionnelles telles que le travail de l’Alliat[1] (Waller et al. 2017), des enquêtes environnementales (Gérin-Lajoie et al. 2018) ou encore des projets en archéologique (Desrosiers et Rahm 2015), il existe plusieurs façons créatives de bâtir un pont entre les savoirs issus de la classe dominante et un contexte d’apprentissage traditionnel. Par exemple, notons la recherche de Gérin-Lajoie et ses collègues (2018) menée au Nunavik où un programme de suivi environnemental communautaire impliquant des jeunes, des aînés, des experts et des chercheurs dans le cadre de l’enseignement des sciences a été documenté. Dans le cadre de ce projet, différentes activités telles qu’un camp scientifique et le développement de compétences en sciences telles que la collecte de données ont pris part sur le terrain. Les connaissances et le savoir-faire des aînés ont aussi été inclus et ont ainsi pu être transmis lors de ces activités. Cette initiative a pris place à Kangiqsualujjuaq, aussi connu sous le nom de George River, où la communauté s’inquiétait des impacts environnementaux sur la rivière George en raison de nouveaux travaux miniers dans la région. De cette façon, une expertise locale a pu être développée en vue d’assurer le suivi des impacts environnementaux de ces travaux, tout en développant une relation de confiance entre les différents acteurs du projet. Autrement dit, ce projet a favorisé l’autodétermination des Kangiqsualujjuaqmiut, tel que la prône la pédagogie transformationnelle, tout en adressant des préoccupations locales conformément aux principes de l’éducation communautaire, et ce, en incluant des modes transmission des connaissances cohérents à l’épistémologique inuit.

En somme, en prenant ancrage dans l’épistémologie inuit et les fondements de l’éducation transformationnelle et communautaire, de nombreuses pratiques, méthodes et stratégies pédagogiques peuvent être adoptés, et ce, tant en contexte d’éducation formelle qu’informel. Qu’importe le contexte, il est essentiel de comprendre que le contexte d’apprentissage ne peut être dissocié de la connaissance elle-même, car l’interaction avec ce contexte est en elle-même source de connaissance. Bien que ce ne soit pas des catégories mutuellement exclusives, le soutien de la communauté, la participation des aînés et la pédagogie ancrée dans le territoire épouse des principes desquels peuvent découler de nombreuses pratiques pédagogiques culturellement appropriées telles que les Learning Stories, le Storytelling, des expéditions sur le territoire ou des enquêtes environnementales.

Contenu curriculaire et ressources didactiques

Selon la recherche de Stevenson (2014) menée auprès de 25 enseignantes et enseignants Inuit, le matériel et le contenu pédagogique sont le plus souvent tirés du curriculum scolaire fourni par la commission scolaire et, dans une moindre mesure, des connaissances des aînés. Or, le contenu curriculaire est loin d’être neutre et reflète généralement une vision du monde occidentale-eurocentrée (Berger 2009). Pour cette raison, il est essentiel que les aînés et les membres des communautés soient impliqués dans le développement du contenu curriculaire et des ressources didactiques afin d’assurer une réelle intégration de l’épistémologie autochtone, ou, dans ce cas-ci, inuite (Aikenhead et Elliott 2010 ; Goulet et Goulet 2014). Autrement, les savoirs traditionnels risquent d’être inclus de façon superficielle et être représentés d’une façon folklorisée, ce qui peut mener à une mésinterprétation des savoirs autochtones, contribuer au maintien de l’ordre social établi et nourrir un sentiment d’impuissance chez les élèves autochtones (Battiste 2019 ; De Canck 2008 ; Kanu 2011). Parallèlement, cela implique que les membres du personnel Qallunaat et Inuit doivent être formés pour l’intégration de ces savoirs au sein de leur pratique, car le sentiment d’autoefficacité et de compétence des enseignantes et des enseignants est un facteur déterminant pour l’intégration de ces savoirs (Aylward 2012 ; Lewthwaite et Renaud 2009).

