Liminaire

Introduction au dossier « Whose right to the city ?/Le droit à la ville, pour qui ? »[Record]

  • Antonin Margier and
  • Lucas Melgaço

Le “droit à la ville” s’est imposé ces dernières années comme un concept clé, autant dans les sphères académiques que dans les mouvements issus de la société civile ou au sein des politiques publiques. Des institutions onusiennes aux mouvements citoyens de réappropriation de l’espace urbain, l’accessibilité de la ville pour tous est devenue une préoccupation fondamentale. En formulant ce concept de « droit à la ville », Lefebvre (1968) référait à une réappropriation des processus de décision et des outils de production de la ville par ses habitants. En ce sens, le « droit à la ville ne peut se concevoir comme un simple droit de visite ou de retour vers les villes traditionnelles. Il ne peut se formuler que comme un droit à la vie urbaine , transformée, renouvelée » (Lefebvre, 1968 :108). L’affirmation et la participation de chaque citoyen au devenir de la ville devaient ainsi réduire les inégalités, limiter les formes de ségrégation et favoriser l’éclosion d’une ville plus inclusive et démocratique. Or, plus de 40 années après la parution du « Droit à la ville », force est de constater que les inégalités et les rapports de domination n’ont guère fléchi. Une importante partie de la population urbaine, au nord comme au sud, continue d’être mise à l’écart des aménités urbaines. Des logiques d’entre-soi (Donzelot, 2004) tendent à orienter la production de l’urbain, qui se fragmente en une multitude d’enclaves, attribuant à chaque individu sa place selon son statut social. Certaines minorités voient progressivement leur accès se restreindre aux espaces publics, qu’il s’agisse des sans-abri (Mitchell, 1997 ; Zeneidi-Henry, 2002), des vendeurs ambulants (Crossa, 2009), des prostituées (Hubbard, 2004) ou des jeunes (Malone, 2002), et l’individu consommateur semble se substituer progressivement au citoyen (Santos, 1987). Pour aborder de manière critique ces phénomènes, de nombreux chercheurs ont mobilisé le concept de « droit à la ville », de manière orthodoxe ou en le déformant et en l’adaptant aux contextes locaux. Par ailleurs, de nombreux responsables politiques ont utilisé ce terme comme un slogan, légitimant des pratiques souvent éloignées de l’idéal lefebvrien (Costes, 2010 ; Souza, 2010 ; Attoh, 2011). Du fait de sa flexibilité et des multiples lectures qu’il offrait dès son émergence, ce concept a acquis au fil du temps des significations variables, ce qui a progressivement réduit sa clarté et sa portée analytique. D’autant plus que l’application et la mise en œuvre du “droit à la ville” pour certains groupes peut participer à la mise à l’écart d’autres groupes, dont la présence est considérée comme un obstacle au déploiement de ce droit. Si le « droit à la ville » est souvent mobilisé dans une perspective critique par les chercheurs, son recours par les citoyens traduit souvent des rapports de domination et il se résume alors surtout à un droit dont bénéficieraient principalement les groupes dominants. En lançant cet appel, nous avions l’ambition d’éclairer ces ambiguïtés et de voir comment les chercheurs aujourd’hui s’emparent du « droit à la ville », le détournent et le transforment, ou même le rejettent. À cet égard, si les auteurs de ce numéro s’inscrivent dans une certaine filiation avec l’approche de Lefebvre, la plupart d’entre eux s’emploient surtout à actualiser ce concept et à l’inscrire dans la complexité de l’urbain contemporain. En insistant sur la notion de classe, Lefebvre tendait en effet à faire du citoyen urbain un membre de la classe ouvrière (Purcell, 2002), réduisant ainsi la diversité de la population urbaine et l’importance des enjeux liés au genre, au racisme, à l’âge, pourtant fondamentaux dans l’accessibilité de tous à la ville. C’est ce « biais de classe …

Appendices