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Introduction

« Rompre avec les pratiques non durables pour construire ensemble le territoire où nous voulons vivre demain : plus équilibré, plus intense et plus solidaire, plus agréable et plus sain… ». Tel est le préambule du document de planification (Schéma de cohérence et d’orientation territorial, SCOT, 2012) de la Région Urbaine de Grenoble (RUG) déclinant les principes de durabilité dans la perspective de réduire les concurrences entre territoires au profit d’un modèle d’équilibre entre les pôles de l’armature métropolitaine.

Le modèle de la « ville durable » s’est d’abord basé sur l’idée de densifier les centres urbains et de contrer l’étalement dans les zones moins denses (Burgess, 2000 ; Burton, 2000; Burton et al., 2003). Aujourd’hui, cette approche suggérant une densification du principal pôle urbain est sensiblement nuancée puisqu’à l’échelle régionale comme locale, le modèle polycentrique est prôné pour penser le développement durable de territoires où les villes et leurs espaces environnants sont en interaction réciproque (Halbert, 2006 ; Riguelle et al., 2007 ; Nahrat et al., 2009). En effet, les espaces de vie des habitants des régions urbaines ont largement reconfiguré les modèles de dépendance entre le centre et ses périphéries, amenant à reconsidérer les hiérarchies au sein des systèmes urbains (Berroir et al., 2012). Si les centres influencent l’ensemble de l’espace urbain et structurent la répartition des populations et des activités et leurs interactions, leur émergence en périphérie – habituellement plutôt résidentielle - peut être une opportunité de rapprochement des populations périphériques aux emplois et de réduction de la ségrégation spatiale dans la ville (Mignot et al., 2004). Ainsi, dans les politiques d’aménagement du territoire, le polycentrisme est justifié par des objectifs d’équité territoriale à l’échelle nationale, et de lutte contre la ségrégation spatiale à l’échelle intra-urbaine (Baudelle et Peyrony, 2005). L’association qui pouvait être faite entre compacité des villes et mixité socio-fonctionnelle (Newman, 1999 ; Roseland, 2000) fait donc débat (Long et al., 2012). L’existence d’un centre secondaire peut renforcer la ségrégation (spatial mismatch) ou, au contraire, être une opportunité de rapprochement et d’intégration des populations fragiles pour accéder à l’emploi et aux logements abordables (Bouzouina, 2008). La création des effets non-ségrégatifs d’une telle polarité secondaire est liée à la présence d’autres aménités quotidiennes et leur accessibilité effective pour les habitants et entreprises (Grannelle, 2004).

Dans certains cas, les pôles secondaires restent subsidiaires par rapport au centre historique (Anas et al. 1998), mais ils peuvent parfois exercer une véritable concurrence en absorbant les fonctions principales du centre (Sivitanidou, 1996). C’est leur complémentarité au centre de l’aire métropolitaine et entre pôles secondaires qui semble intéresser davantage des aménageurs et économistes dans le contexte métropolitain post-industriel (Anas et al. 1998; Gaschet, 2001). L’obtention d’un équilibre entre subsidiarité et complémentarité des pôles, par rapport aux emplois mais aussi par rapport aux aménités présentes, est également l’objet des interventions des macro-agents : des gouvernements urbains et/ou des promoteurs d’immobilier (Henderson, Mitra, 1996; Gaschet, 2003). Les politiques publiques des gouvernements communaux et métropolitains s’attachent alors à coordonner urbanisme et transport, notamment sur la base de documents de planification à moyen-long termes, afin de rechercher des équilibres entre le renforcement et la diversification des activités et aménités autour des pôles et la maîtrise des déplacements vers ces polarités.

Dans ce contexte, le propos de l’article consiste à s’interroger sur la structuration et le rôle des espaces périphériques moins denses dans la mise en œuvre d’un développement urbain durable à l’échelle régionale. Souvent les diagnostics des territoires se basent sur des analyses de stocks (population, revenus, emplois) pour déterminer notamment la hiérarchie urbaine, mettant alors plutôt en exergue des centralités économiques majeures. Pourtant, la structuration des espaces tient aussi à la multiplicité des lieux d’activités dont résultent les mobilités aux motifs variés des habitants (loisirs, achats, emplois). Ainsi, nous proposons d’étudier l’organisation des pôles urbains de la région urbaine grenobloise (800 000 habitants) à partir d’une analyse des déplacements de différents motifs (Enquête Ménages Déplacements, 2010).

Nous exposons d’abord (partie 1) les termes du débat scientifique qui remet en cause l’idée que l’étalement urbain n’est pas nécessairement incompatible avec un développement durable des espaces métropolitains, amenant à réfléchir au rôle de centralités intermédiaires que peuvent occuper certains pôles dans les espaces périphériques moins denses.

Nous expliquons ensuite (partie 2) la méthode utilisée pour définir les différentes dimensions de la polarisation des communes basée sur les données d’une enquête ménages et déplacements dont nous discutons les intérêts et limites pour une telle analyse.

Puis nous présentons le terrain d’étude (partie 3) avant de développer et analyser nos résultats (partie 4), puis de discuter (partie 5) de la portée potentielle de ces analyses pour éclairer des stratégies de développement durable veillant à l’équilibre et à la solidarité interterritoriale au sein de grandes régions urbaines.