Au Nunavik, l’implication des aînés dans le développement des programmes scolaires fait partie des orientations stratégiques de KI en vue de renforcer les valeurs, la langue et la culture inuit (Kativik Ilisarniliriniq 2017b). Néanmoins, il reste du travail à accomplir en vue d’intégrer la vision des Inuit dans le curriculum scolaire comme en a témoigné l’article de Sarah Rogers (2018) publié dans le journal Nunatsiaq News. Dans son article, la journaliste rapportait que malgré le désir de KI d’inclure les perspectives inuit au nouveau curriculum en histoire, en y incluant notamment leur apport et leur vision de l’histoire du Québec, leurs commentaires n’ont pas été considérés dans l’élaboration de ce nouveau curriculum scolaire (Ibid.). Dans ce contexte, Robert Watt, président de KI, a déclaré que : « We were put in a position where it became very difficult not to perceive the ministry of education as being more interested in getting us to endorse the history program as it was, rather than genuinely seeking our collaboration to improve it » (cité in Rogers 2018). Cet exemple illustre l’importance de l’autonomie politique des Inuit afin de réduire le racisme systémique auquel ils continuent de faire face. Comme nous l’avons mentionné précédemment, cette autonomie politique, combinée à un développement en concertation et à des consultations locales, est essentielle à tous les niveaux, y compris au niveau du contenu curriculum et du matériel didactique, de sorte que le système d’éducation reflète une épistémologie inuit.

Objectifs d’apprentissage

Tel que stipule le plan stratégique 2016-2023 de KI, l’éducation au Nunavik doit permettre à l’apprenant de devenir un homme ou une femme à part entière, c’est-à-dire Inuguiniq (Kativik Ilisarniliriniq 2017b). Selon Pernet (2009), cela implique une conjonction des représentations traditionnelles et occidentales. Alors que traditionnellement, cela sous-tend le développement de l’IQ dans une perspective de Life-Long Learning et d’apport à la communauté, dans le contexte scolaire actuel, cela fait aussi référence à l’insertion socioprofessionnelle de l’apprenant. Cette insertion est notamment assurée par le développement des aptitudes reliées aux différentes matières du curriculum scolaire. Bien que nous pourrions présenter les apprentissages à réaliser dans l’ensemble de ces matières, nous avons décidé d’axer cette section sur les aspects plus culturels à acquérir par les apprenants, et ce, notamment grâce aux différentes méthodes pédagogiques présentées précédemment. Mentionnons simplement que l’ensemble des matières du curriculum scolaire et leurs objectifs d’apprentissage doivent être développés, enseignés et évalués en cohérence avec l’épistémologie inuit et les fondements d’une éducation transformationnelle et communautaire. Ceci dit, les lignes qui suivent proposent les principaux objectifs d’apprentissage en matière de culture inuit et d’inuktitut.

Culture inuit et inuktitut

Le développement d’une forte identité culturelle, des valeurs et habiletés inuit ainsi que l’appréciation des arts, de la littérature et de la musique inuit, le tout dans le respect de la diversité culturelle, font partie des principaux objectifs d’apprentissage poursuivis par KI (Kativik Ilisarniriliq 2017b). Pour Kanu (2011), les objectifs d’apprentissage en matière culturelle doivent faire appel aux valeurs (par exemple, le respect des êtres humains et de la nature), aux croyances (par exemple, la spiritualité et les interrelations) et aux pratiques traditionnelles (par exemple, le rôle des aînés dans la communauté, la chasse, la pêche et la couture), de même qu’aux événements historiques qui les concernent (par exemple, les traités historiques, CBJNQ). À la lumière de nos lectures, nous ajouterons à ces objectifs d’apprentissage le développement du leadership inuit et la maîtrise de l’inuktitut, car il s’agit selon nous, d’éléments clés dans l’autonomisation et l’autodétermination des Inuit du Nunavik. Selon le modèle développé par Docherty-Skippen et Woodford (2017), le leadership inuit fait appel au développement de la pensée critique, la créativité et l’innovation, la collaboration, la force de caractère, les valeurs éthiques et la participation citoyenne, de même que les aptitudes en technologies de l’information. Le développement de ces aptitudes de leadership dans une perspective de Life-Long Learning favoriserait une contribution authentique de la part des apprenants à la société moderne. D’ailleurs, selon le Canadian Council on Learning (2007), l’éducation doit permettre aux jeunes inuit d’appliquer leur savoir-être, leur savoir-faire et leur savoir-agir traditionnels aux institutions de façon à contribuer à la résolution de problèmes modernes. En poursuivant des objectifs d’apprentissage qui contribuent positivement au développement de l’identité culturelle, tant en contexte formel qu’informel, les apprenants peuvent se développer en tant qu’être humain à part entière, c’est-à-dire sans avoir à se dissocier de leur identité culturelle afin de réussir dans la société occidentale. La langue étant une composante identitaire importante, il s’avère essentiel qu’elle soit elle aussi aux premières loges de l’éducation des jeunes du Nunavik en vue de favoriser leur autodétermination telle que le stipule l’Article 14 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007) selon lequel les Inuit ont le droit de dispenser un enseignement dans leur propre langue au sein des établissements scolaires. Bien que l’enseignement jusqu’à la troisième année du primaire se fasse généralement en inuktitut, passé ce niveau, les élèves subissent une rupture drastique où l’inuktitut devient pratiquement absent des salles de classe (Berger 2016). Or, comme plusieurs études ont démontré, la maîtrise de la langue maternelle favorise un meilleur apprentissage dans une langue seconde et est ainsi essentielle afin d’éviter une situation de bilinguisme soustractif (Armand, Hardy et Lemay 2014 ; Presseau et al. 2006).

