Le long XXe siècle mémoriel de l’EuropeRéflexions sur la persistance d’une division Est-Ouest[Record]

  • Pierre-Frédéric Weber

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  • Pierre-Frédéric Weber
    Université de Szczecin

S’il est une impression prédominante ressentie aussi bien en 1989-1991 par les contemporains de l’ouverture du rideau de fer, de la chute du mur de Berlin, de la réunification allemande puis de l’implosion de l’Union soviétique (URSS), que par celles et ceux qui cherchent aujourd’hui à porter un regard critique sur ces événements désormais historiques, c’est bien celle d’une extraordinaire accélération. La géopolitique européenne, figée depuis l’immédiat après-guerre en dépit des phases de « dégel » et de « détente » dans la crainte (largement irrationnelle) d’une confrontation nucléaire entre les deux superpuissances, sortait ainsi d’une longue phase hivernale avec la soudaineté de ces grandes et éphémères débâcles de l’été sibérien emportant tout sur leur passage. Pourtant, de l’aveu de l’historien américain J. L. Gaddis, plutôt proche de la théorie réaliste des relations internationales et spécialisé tant dans l’étude des années 1945-1991 que dans celle des grandes stratégies mondiales, Les nombreuses études menées depuis une vingtaine d’années à la lumière de nouveaux documents d’archives, notamment d’Europe de l’Est, ont confirmé l’idée selon laquelle la notion de « blocs » était une simplification commode et même, à partir des années quatre-vingt, une vue de l’esprit. Alors que la diversité avait marqué les régimes d’Europe de l’Est aussi bien du point de vue de leur naissance que de leur évolution de la fin des années quarante à 1989, leur principal point commun tint à leur effondrement, sous la pression croissante mais pacifique de la société (à l’exception du cas roumain). La perte de légitimité intérieure qui frappait les dirigeants communistes du fait de l’incapacité du socialisme à réaliser le rêve promis par la religion civile marxiste joua un rôle au moins aussi important que la pression extérieure liée à la course aux armements réengagée au début des années quatre-vingt, qui contribua certes à mettre à genou l’économie planifiée de l’URSS. Toutefois, par cette rationalisation ex post, les commentateurs officiels de la diplomatie américaine s’attribuèrent sans doute trop facilement le mérite exclusif de la victoire sur le communisme. On devrait également se garder de présenter la fin de la guerre froide en Europe comme logique, attendue voire prévisible, comme on le lit parfois à travers les mémoires de certains acteurs de l’époque ainsi que des ouvrages historiographiques – pas seulement d’ailleurs à propos du rôle des États-Unis. Dans la perspective de l’histoire événementielle, il ne fait aucun doute que le XXe siècle fut bref, si on le considère comme celui des « extrêmes », marqué par une guerre de masse (1914-1918), une guerre totale (1939-1945) puis une guerre de « religion » sans confrontation directe (1947-1991), les deux premières étant parfois considérées comme les deux phases explosives d’une « guerre de trente-et-un ans » (E. Hobsbawm). Le rythme accéléré qui a abouti à la sortie de la guerre froide, c’est-à-dire – au fond – d’une longue phase d’après-guerre, n’a pas pour autant conduit à l’achèvement complet du « siècle des extrêmes ». Celui-ci dure encore – dans les mémoires. Le traitement mémoriel de l’histoire du XXe siècle par les sociétés des pays européens a donné lieu depuis une décennie à un regain de conflits, rendant le siècle passé plus présent que jamais. À l’asynchronie traditionnelle entre les rythmes de l’événementiel et du mémoriel viennent s’ajouter les effets identitaires durables de l’ancienne division Est-Ouest sur les sociétés d’Europe centrale : la rupture de 1989 a libéré le fort potentiel de contestation mémorielle qui couvait à l’Est. Dans la présente contribution, qui s’appuie en particulier sur des exemples d’Europe centrale (Allemagne, Pologne) et orientale (pays baltes, Russie), on cherchera à expliquer sur …

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