1. Développement durable et étalement urbain : une incompatibilité remise en cause

En Europe comme en France, la « ville durable » est mise à l’agenda politique au tournant des années 2000. Adossée à certaines recherches scientifiques, l’une des dimensions de la vision de la ville durable développée dans les chartes politiques et les documents de planification des territoires est basée sur la maîtrise de l’étalement de la tâche urbaine au profit d’une densification des espaces déjà fortement urbanisés. En effet, la « ville durable » doit être moins consommatrice d’espace afin de préserver les ressources d’espaces naturels, agricoles et forestiers ; elle doit maîtriser les coûts induits par l’étalement, notamment ceux de l’extension des réseaux ; elle doit mettre un frein à la croissance (en intensité et en distance) des déplacements individuels, notamment automobiles, tout en favorisant des modes alternatifs. Ces objectifs amènent à promouvoir la densification d’espaces centraux urbanisés aux fonctions et usages mixtes (la ville compacte), repoussant le modèle urbanistique des zones moins denses des périphéries urbaines qui a prévalu en Europe (comme en Amérique du Nord) dans la deuxième moitié du XXème siècle. La déclinaison de ces principes de la ville durable s’inscrit progressivement au fil des trois dernières décennies au niveau européen - livre vert sur l’environnement urbain (1990), charte d’Aalborg puis de Leipzig (1994 / 2007) - au niveau national en France - lois sur l’air (LAURE1996), loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain, 2000), lois Grenelle 1 et 2 (2009 et 2010) - et localement au sein des communes et groupement de communes - les PLU (Plans Locaux d’Urbanisme), PDU (Plan de Déplacement Urbain) et les SCOT (Schéma de Cohérence Territoriale).

Les maux attribués à cette structuration urbaine étalée reposent en partie sur l’interprétation de travaux scientifiques comme ceux de Newman et Kenworthy (1989) montrant une relation décroissante entre la consommation énergétique liée au transport et la densité. Pour autant, ces analyses sont aujourd’hui largement débattues, comme le soulignent Nessi et al. (2016), et force est de constater que la compacité apporte aussi son lot d’externalités négatives en matière de durabilité (surcoût des constructions, congestion, îlots de chaleur, vulnérabilité des populations compactées face à certains risques par exemple). En contrepoint de cette image négative attribuée aux marges urbaines peu denses et fortement dépendantes des pôles au sein d’un système urbain hiérarchique et emboîté, se dessine aujourd’hui une approche rendant compte de relations infra-régionales entre les espaces denses et peu denses suivant des formes réticulées parfois complexes et laissant la place à différents types de centralités (Ota et Fujita, 1993).

En effet plusieurs programmes nationaux initiés par les Ministères de l’Aménagement du Territoire et du Développement Durable ont soutenu des travaux scientifiques (Programme du PUCA 2011) qui démontrent que l’évolution économique, sociale et environnementale constatée de ces espaces ne confirme pas nécessairement (c’est à dire pas toujours et pas de manière univoque) les effets attendus. Aujourd’hui Le Néchet et Nessi (2016) rassemblent les résultats de plusieurs recherches plaidant pour de « Nouveaux regards sur le périurbain ». Les démonstrations développées apportent des éléments confirmant que les espaces moins denses autour des métropoles ont gagné progressivement en autonomie et souffrent moins des effets de dépendance qui conduisaient notamment aux effets non durables des mobilités induites. L’analyse de pratiques d’achat et des structures commerciales (Berroir et al., 2016), l’étude des processus d’ancrage et de valorisation des ressources de proximité dans les territoires périurbains (Thébert et al., 2016), constituent autant d’éléments de preuve illustrant comment les habitants de ces espaces disposent de marges de manœuvre potentielles (Le Néchet et Nessi, 2016) pour faire évoluer leur pratique et leur besoin de mobilité dans une perspective de durabilité.

D’autres travaux s’intéressant aux pratiques et aux représentations sociales des habitants du périurbain montrent comment les habitants développent déjà des « imaginaires mobilitaires » où la durabilité est incorporée comme un système de valeurs (Feildel et al., 2014). Émergent alors de ces valeurs récentes des systèmes de mobilité mêlant de manière astucieuse l’affirmation d’un mode d’habiter non concentré avec des ressources organisationnelles basées sur des solidarités collectives et des agencements temporels flexibles (Pradel et al., 2014 ; 2015).

Nous retenons de l’ensemble de ces travaux qu’il faut aujourd’hui s’affranchir d’une vision de stricte dépendance des espaces périphériques au centre à l’échelle des régions urbaines, au profit d’une analyse de logiques multipolaires, ou polycentriques. Ceci n’induit pas de démultiplier des centres de proximité mais de rechercher – à l’échelle des régions urbaines - des équilibres entre des centralités aux fonctions complémentaires. A l’heure où un Français sur quatre habite les espaces périurbains ou ruraux, où un tiers réside en banlieue pour un tiers restant dans une ville-centre, à l’heure où 60 ans de croissance urbaine et d’aménagement de réseaux de transport interurbain ont structuré les territoires (Talandier et al., 2016), il y a un enjeu évident à vouloir aussi s’appuyer sur les ressources de ces espaces urbains moins denses et considérer le potentiel de centralités intermédiaires pour contribuer aux objectifs d’un développement durable aux échelles régionales.

