Études

Méconnus faute de mieux[Record]

  • François Ouellet

L’intérêt des chercheurs pour les oeuvres d’écrivains méconnus du XXe siècle n’a probablement jamais été aussi vif. Cet intérêt semble avoir pris forme vers la fin des années 1970, avant de devenir un phénomène éditorial dans les années 1980, où plusieurs écrivains méconnus profitaient d’une « revie littéraire ». Cette expression devait servir de titre à la rubrique dirigée par Paul Renard à partir de juin 1987 dans la revue Roman 20-50. Le premier article de la rubrique, rédigé par son responsable, porta sur la réédition des romans d’Emmanuel Bove. On ne pouvait mieux choisir pour témoigner de l’intérêt qu’il y avait à redécouvrir un écrivain : Bove, dont l’oeuvre fut entièrement rééditée (réédition qui a entraîné la publication de nombreux inédits) avec un succès inespéré, allait devenir en quelque sorte le porte-drapeau de la cause des méconnus. Certes, il fallait que cette oeuvre, si puissamment novatrice dans les années 1920 et d’une actualité criante aujourd’hui, soit de qualité exceptionnelle ; aucun autre romancier réhabilité depuis n’a d’ailleurs connu autant de succès que Bove, dont l’oeuvre continue de faire l’objet de manifestations ponctuelles. Mais il n’y a pas que Bove, et nombre d’écrivains méconnus ont depuis été largement commentés. Plusieurs études ont été menées, en particulier depuis la toute fin des années 1990. Citons par exemple la publication des actes du colloque « La revie littéraire » tenu à Lille en 1998, où il s’agissait « de favoriser une réflexion commune sur le phénomène éditorial de la “ revie littéraire ” », les travaux et colloques organisés par le LERTEC (Lecture et réception du texte contemporain) à Lyon 2 autour de Jean Reverzy, Henri Calet, André Dhôtel ou Emmanuel Bove, entre autres, ou encore la rubrique « Écrivains méconnus du XXe siècle » dont je suis responsable dans la revue Nuit blanche, rubrique qui ouvre parfois ses pages à des écrivains dont aucun titre n’est offert sur le marché (tandis que la rubrique de la revue Roman 20-50 traite d’auteurs dont les oeuvres ont été fraîchement rééditées). Les raisons de cet intérêt sont sans doute multiples et peuvent s’expliquer aisément. Le contexte historique de la Libération et le discours existentialiste expliquent déjà en bonne partie l’oubli dans lequel ont sombré nombre d’oeuvres dont la valeur littéraire était évidente, mais dont le profil politique faisait défaut — ou était idéologiquement inapproprié — au projet social de la IVe République. C’est ainsi que Bruno Curatolo remarquait qu’il y avait une constante dans les oeuvres des écrivains ayant fait l’objet d’une étude sous la rubrique « La revie littéraire » entre 1987 et 2000 : le pessimisme. Ces oeuvres, qui appartiennent très majoritairement à la première moitié du XXe siècle, « brossent, chacune à leur manière, un paysage “ noir ”, cette teinte qui convient si bien à notre fin de siècle et que les romans réédités depuis une dizaine d’années exprimaient avec une force parfois trop brutale pour leur époque ». Dans les années 1950, les nouveaux romanciers allaient volontairement proposer des oeuvres apolitiques qui dérangeaient les critiques attachés aux valeurs humanistes en cours depuis l’entre-deux-guerres. Il est évident que la critique, de façon générale, devait par la suite construire son panorama de la littérature de la seconde moitié du XXe siècle principalement à partir de ce clivage philosophique et esthétique. Tout le monde sait que le roman du XXe siècle commence tout juste au moment de la Première Guerre mondiale avec Proust et Alain-Fournier, qu’il connaît des développements remarquables dans l’entre-deux-guerres avec Gide, Giono, Malraux, Céline et quelques autres, qu’il fait place ensuite …

Appendices