En somme, outre les objectifs en lien avec les matières du curriculum scolaire, il importe que l’éducation en contexte inuit contribue à l’identité culturelle grâce au développement des valeurs, des croyances, des pratiques, d’un leadership traditionnel et de l’inuktitut, le tout dans une perspective d’épistémologie inuit et de Life-Long Learning.

Conclusion

En conclusion, cet article, inspiré du modèle multiniveaux de Kanu (2011), présente différentes pistes de réflexion afin de favoriser le développement d’un système d’éducation au Nunavik qui permette à l’élève inuk de réussir dans la société contemporaine, et ce, tout en préservant son identité culturelle. Pour répondre à ce double mandat, nous jugeons essentiel que le système d’éducation prenne ancrage dans une épistémologie inuit. En raison de la cohérence épistémologique, l’éducation transformationnelle et communautaire sont également des fondements prometteurs pour répondre à cette mission éducative particulière.

Quant aux pratiques évaluatives, le modèle du Life-Long Learning offre une cohérence épistémologique indéniable, car la progression des apprenants est considérée de façon holistique plutôt que strictement cognitive. De surcroît, les savoirs ne pouvant être dissociés de leur contexte, il est essentiel que les stratégies pédagogiques reflètent cette vision holistique et interrelationnelle du monde. C’est pourquoi le soutien de la communauté, l’implication des aînés, la pédagogie ancrée sur le territoire et l’apprentissage par échafaudage sont toutes des stratégies pédagogiques à privilégier en contexte d’éducation au Nunavik.

Comme KI bénéficie d’une plus grande autonomie politique, l’implication des aînés dans le développement du curriculum scolaire et du matériel didactique est nécessaire afin que le tout soit représentatif des savoirs et des points de vue inuit. La solidification de l’identité culturelle étant une orientation stratégique de KI, le développement des valeurs, des croyances, des pratiques, du leadership Inuit et de la maîtrise de l’inuktitut deviennent d’importants objectifs d’apprentissage à poursuivre. Compte tenu de l’ensemble de ces enjeux et défis, il est essentiel de travailler de pair avec les communautés afin de développer un système d’éducation qui soit ancrée dans une épistémologie inuit, et ce, à tous les niveaux.

À la lumière de nos lectures, et compte tenu du manque de personnel au Nunavik, nous croyons que la formation initiale et continue du personnel enseignant, de même que l’amélioration des effectifs du personnel Inuit, sont des points pivots dans les pistes d’intervention. Par exemple, que ce soit en offrant et en facilitant des opportunités de stage au Nunavik et ainsi laisser un espace institutionnel à l’épistémologie inuit dans les Universités québécoises, ou encore en encourageant l’intérêt et la motivation pour la formation enseignante de personnel Inuit grâce à un système d’éducation qui leur ressemble davantage, il importe de se distancer de l’uniformisation des programmes de formation qui prône généralement une vision occidentale-eurocentrée de l’éducation et ainsi lutter ensemble contre l’hégémonie de la culture dominante en éducation.