2. Approche fonctionnelle des centralités métropolitaines

L’objectif de l’étude présentée ici est de proposer une méthode pour détecter les potentiels de centralités intermédiaires dans un espace métropolitain basé sur l’analyse des pratiques de mobilité quotidienne. Selon Caldera et al. (2009), nous pouvons distinguer deux types d’approches pour identifier les centralités urbaines : celles qui se basent sur des mesures de densités et de concentration de personnes (Tsai, 2005 ; Galster et al., 2001; Lee, 2006), d’emplois ou de services supérieurs, par exemple (Shearmur et al., 2007 ; 2008) et celles qui privilégient les approches fonctionnelles à partir, notamment, de l’observation des flux. Notre méthodologie s’inscrit dans ce deuxième choix. Ainsi, de nombreux auteurs ont mis en évidence des échelles de centralités en travaillant sur des flux (de personnes, d’informations, de richesses, etc.) comme indicateurs de polarités (Gordon et al., 1986 ; Bourne, 1989 ; Gordon et Richardson, 1996 ; Aguilera, 2005), voire de relations réciproques entre les pôles et leurs espaces environnants (Berroir et al., 2003, 2006, 2012.; Davezies et Talandier, 2014). La plupart de ces travaux se concentrent sur l’analyse des flux de personnes entre le domicile et le travail pour estimer l’intensité de polarisation des communes par l’emploi au sein d’une même aire urbaine. Cependant, caractériser l’évolution des espaces métropolitains en raisonnant seulement sur les attributs des navettes domicile-travail empêche de considérer la transformation des espaces de vie des populations. En effet, les personnes ne réalisent plus leurs différentes activités dans les mêmes lieux, le déplacement vers le travail pouvant se diriger vers un pôle urbain majeur, mais le déplacement vers un lieu de loisir pouvant répondre à une autre logique. De plus, essayer de définir les polarités d’une région urbaine sur les seuls déplacements vers l’emploi implique, de fait, de laisser de côté la population non active, soit 53 % de la population française en 2011. Il semble donc important de caractériser les potentialités des territoires périphériques en termes de centralités répondant aux pratiques et aux besoins des populations (Commenges, 2011). C’est pourquoi nous proposons de déployer les méthodes habituellement utilisées pour l’analyse de flux domicile-travail à l’ensemble des flux de mobilité quotidienne. L’ambition est de définir, hiérarchiser puis caractériser les centralités intermédiaires par le prisme des différents motifs de déplacements des personnes et de leurs ménages décrits dans l’Enquête Ménages et Déplacements (EMD – 2010).

2.1. Intérêts et limites de l’enquête ménages et déplacements pour analyser les centralités métropolitaines

Définir les polarités à l’échelle régionale grâce à l’observation des pratiques spatiales des individus oblige à mobiliser les données recueillies directement auprès des ménages. Nous proposons ainsi de nous appuyer sur les données d’une enquête ménages et déplacements, car elle donne à voir un instantané de l’ensemble des déplacements quotidiens sur un périmètre justement défini en fonction de la réalité des pratiques des espaces de vie des populations. Ce type d’enquête s’appuie sur un échantillon représentatif des habitants du périmètre choisi. Tous les membres de plus de cinq ans des ménages interrogés décrivent l’ensemble de leurs déplacements effectués pendant les 24 heures précédant le jour de l’enquête, tous motifs confondus (34 modalités décrivant des motifs qui peuvent être regroupés par domaines d’activités proches). L’enquête ménages déplacements 2010 de la région grenobloise a été menée auprès de 7 600 ménages tirés au sort parmi 97 secteurs de tirage, qui regroupent 354 communes. Au total 16 000 personnes interrogées ont effectué plus de 62 000 déplacements en une journée. Des coefficients de redressement, basés sur la commune de résidence, la taille et la motorisation des ménages, sont ensuite appliqués à l’échantillon qui représente ainsi 800 000 personnes générant un peu plus de 2,8 millions de déplacements par jour ouvré. Nous utilisons pour nos analyses les données redressées de l’enquête.

Pour les objectifs de notre étude, nous choisissons de considérer l’ensemble des déplacements décrits dans l’enquête correspondant aux motifs liés au travail (travail sur lieu habituel, travail sur un autre lieu, recherche d'emploi), aux achats (multi-motifs en centre commercial, grand magasin, super, hyper, petits et moyens commerces, marché couvert ou plein vent), ainsi qu’aux loisirs (loisir, activité sportive, culturelle et associative, promenade, lèche-vitrines, restauration hors du domicile ; ne sont pas pris en compte les visites à la famille et aux amis) et qui représentent 70 % de l’ensemble des déplacements hors accompagnement d’autres personnes. Notons cependant qu’une limite de cette enquête est de ne pas prendre en considération les déplacements des fins de semaines, ce qui masque une part importante des pratiques et destinations récréatives qui reste de fait à ce jour très mal renseignées en France.

