Débat

Valère Novarina, dramaturge romantique ou « post-romantique » ?[Record]

  • Guillaume Asselin

…more information

  • Guillaume Asselin
    Cégep Marie-Victorin

Compte tenu de l’ample bibliographie critique qui entoure désormais l’oeuvre novarinienne, toute nouvelle parution doit justifier la pertinence et l’originalité de son apport. C’est sous l’angle du rapport à « l’étranger », une dimension négligée jusqu’ici, que ls deux directeurs de ce collectif ont choisi de renouveler la lecture de cette oeuvre tout aussi inspirée qu’inspirante. Il ne s’agit pas seulement de rendre compte de la place des langues étrangères dans le texte novarinien ou du travail d’« étrangement » auquel est soumis le français qui, décapité et détourné de ses formes et de ses usages traditionnels, sonne lui-même de façon étrange, à mille lieux de ce qu’on est habitué d’entendre mais, tout aussi bien, de mettre en lumière la façon dont les multiples traductions que l’oeuvre semblait décourager a priori n’ont pas trahi mais bien servi le texte original, en le révélant sous un nouveau jour. C’est ce dont témoigne Christophe Feutrier dans son entretien avec Olivier Dubouclez, affirmant n’avoir perçu le sens et la performativité propres à l’écriture novarinienne qu’à travers sa traduction en langue étrangère, le premier texte lu en français lui étant tombé des mains. « L’épreuve de l’étranger » aura ainsi permis de rendre perceptible la « matière verbale », la pâte phonique à quoi une trop grande familiarité avec sa propre langue maternelle peut rendre sourd. Toute la force du théâtre novarinien tient précisément à cette « puissance de désorientation » invitant à « se désaliéner du réel », pour reprendre le titre de Didier Plassard — à cette capacité qu’il a de déterritorialiser la perception en débarrassant l’esprit et le langage des catégories et des empreintes qui entravent la saisie organique des mots et des choses dans leur nudité et leur surgissement, enfouis sous tout un fatras de projections et de préconceptions. En témoignent les renversements spatiaux et perspectifs, que Céline Hersant interroge dans une réflexion fort stimulante sur la place et l’importance de la référence géométrique dans le texte novarinien qui rejoint, sur ce plan, la fascination d’Artaud pour la géométrie sacrée dont le poète a pu observer les mystérieuses figures chez les Tarahumaras. C’est l’occasion de noter, avec Elena Galtsova, que Novarina entretient un rapport complexe à la tradition ésotérique et alchimique qui, similaire à celui d’Artaud et de Vitrac sur plusieurs points, s’en distingue par un travail de déformation et d’hybridation langagière qui a plus à voir avec les avant-gardes étrangères, comme le zaum des Futuristes russes, ainsi qu’en fait foi la traduction du Jardin de reconnaissance par Ekaterina Dmitrieva. Prenant La scène pour exemple, Marco Baschera, de son côté, montre comment l’oeuvre novarinienne sape les fondements mêmes du théâtre et de la représentation en faisant voler en éclats les notions de personne et de personnage. Inversant la fonction d’identification que recouvrait le prosopon (masque, visage) dans le théâtre grec, le théâtre novarinien fait de la personne le lieu d’une dépersonnalisation radicale, affranchissant la pensée et le jeu du principe d’identité par le « sacrifice comique » de l’acteur. On ne peut, dans cette optique, qu’être frappé par les ressemblances entre cette écriture qui élève le sacrifice au rang de paradigme (i. e. la notion, centrale, d’« acteur sacrifiant ») et la pensée iconoclaste d’un Georges Bataille. Faut-il pour autant en conclure avec Désirée Lorenz et Tatiana Weiser que la charge transgressive et insurrectionnelle des deux oeuvres finit par se diluer en une forme de réconciliation avec le christianisme, dont Bataille et Novarina reconduiraient la métaphysique platonicienne sous le rapport d’une négativité sans emploi, pris au piège d’une réflexivité dont ils n’arriveraient pas à se déprendre, écrivant et …

Appendices