PrésentationÉmile Ollivier : écrire l’infini des possibles[Record]

  • Christiane Ndiaye

Toutes les contributions qui composent ce dossier étaient déjà rédigées, lorsque survint l’annonce du décès d’Émile Ollivier. Elles sont donc rédigées au présent de l’oeuvre vive.

Dans un article de 1957 intitulé « Où va le roman ? », Jacques-Stéphen Alexis prônait l’enracinement dans la culture populaire comme démarche pour garantir le renouvellement de l’esthétique du roman et la création d’une littérature véritablement haïtienne. Il concluait, naturellement, que ceux qui abandonnaient leur pays pour aller s’installer en Occident ou ailleurs étaient condamnés à l’échec, en tant qu’écrivains, convaincu qu’il était que ces migrants deviendraient des « écrivains occidentaux, à moitié occidentaux, ni chair ni poisson ; [ne pouvant] développer leurs moyens, voire s’épanouir, leur talent, et leur art, devient chaque jour moins original, moins authentique ». Si peu après ces prédictions guère rassurantes, de nombreux écrivains, dont Émile Ollivier, ont dû s’exiler, cette diaspora fort productive a, depuis, largement démenti les propos pessimistes d’Alexis. Loin de perdre leurs racines, cette génération d’écrivains nomades s’est forgé une identité-banian, selon l’expression de René Depestre. Tout en conservant leurs liens avec l’imaginaire du pays natal, ces écrivains ont plongé de nouvelles racines dans leurs pays d’accueil, et leur art s’en est enrichi et n’en est devenu que plus original, contrairement à ce qu’avait prévu Alexis. L’oeuvre d’Ollivier, à cet égard, est à la fois exemplaire et unique. Auteur de quatre romans, deux recueils de nouvelles, un récit autobiographique et de nombreux essais, Ollivier est aujourd’hui parmi les plus primés des auteurs haïtiens (Prix Jacques Roumain en 1985, Grand Prix du livre de la ville de Montréal en 1991, Prix Carbet en 1996, Chevalier de l’Ordre des arts et lettres de France en 2000, etc.), mais son oeuvre demeure paradoxalement largement méconnue par la critique. Si ses lecteurs sont nombreux, la critique ne semble pas savoir sur quel pied danser devant cette « écriture métisse » et, jusqu’à présent, a plutôt opté pour le silence. Les articles réunis dans ce dossier cherchent à briser ce malheureux mutisme de la critique en faisant ressortir la spécificité esthétique de l’écriture d’Ollivier tout en situant l’oeuvre dans l’histoire littéraire québécoise et haïtienne. Parmi les souvenirs d’enfance consignés dans Mille eaux, Ollivier note à plusieurs reprises l’impression de vivre dans un univers dont il ne connaît pas le code secret. « J’avais devant moi le réel et je supputais ce qui serait ou ne serait pas, et je m’épuisais à faire le tour du champ trop mouvant des possibles. » Le lecteur de l’oeuvre d’Ollivier ne peut manquer de constater que c’est aussi cette même démarche que poursuit son écriture, en quête, inlassablement, des mots justes pour dire l’infini des possibles. Traversant l’histoire haïtienne, les eaux et les océans, le continent américain, des vies et des espaces urbains labyrinthiques, cette « écriture métisse » s’élabore à partir d’une esthétique du questionnement qui se refuse à toute affirmation illusoirement rassurante… identitaire ou autre (d’où la déroute, sans doute, de la critique). Engageant le dialogue avec les modes multiples du dire et de l’être, des contrées enneigées du Nord comme de l’espace clos de l’île accablée de chaleur, les textes d’Ollivier invitent le lecteur à se méfier des certitudes et du déjà dit. Tout reste toujours à dire et à redire, à lire et à relire. Les lectures réunies ici ne prétendent pas révéler le code secret de l’univers d’Ollivier ; elles s’attachent plutôt à situer cette oeuvre remarquable dans son contexte littéraire et à faire ressortir certaines des caractéristiques marquantes de cette écriture-banian aux déracinements et enracinements multiples. Par ailleurs, aucune étude ne pouvant embrasser l’ensemble des oeuvres d’Ollivier et les multiples problématiques soulevées par celles-ci, chaque essai porte sur un aspect particulier tel qu’appréhendé dans un ou plusieurs textes, si bien que ce …

Appendices