La méthode d’échantillonnage utilisée pour cette enquête ménages déplacements implique une représentativité des populations au niveau des secteurs de tirage dont les limites sont déterminées sur des critères de représentativité statistique pour les besoins de l’enquête. Ces zonages ne correspondent à aucun territoire administratif et/ou politique et/ou fonctionnel de bassin de vie ou déplacements de la population. La localisation géographique des déplacements est adossée à un zonage plus fin (appelé zones origine-destination) qui varie en fonction de la densité de population. Les zones les plus fines peuvent être infra-communales alors que les plus grandes ne dépassent jamais les limites communales. C’est donc sur la base des zones origine-destination que nous travaillons, avec la commune comme maille d’analyse. Conscientes des impératifs de représentativité statistique qu’induit le passage de la zone de tirage à l’échelle communale, nous souhaitons néanmoins rester au plus près des périmètres décisionnels de l’action publique agissant sur l’aménagement des territoires. Nous proposons donc de traiter les données de l’enquête ménages déplacements au niveau communal en limitant nos analyses sur les communes recevant les principaux déplacements quotidiens des populations puisque l’objectif de la méthode est d’identifier les centralités périphériques. Ainsi, les communes les moins denses, les moins peuplées, polarisant très peu de flux de déplacements - et pour lesquelles l’incertitude statistique est réelle - sont exclues de notre analyse, comme nous l’expliquons ci-dessous.

2.2. Définir des centralités multidimensionnelles

Avant de pouvoir classer et caractériser les centralités à une échelle régionale, nous devons déterminer quelles sont les communes qui attirent les principaux déplacements quotidiens des populations. Ainsi, la première étape de l’analyse consiste à sélectionner les seules communes attirant les premiers flux de plusieurs communes pour au moins deux motifs (parmi les trois : travail, achat, loisirs). Sont ainsi retenues 55 communes où résident 65 % de la population totale de la région, mais qui captent à elles seules 83 % des flux des trois motifs considérés.

Le tableau 1 décrit la répartition de la population et de leurs déplacements entre l’ensemble des communes de l’enquête et les communes sélectionnées pour notre analyse.

Fig. 1

Tableau 1 - Effectifs de population et de déplacements des communes sélectionnées et des autres communes

Tableau 1 - Effectifs de population et de déplacements des communes sélectionnées et des autres communes

Source : SMTC, Enquête Ménages Déplacements de la grande région grenobloise, 2010, disponible à l’adresse suivante : http://www.smtc-grenoble.org/enquete-menage-deplacements-2010

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Ce premier tri effectué, il importe de tenir compte de la pluralité des formes de polarisation pour classer et qualifier les communes à partir des différents motifs de mobilité individuelle. Les différents critères de polarisation proposés par Berroir et al. (2003) à partir des données de flux domicile-travail en Île-de-France constituent un socle méthodologique intéressant et ré-appropriable pour notre étude. Cette méthode permet en effet de considérer les polarités sur la base des relations entre les communes selon plusieurs aspects, que ce soit des effets de masse, d’intensité de la relation ou bien encore de niveau de dépendance. Les auteurs définissent ainsi pour chaque commune, cinq critères avec :

  • pour l’effet de « masse critique », le critère 1 qui est égal au nombre d’emplois d’un pôle et le critère 3 qui correspond au nombre de communes qui envoient au moins 10 flux vers le pôle;

  • pour l’effet de « poids relatif », le critère 2, à savoir la densité d’emplois par rapport à son environnement spatial et le critère 4 égal au nombre de communes qui envoient au moins 10% de leurs flux vers un pôle;

  • pour les « flux majeurs », le critère 5 qui correspond au nombre de communes qui envoient leur premier flux vers un pôle.

La construction de ces critères permettant de considérer la multi-dimensionnalité des polarisations spatiales peut être adaptée aux différents motifs de déplacements que nous permet d’introduire l’EMD. La méthodologie que nous avons développée s’inspire donc de cette approche en la modifiant légèrement et en l’élargissant aux trois motifs de déplacements (travail, achats et loisirs) (encadré 1).

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2.3. Classer et qualifier les centralités

La seconde étape de notre méthode repose sur un classement des 55 communes retenues, selon une méthode classique de ranking, en fonction des scores obtenus pour chaque indicateur (I1 à I6, cf. encadré) sur chacun des trois motifs de déplacement. La moyenne des rangs obtenus pour les quatre effets sur les trois motifs permet alors de calculer un indicateur synthétique de polycentralité pour chaque commune. Grâce à cet indicateur synthétique, nous dressons finalement une typologie dont l’objectif est de caractériser les fonctions de chacun des pôles révélées par les motifs de mobilité des habitants. Cette méthode associée à l’utilisation des Rhô de Spearman permet de neutraliser les valeurs extrêmes dans la construction des axes, particulièrement présentes au départ de notre jeu de données, puisque nous comparons des petits pôles périurbains à une commune comme Grenoble. Ensuite, une classification ascendante hiérarchique (CAH) a été conduite sur les deux premières composantes principales, qui expliquent 91% de l’inertie totale du nuage de points. Nous retenons une partition en quatre classes.

3. La région urbaine grenobloise comme terrain d’étude

La région urbaine de Grenoble est enserrée au sein de trois grands massifs montagneux (Vercors, Chartreuse et Belledonne) qui sont certes vecteurs d’aménités naturelles et touristiques, mais qui limitent aussi le développement urbain dans les fonds de vallées et sur leurs premiers contreforts (carte 1). Dans ce contexte, les enjeux environnementaux sont saillants car les populations regroupées dans les vallées font face à des problèmes quotidiens de congestion et s’exposent à des niveaux de pollution dépassant souvent les seuils réglementaires européens.

