Poésie

La vocation[Record]

  • Jean-Noël Pontbriand

Lorsque j’atteignis l’âge de douze ans, comme le Christ présenté au Temple, le moment était venu pour moi de reconnaître ma vocation. Cela hantait mon âme depuis des années, mais je n’avais jamais pris le temps de m’arrêter pour considérer cette tentation dans les yeux, afin d’y découvrir ce pour quoi la Providence m’avait créé et mis au monde, comme je pouvais le lire dans mon petit Catéchisme que je finis par connaître bien mieux que mon nom et mon identité, deux choses qui ne me seront longtemps révélés que par les dires de mes proches, de même que leurs souhaits les plus stérilisant pour mon originalité À cette époque, devenir un saint ne me tourmentait d’aucune façon. J’avais l’âme remplie de lumière et courais dans la poussière de la route, mon être rempli d’une joie que je savourais, sans m’en rendre compte. J’étais en bonne santé, et je réussissais même, dans les meilleurs moments de ma vie, à m’amadouer l’amour de ma mère. Il ne me manquait donc rien, sinon de conquérir cet amour maternel d’une façon permanente et, pour ainsi dire, éternelle. Devenir, donc, en cachette, comme elle le souhaitait, sans se l’avouer, son amant dévoué et obéissant. C’est grâce à un songe que je finis par comprendre que le recours à ma vocation pourrait m’aider à réaliser ce voeu. Il y a des choses qui ne se révèlent à nous qu’au compte goutte, souvent même, comme ce fut mon cas, qu’au bout de notre âge ou presque. Le reste du temps, on se contente d’à peu près ou, pire encore, de banales vérités nous tenant lieu de dogmes et de religion. C’est dans ces eaux que je nageais au moment où la question de ma vocation vint me hanter. Je venais de rater mon certificat de septième année, avec très grande distinction. Ce qui faisait de moi un candidat idéal pour la vie errante passée à servir n’importe quel maître, en espérant qu’il accepte que je lui rende service, moyennant un casse-croûte occasionnel ou un verre d’eau fraîche, à condition que l’amour me prenne dans ses bras. C’est certain que cette dernière condition ne va pas de soi. L’amour, on en entend parler, même avant notre naissance. Tout le monde le dit : c’est la chose la plus merveilleuse du monde, il n’y a rien de plus beau que de tomber dedans sans même s’en apercevoir : suffit que le soleil brille, que le petit bois soit hanté, et que la belle dorme dans son cercueil de verre, en attendant la résurrection des morts et la délivrance des âmes du purgatoire. Une bagatelle, quoi. Cela peut arriver à n’importe qui. Suffit que les astres soient bien alignés et que le coeur nous tourne dans la direction contraire à celle des aiguilles d’une montre. Malheureusement, je ne connaissais pas la direction des aiguilles d’une montre, parce le cadran familial était solaire. Mais j’avais du coeur à revendre et de la bonne volonté plein mes bottines. C’est pourquoi je battais le lièvre régulièrement malgré la lenteur proverbiale avec laquelle je m’acquittais des tâches journalières imposées à mon emploi du temps par mon père. Je venais donc de rater magistralement les examens qui m’auraient permis, si je les avais réussis, de rêver à je ne sais quel avenir nimbé d’ambitions et nourri à la ferveur d’être reconnu par les gens qui ont de la galette dans leur poche, du mépris pour tout ce qui n’est pas eux-mêmes, et un château sis au pied d’une montagne, en face d’une mer étale et d’un lever de soleil en perpétuelle ébullition. Mais la …

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