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Boris Vian en son deuxième siècle[Record]

  • Marc Lapprand

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  • Marc Lapprand
    Université de Victoria (Colombie-Britannique)

Dans sa désopilante « Conversation avec un adjudant » (1958), Boris Vian par autodérision évoque la multiplicité de ses talents qu’on lui reconnaît sans peine aujourd’hui, mais qui nous fait oublier que de son vivant cela a pu lui jouer de mauvais tours. Chez ce touche-à-tout de génie, on avait trop souvent oublié le génie. Et ce n’est pas pour rien que ce sont deux éditeurs des « mauvais genres » (la formule est de Pascal Ory, infra) qui ont révélé au grand public une oeuvre romanesque et poétique largement méconnue à la disparition de son auteur. Boris Vian est né le 10 mars 1920. La brève carrière artistique de cet ingénieur de formation l’a consacré tout à la fois comme romancier, poète, nouvelliste, dramaturge, chansonnier, scénariste, chroniqueur et traducteur. Artiste protéiforme, Vian fut aussi un trompettiste de jazz reconnu dans la brève période de l’après-guerre, doublé d’un critique de jazz apprécié, et même un librettiste inattendu dans les années 1950. Boris Vian est-il devenu un classique malgré lui, à la faveur notamment de la parution en 2010 des deux tomes de ses Oeuvres romanesques complètes à la Bibliothèque de la Pléiade ? Cette première question sous-tend le présent dossier, car si Boris Vian est devenu une sorte de figure de culte en France et au Québec, notamment par ses chansons truculentes et son humour décapant, a contrario voici un écrivain encore largement boudé par l’université. Comment expliquer ce phénomène ? Parallèlement à cela, on peut se demander si le succès commercial de Vian en Pléiade a créé un réel gain culturel symbolique auprès d’un lectorat aguerri et plus intellectuel, en proportion inverse de l’image tenace d’un écrivain pour adolescents, ou, pire encore, celle d’un saltimbanque vaguement anarchisant. Ce dossier Vian aux Études littéraires effectue une mise à jour salutaire des avancées de la critique de cet écrivain, y compris sur des adaptations qui continuent de fleurir dans son oeuvre. Il ne s’agit de rien de moins que d’une nouvelle relève, dont nous ne pouvons que nous réjouir. On y découvrira d’innovantes théories de la lecture et de l’herméneutique en général : on n’a pas encore fini de lire et d’interpréter l’oeuvre de Bison Ravi. Nous ne lirons en l’occurrence ici que du neuf, tant sur le plan de l’exégèse que sur celui de documents de première main jamais auparavant utilisés. Pourrait-on même avancer que l’adaptation inattendue de L’Écume des jours au cirque démontre encore et toujours l’inépuisable vitalité de ce roman ? Rappelons qu’il a déjà été adapté plusieurs fois au cinéma, à l’opéra et au théâtre. À cet égard, l’analyse du film de Michel Gondry que proposent Thomas Carrier-Lafleur et Guillaume Lavoie est tout à fait inédite, d’autant plus que le relatif insuccès de cette adaptation cinématographique n’a pas généré les études qu’on aurait pu en attendre. Et que dire de la sortie en 2020 d’On n’y échappe pas, roman policier commencé par Vian (55 feuillets manuscrits) et achevé par une demi-douzaine d’enthousiastes oulipiens ? Boris Vian serait bel et bien devenu un membre anthume de l’Oulipo, si l’on extrapole un tant soit peu la démonstration de Christophe Reig. En amont de ce numéro s’est donc tenu un colloque (le dernier de l’ère pré-Covid) les 12, 13 et 14 mars 2020 à l’Université de Victoria en Colombie-Britannique. L’événement voulait en quelque sorte asseoir l’écrivain dans son deuxième siècle posthume, indépendamment du copieux battage médiatique dont il a été l’objet pendant l’année de son centenaire, qui avait d’ailleurs tendance à occulter un tant soit peu l’écrivain au profit du portrait tout en clichés dont on pouvait …

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