L’étendue spatiale que nous considérons dans notre étude se déploie sur 90 km du Nord au Sud, 85 km de l’Est à l’Ouest et englobe une population de 800 000 habitants dont le grand pôle urbain de Grenoble (500 000 habitants), mais également une multitude d’unités urbaines plus modestes en volume mais qui connaissent les plus fortes dynamiques de croissance de la région. Le périmètre de notre étude dépasse celui considéré par le Schéma de Cohérence Territorial, englobant des communes plus périphériques mais dont les pratiques de mobilité des habitants s’insèrent à l’échelle régionale. Il correspond au périmètre défini pour l’Enquête Ménages et Déplacements sur laquelle nous fondons nos analyses.

La carte 2 nous montre effectivement que la population est concentrée autour de l’agglomération urbaine de Grenoble (49 communes, 500 000 habitants), tandis que l’agglomération de Voiron (34 communes), rassemblant presque 100 000 habitants, apparaît comme le second pôle de la région. On observe aussi des chapelets de communes relativement peuplées qui s’étendent le long des vallées où la périurbanisation a été la plus aisée (par exemple, la Vallée du Grésivaudan entre Grenoble et Pontcharra concentre en 2010 pas loin de 100 000 habitants). En revanche, de larges espaces sont très peu denses et correspondent entre autres aux massifs montagneux. Cette image statique des stocks de population doit être complétée par la carte 3, indiquant que les communes les plus peuplées sont aussi celles dont la démographie est la moins dynamique. Sur les 20 dernières années, les communes qui ont connu les plus forts taux de croissance sont les communes périurbaines (situées dans l’aire urbaine telle que définie par l’INSEE), mais aussi au-delà dans les communes les plus périphériques, alors que les communes centrales (situées dans l’unité urbaine3) connaissent soit des taux de croissance négatifs, soit des taux plus faibles.

La dynamique démographique (essentiellement due aux migrations) des communes des espaces périphériques entraîne une extension progressive de l’aire urbaine, y compris sur des espaces plutôt ruraux qui passent désormais sous l’influence des pôles urbains (notamment en matière d’accès à l’emploi).

La situation géographique de ce territoire entre vallées, plaines et montagnes contraint également fortement l’organisation des réseaux de transports (carte 1). Ceux-là suivent en grande partie la formation plutôt étroite des trois vallées, en forme de « Y », ce qui limite les itinéraires alternatifs et la répartition du trafic. Les réseaux de transport urbain concernent les deux agglomérations principales : la métropole de Grenoble (avec un réseau de transport urbain – TAG - géré par une autorité organisatrice de transport intercommunale – SMTC - desservant 49 communes) et l’agglomération de Voiron (desservant 31 communes). Par ailleurs, sur les autres territoires de cette région, le réseau ferré régional qui suit les trois principales vallées offre un service de desserte régionale entre Grenoble et les métropoles plus lointaines de Lyon, Chambéry et Valence. Une ligne supplémentaire relie Grenoble au sud de la région, mais avec un service relativement limité. Un réseau de bus interurbain géré à l’échelle du département de l’Isère dessert en revanche des espaces plus périphériques et montagnards.

La carte 4 souligne l’importance des échanges entre les secteurs du SCOT de la région urbaine grenobloise. On peut voir la prédominance des flux reliant le secteur grenoblois à celui du Grésivaudan. Néanmoins, le tableau 2 nous rappelle qu’à l’échelle de tous les déplacements confondus et indépendamment de la distance parcourue, l’essentiel des mobilités restent réalisées dans la proximité, au sein de chaque secteur de la région urbaine grenobloise. Ce tableau indique également qu’à l’intérieur de l’agglomération grenobloise, plus de la moitié des déplacements (53% exactement) se font en transport en commun (16%) ou en mode actif (marche et vélo pour 37%). L’usage de la voiture représente donc 47% des déplacements au sein de l’agglomération, ce taux monte à 68% dans les flux internes aux autres secteurs et frôle les 90% pour tous les échanges entre les différents secteurs de la zone d’étude. Si l’on considère les distances parcourues pour chacun de ces déplacements, les principaux échanges sont donc réalisés en voiture, comme on vient de le voir, entre l’agglomération et les secteurs périurbains (Grésivaudan et Voironnais principalement).

Fig. 2

Carte 1 : Situation géographique de la grande région grenobloise

Carte 1 : Situation géographique de la grande région grenobloise

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Fig. 3

Carte 2 : Population de la région urbaine grenobloise en 2010

Carte 2 : Population de la région urbaine grenobloise en 2010

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Fig. 4

Carte 3 : Taux de croissance annuel moyen de la population entre 1990 et 2013

Carte 3 : Taux de croissance annuel moyen de la population entre 1990 et 2013

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Fig. 5

Carte 4 : Nombre de flux tous motifs et tous modes en 2010 entre les grands secteurs du Scot de la grande région grenobloise (D’après EMD 2010)

Carte 4 : Nombre de flux tous motifs et tous modes en 2010 entre les grands secteurs du Scot de la grande région grenobloise (D’après EMD 2010)

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Fig. 6

Tableau 2 : Flux internes et externes tous motifs et tous modes confondus dans la grande région grenobloise (selon deux zones : agglomération grenobloise (Grenoble ville et agglomération) et le reste de la grande région grenobloise).

Tableau 2 : Flux internes et externes tous motifs et tous modes confondus dans la grande région grenobloise (selon deux zones : agglomération grenobloise (Grenoble ville et agglomération) et le reste de la grande région grenobloise).

