Débat

Regards sur l’ouvrage de Catherine ThomasThomas, Catherine, Le mythe du XVIIIe siècle au XIXe siècle  (1830-1860), Paris, Librairie Honoré Champion, 2003.[Record]

  • François-Emmanuël Boucher

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  • François-Emmanuël Boucher
    Collège militaire royal du Canada

Voici un ouvrage fort documenté et d’une originalité indéniable dont l’objet central est l’analyse des représentations du XVIIIe siècle dans la littérature du deuxième tiers du XIXe siècle. Catherine Thomas y explique que contrairement aux contre-révolutionnaires, à Barruel, par exemple, à Joseph de Maistre, à Bonald, à Chateaubriand, au jeune Hugo ou au premier Lamennais, de nombreux écrivains, à partir de 1830, ont inventé un « imaginaire du XVIIIe siècle nettement positif  » qui deviendra, pour certains d’entre eux, le « refuge contre la laideur  » de leur propre modernité. D’un XVIIIe siècle aride et destructeur, le plus souvent perçu, du moins dans la vulgate réactionnaire, comme la cause des dysfonctionnements sociaux et la source des malheurs humains, Arsène Houssaye, les frères Goncourt, Jules Janin, Théophile Gautier et les « fantaisistes » découvrent, représentent ou imaginent un tout autre siècle dont la caractéristique première est d’être « éminemment artistique  ». À l’image froide du philosophe railleur et cynique succèdent, dans d’innombrables discours, le charme de la cour de Louis XV, les beautés des récits intimistes, la frivolité de l’esthétique rococo, l’élégance de l’esprit aristocratique ; autant d’attributs qui font défaut à ce que, du même coup, l’on définit et l’on représente comme le bourgeois typique de cette période. L’un des mérites de ce livre est la description minutieuse à partir d’un corpus précis des mécanismes de la représentation du passé et de la récupération de l’histoire du XVIIIe siècle dont la logique, certes, est de connaître et de mieux comprendre une époque donnée ; de mettre en scène de lointaines origines et de trouver des filiations, mais aussi et surtout de construire un espace dans lequel l’on en vient à projeter l’image, le fantasme, le « mythe » d’un monde qui serait à la hauteur de ses propres aspirations esthétiques. Le deuxième tiers du XIXe siècle ne découvre pas un nouveau XVIIIe siècle dans le sens où soudainement le théâtre de Voltaire semblerait admirable ou, encore, l’oeuvre d’Helvétius une référence obligée. Comme le montre Catherine Thomas dans la première partie de son livre, les « seconds romantiques » affichent toujours des réticences sérieuses lorsqu’ils traitent spécifiquement de l’Encyclopédie ou de l’épisode de la Révolution. L’admiration se manifeste seulement lorsque, peu à peu, l’on parvient à se représenter un XVIIIe siècle à l’extérieur du territoire traditionnellement occupé par les Lumières, un XVIIIe siècle où l’influence de Montesquieu, de Mably, de Condorcet ou de Robespierre serait paradoxalement inexistante. Houssaye, les Goncourt, Janin, Gautier et les autres ne renversent pas la dialectique propre au discours contre-révolutionnaire en admirant soudainement ce qui était détesté jusqu’alors, mais plutôt en affirmant de nouveaux intérêts dont la nature première serait d’être apolitiques. Le XVIIIe siècle devient d’autant plus maniable qu’il se fractionne en fonction des goûts littéraires et des points de vue. Comme le remarque Catherine Thomas, il n’y a pas seulement la fascination pour les maîtresses de Louis XV qui transparaît maintenant dans différents récits, romans ou études de moeurs qui sont publiés entre 1830 et 1860. De façon générale, les richesses de la cour, la finesse des manières, la vie de salon, les fêtes galantes, l’existence des aristocrates libertins suscitent désormais l’enthousiasme de plusieurs. Comme l’auteure l’explique dans la deuxième et la troisième partie de son ouvrage, le regard sur le XVIIIe siècle se métamorphose radicalement pendant cette période d’une trentaine d’années de sorte qu’il incarne de moins en moins une philosophie ou un projet politique pour devenir le symbole du sommet d’une civilisation qui serait dépourvue de finalité utilitaire. « Face au …

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