Source : Enquête Ménages Déplacements de la grande région grenobloise, 2010, données pondérées

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4. Définir, hiérarchiser et caractériser les centralités

4.1. Les multiples dimensions de la polarisation des communes

L’application des six indicateurs définis en 2.2 sur les données sélectionnées de l’enquête ménages déplacements nous permet de cartographier les effets de polarisation. Sont illustrées ici les effets de volume (carte 5), de pic de proximité (carte 6) et de flux dominants (carte 7)

Le premier enseignement issu de ces résultats cartographiques est la confirmation d’une pluralité de formes de polarisation que définissent les mobilités quotidiennes. Alors que l’effet volume (carte 5) confirme l’hégémonie de l’agglomération grenobloise sur le reste de la région, l’effet de pic de proximité (qui tient compte du niveau d’attraction relativement à celui des communes voisines) fait clairement apparaître la position de communes périphériques qui jouent un rôle essentiel dans leur environnement proche en matière de ressources de proximité (carte 6). Des communes situées dans des espaces moins peuplées que le cœur de l’agglomération attirent certes de plus faibles volumes, mais constituent – compte tenu de leur contexte géographique – un relais essentiel dans le quotidien des populations périphériques. C’est le cas, par exemple dans le massif montagneux du Trièves situé au sud du territoire étudié, des communes de Monestier-de-Clermont ou Mens, ou bien encore dans le Vercors de la commune de Villard-de-Lans, qui constituent des pôles de commerces et de services de proximité déterminants pour les résidents de ce secteur. On note également le rôle central que jouent certaines zones d’activités périphériques en termes de polarisation des flux liés à l’emploi (Yzeaux par exemple). L’analyse par motif (carte 7) selon le critère des flux dominants met en évidence trois figures hiérarchiques spatiales différenciées. Les lieux attracteurs selon qu’il s’agit d’aller travailler, faire ses courses ou des loisirs sont sensiblement différents, quand bien même certains pôles concentrent ces différentes activités. La carte 7 montre – sans surprise - la prédominance de Grenoble pour le motif travail. Cette structure quasi mono-polaire rend bien compte de la concentration croissante des emplois dans la ville-centre parallèlement à la périurbanisation des ménages. En revanche, pour le motif achat, la configuration est beaucoup plus multipolaire. Aux côtés de Grenoble et ses communes limitrophes qui abritent de grands centres commerciaux, ressortent des centralités périurbaines situées par exemple à La Mure, Voiron, mais aussi dans de plus petites communes comme Le Bourg-d’Oisans, Beaurepaire, Pontcharra, mettant en évidence l’importance de la proximité pour ce type d’activités. Enfin, les déplacements de loisirs génèrent une configuration spatiale bi-polaire, voire tri-polaire, entre Grenoble, Voiron et La Mure. Pour ce motif, l’effet de taille de la commune semble moins prononcé que pour l’emploi jusqu’à un certain seuil, permettant peut-être d’offrir certains types d’équipements, et l’effet proximité moins primordial que pour les achats.

Ces premières cartes invitent ainsi à questionner la réalité des liens de dépendances qu’entretiennent les communes des espaces périphériques avec les centres urbains denses. Déjà pointe l’hypothèse d’une capacité à développer des fonctions de centralités en milieu peu dense, laissant penser qu’il y a ici des complémentarités potentielles entre les zones du territoire.

Fig. 7

Cartes 5 : Effet « volume » : nombre de flux reçus dans les cinquante-cinq communes retenues pour le motif achat.

Cartes 5 : Effet « volume » : nombre de flux reçus dans les cinquante-cinq communes retenues pour le motif achat.

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Fig. 8

Carte 6 : Effet de pic de proximité des cinquante-cinq communes retenues pour le motif achat.

Carte 6 : Effet de pic de proximité des cinquante-cinq communes retenues pour le motif achat.

Note de lecture : Ratio entre le nombre d’arrivées par habitant dans la commune et le nombre d’arrivées par habitant dans l’ensemble des communes situées à moins de 10 minutes en voiture (calcul effectué grâce au distancier Odomatrix)

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Fig. 9

Carte 7 : Effet de premier flux : commune envoyant leur premier flux vers les cinquante-cinq communes retenues pour les trois motifs

Carte 7 : Effet de premier flux : commune envoyant leur premier flux vers les cinquante-cinq communes retenues pour les trois motifs

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4.2. La hiérarchisation et les fonctions des centralités des espaces périphériques de grande région grenobloise

L’analyse des scores obtenus par les communes sur l’ensemble des indicateurs tenant compte des effets de volume, mais aussi de proximité, d’attractivité, de flux dominants, pour l’ensemble de trois motifs de déplacement, laisse apparaître une organisation polycentrique du territoire. Il n’y a pas de contiguïté évidente entre les communes les plus polarisantes, même au sein de l’agglomération telle que la définit l’Insee (unité urbaine). Dans les espaces périurbains au sein et en marge de la vaste aire urbaine de Grenoble, apparaissent de nombreuses petites communes classées parmi les pôles de premiers rangs. Les fonctions de centralité identifiées avec cette méthode rapprochent des communes aux profils très différents en termes de volume de population et de niveau d’équipements. Pour autant, en explorant plus avant les scores obtenus par les communes classées en tête, leur dénominateur commun semble être le caractère « complet » de leur attractivité puisqu’elles arrivent systématiquement au premier rang pour chacun des trois motifs. En contrepoint, les communes classées dans les quintiles suivants exercent une attractivité partielle sur un ou deux motifs.

Outre cette hiérarchie polycentrique, les centralités des espaces périphériques sont intéressantes à analyser du point de vue des fonctions qu’elles remplissent. La typologie réalisée sur les rangs obtenus dans chaque dimension permet d’identifier quatre classes caractérisant ces centralités :

  • qui obtiennent des valeurs fortes sur les trois motifs,

  • qui sont plutôt attractives pour les flux d’achat,

  • qui attirent prioritairement pour le travail et les loisirs,

  • qui sont moins spécialisées relativement aux autres classes.

Fig. 10

Carte 8 : Typologies des 55 communes selon la caractéristique de polarisation

Carte 8 : Typologies des 55 communes selon la caractéristique de polarisation

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La carte 8 permet de faire apparaître la complémentarité de pôles « complets » de premiers rangs et des pôles secondaires typés plutôt « achats » ou bien « travail ou loisir » au sein de plusieurs EPCI comme ceux de Saint-Marcellin (région du Sud Grésivaudan) ou de la Côte‑Saint-André et Beaurepaire (région de Bièvre-Valloire). Ces deux sous-secteurs sont d’ailleurs représentatifs de l’évolution récente de territoires encore ruraux sous certains aspects, mais en voie de périurbanisation. Dans le cas du Sud-Grésivaudan (48 communes et 43 000 habitants en 2009 avec un taux de variation annuel moyen de 1,4% entre 1999 et 2009), les acteurs locaux essaient aujourd’hui de transformer les pressions foncières et l’accroissement des déplacements issus de l’installation de nouveaux habitants travaillant hors du secteur en favorisant le développement de l’emploi local (Insee, 2013), tant dans le secteur de l’industrie marquée par une dynamique positive (création d’établissements) que dans l’économie présentielle qui reste le pourvoyeur principal d’emplois. Situé le long du réseau ferré reliant du Nord-Est au Sud-Ouest Grenoble à Valence, ce territoire périphérique joue l’atout d’un espace de « connexion » en s’appuyant sur les ressources de la centralité de Saint Marcellin.

De manière comparable, depuis 1999, le secteur de Bièvre-Valloire a gagné près de 15 000 habitants qui bénéficient de la proximité géographique des centres urbains de Grenoble, Vienne, Bourgoin-Jallieu et Lyon, pour accéder à l’emploi tout en bénéficiant d’un prix du foncier encore concurrentiel. Alors que les populations les plus récemment installées sont essentiellement des navetteurs hors de la zone, le territoire s’appuie sur son tissu industriel et sur l’activité économique générée par la présence de l’aéroport de Grenoble-Isère sur la commune de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs (300 000 passagers/an) pour maintenir et stimuler l’emploi local. Par ailleurs, face à l’afflux de nouvelles populations, le territoire encourage la diversification de son offre de services, dont l’offre de soins, notamment en pensant à ré‑équilibrer les services entre la Côte-Saint-André et Beaurepaire.

Discussion et conclusion

Les dynamiques économiques et démographiques de la région urbaine de Grenoble reflètent l’articulation entre des clusters industriels et tertiaires innovants, adossés à de grands centres de recherches universitaires, et une économie résidentielle dont profitent les espaces périphériques (Ambrosino et al., 2016). En outre, l’écrin naturel dans lequel s’insère la région urbaine grenobloise offre tout à la fois des ressources indéniables (touristiques, naturelles, paysages…) et des contraintes (pente, risques naturels, pollution) qui doivent être mesurées pour établir les principes d’un développement régional recherchant l’équilibre entre développement économique, environnemental et social. Comme évoqué en introduction, le SCOT est l’un des documents de planification qui rend compte des stratégies territoriales et qui nous permet de comprendre comment les élus des territoires se dotent d’outils pour définir des politiques publiques coordonnées au sein de la région en vue d’un modèle d’organisation, d’aménagement et de développement équilibré et partagé à l’horizon des vingt prochaines années. Afin de répondre aux besoins de logements et de développement tout en ménageant l’espace et les ressources, le document du SCOT définit ainsi en exergue l’équation à résoudre :

  • « devoir assumer la hiérarchie urbaine tout en rendant accessibles les ressources urbaines à l’ensemble du territoire

  • avoir une double logique de solidarité et d’autonomie entre des sous-secteurs dont les contours restent à définir

  • et enfin construire une armature urbaine multipolaire et hiérarchisée pour limiter la concurrence au profit d’une logique de complémentarité » (SCOT, 2012)

La stratégie de développement est clairement inscrite dans une recherche d’équilibre à l’échelle régionale et entend s’appuyer sur des logiques de complémentarités entre les pôles. Pour autant, les outils de diagnostics utilisés ensuite pour énoncer des prescriptions concrètes en matière de développement (par exemple pour définir la répartition des constructions de logements) nous paraissent insuffisants. L’armature hiérarchisée des pôles urbains proposée dans le document résulte d’une analyse basée sur des données de volume d’emplois, d’habitants et d’équipements et propose une classification des pôles déclinant une relation d’ordre (« cœur d’agglomération, ville centre, pôle principal et pôle d’appui ») plutôt qu’une relation d’interactions. L’emprise spatiale de l’attractivité de ces pôles est ensuite « dessinée » de manière stylistique et non empirique, affaiblissant la portée opératoire de l’outil diagnostic. Pour autant, c’est sur ces bases qu’est préconisée une répartition des nouvelles constructions entre les pôles dits centraux ou principaux et les autres dans un rapport de 2/3 et 1/3.

La méthode et les analyses que nous avons exposées dans cet article nous paraissent appropriées pour aller plus loin dans la mise en œuvre du principe de polycentrisme et la recherche d’équilibre et de complémentarité dans l’armature urbaine.

Les résultats obtenus à partir de l’analyse des flux de mobilité nous permettent donc de repenser les centralités périphériques, d’une part, et de discuter les complémentarités potentielles, d’autre part.

Pour commencer, des communes ont été sorties du classement car elles polarisaient uniquement sur un type de flux. L’identification du mode de fonctionnement de ces communes peut éclairer des stratégies de développement au niveau local et interroger pour les unes leur capacité à partager de nouvelles fonctions avec la commune-centre de Grenoble, ou pour les autres de diversifier leurs ressources afin d’éviter à terme les biais possibles de leur caractère monofonctionnel.

Cette première étape a également permis de nuancer le rôle de communes peuplées, mais n’apparaissant finalement pas comme polarisantes puisque n’attirant pas de premier flux pour au moins deux motifs différents. Ainsi, ont été éliminées des communes intégrées à l’agglomération de Grenoble qui génèrent de nombreux déplacements, mais ne jouent pas à leur tour le rôle d’attracteur. On parle parfois des cités dortoirs pour qualifier ce type de communes proches voire adjacentes à la ville-centre. Nous n’avons d’ailleurs pas agrégé de communes pour définir les pôles. Cette question s’est posée au moment de la mise en œuvre de notre méthodologie. En effet, dans certains cas, notamment autour de l’agglomération de Grenoble, certaines communes fonctionnent de manière conjointes et la réalité fonctionnelle pour les individus ne se lit pas à l’échelle de la commune, mais bien à celle de l’agglomération. L’échelle des unités urbaines (agglomération) proposée en France par l’Insee n’est pas pertinente pour notre étude dans la mesure où elle inclut l’ensemble des communes de deux vallées allant de Voiron à Crolles, en passant par Grenoble. Une des pistes d’amélioration de la méthode serait de définir des continuités urbaines en termes de pratiques fonctionnelles des ménages, puis sur cette base d’identifier les centralités entre ces espaces fonctionnels continus. Pour autant, notre analyse fait sens dans la mesure où elle permet d’identifier les centralités périphériques, hors zone centrale. On a pu repérer aussi les quelques communes qui jouent des rôles de centralités liées à leur situation de bordure entre l’agglomération dense et les premiers espaces périphériques. Ces portes d’entrée vers la ville centre sont des pôles intéressants à repérer pour l’action publique (complémentarité achat-loisir avec la ville centre, mais également points nodaux pour des possibles plateformes multimodales, points relais pour les automobilistes, etc.)

Les cartes illustrant les différentes dimensions de la polarisation aident à localiser des communes dans les espaces moins denses où leur potentialité de centralité apparaît clairement eu égard au contexte de proximité (carte 6).

Plus intéressant encore, l’analyse permet de qualifier le rôle des communes identifiées comme potentiellement centrales selon les fonctions qu’elles délivrent aujourd’hui aux vues des motifs de déplacements des personnes qui les fréquentent. C’est donc un état des lieux fonctionnel basé sur la réalité de pratiques qui paraît très complémentaire d’une évaluation du niveau des équipements. Ainsi, à l’échelle locale, chaque commune centrale peut interroger sa capacité d’attractivité réelle et raisonner sur l’utilité de compléter leurs services (achat, loisir) ou leur niveau d’emploi en fonction aussi de leur rôle dans l’espace de proximité (carte 8). Certaines communes apparaissent comme des centralités isolées dans leur environnement (carte 6) mais n’occupent pas des fonctions complètes (travail, achat, loisir), ce qui pourrait être un atout pour couvrir plus globalement les besoins des populations environnantes (carte 8).

Ces représentations de l’espace urbain régional aident à penser le territoire comme un seul système en réseau, au sein duquel il serait possible d’envisager un partage des fonctions, mais aussi des coûts d’équipements tout en restant attentifs aux besoins et aux pratiques spatiales des populations. Un enjeu majeur du développement urbain durable est de réussir à structurer les espaces périphériques grâce à des polarités intermédiaires afin d’éviter une relation dichotomique entre des espaces dortoirs éloignés et dépendants et une ville-centre concentrant toutes les fonctions. Le dynamisme impulsé par la valorisation de ces centralités intermédiaires doit engendrer un accès à des ressources et des activités plus proches des habitants. Développer l’offre de proximité peut permettre, d’une part, la limitation de la congestion dans les espaces denses centraux et peut, d’autre part, favoriser le report modal dans les pôles intermédiaires où la densification des activités peut impliquer des déplacements plus courts. Si les acteurs locaux disposent aujourd’hui de cadres légaux pour aller dans le sens d’un développement équilibré à l’échelle des régions urbaines, il n’en reste pas moins que certaines périphéries souffrent toujours d’isolement et de dépendance, plaçant leurs habitants en situation de vulnérabilité spatiale et sociale.

Il nous semble que l’on perçoit mieux ici comment la mise en œuvre de systèmes urbains polycentriques permet de jouer de l’articulation entre zones denses et peu denses pour penser des stratégies de développement régional durable.