Feuilleton

La cloche sonne, le temps passe[Record]

  • Sophie Coulombe

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  • Sophie Coulombe
    Université de Montréal

Ce matin-là, il y avait une grève des employées et employés de l’administration. Le piquetage étant interdit sur le terrain de la prison, les grévistes brandissaient leurs pancartes devant le bureau de poste, de l’autre côté de la rue... J’ai alors remarqué que je n’avais pratiquement jamais croisé de membres du personnel administratif à l’intérieur des murs. Les agentes et agents des services correctionnels étaient aussi en processus de négociation avec leur employeur. N’ayant pas le droit de grève, ils affichaient brassards, cocardes ou casquettes en guise de moyens de pression pendant l’exercice de leurs fonctions. En prison, les femmes aussi travaillent, du moins, celles qui en ont la « chance », puisqu’il n’y a pas plus qu’une cinquantaine de postes pour plus d’une centaine de femmes détenues. J’arrive dans le hall d’entrée et l’agente à l’accueil ne trouve pas mon nom sur le registre des visites autorisées aujourd’hui. À ce moment, cela fait déjà trois mois que je viens à la prison presque chaque semaine. Elle appelle l’agent de programmation : « Ça te dit-tu quelque chose, Sophie Coulombe ? » Je n’entends pas sa réponse, mais celle de l’agente devant moi : « ben, c’est pas ma faute, moi je n’ai rien ici ». La faute des papiers perdus passe d’une classe d’employées et employés à une autre, l’agent de programmation accusant le personnel de l’accueil et vice versa. Je signe finalement le registre de présence, l’agente me donne un cadenas et une cocarde avec la mention « Invité ». Je range mes effets dans le casier : cellulaire, sac, cigarettes (je n’ai droit qu’à mon carnet de notes et mon crayon). N’ayant pas de poches, j’accroche la clé du casier à la cocarde et j’ai une petite pensée pour la petite clé souvent accrochée au cou ou au poignet des femmes. Assise face aux casiers, j’attends sur un banc. Quelques minutes passent avant qu’on vienne à ma rencontre pour me conduire au bureau de Raymond, un membre du personnel affilié à la Commission scolaire de Montréal. J’avais croisé Raymond lors d’une activité à la chapelle de la prison et il m’avait alors suggéré de venir passer une journée sur les différents plateaux de travail de la prison. C’est donc à sa suggestion que j’ai passé la matinée à la buanderie et l’après-midi à la friperie. Lorsque j’arrive à son bureau, Raymond me sourit, une boîte de beignes à la main. Nous redescendons ensemble dans le hall d’entrée afin que je puisse reprendre mon manteau, car nous devrons marcher à l’extérieur pour nous rendre à la buanderie. En marchant au sous-sol de la prison pour aller rejoindre la porte menant à l’extérieur, Raymond m’avise qu’il fera une petite visite aux femmes travaillant à l’entretien ménager. Elles ne sont que deux, leurs principales tâches consistent à nettoyer les planchers des corridors de la prison ainsi que les différentes salles communes. C’est vendredi et Raymond a l’habitude d’acheter des beignes pour les travailleuses, qu’il nomme affectueusement les « travaillantes », et il voulait s’assurer d’en offrir à celles-ci. Après avoir discuté un peu avec les deux femmes, nous continuons notre chemin vers la buanderie. Il mentionne au passage que la distribution de beignes est une pratique critiquée par le personnel correctionnel et qu’il a dû insister afin qu’elle soit tolérée. À la prison, on ne peut pas apporter des choses de l’extérieur et les distribuer aux femmes, à part pour quelques exceptions comme les vêtements de la friperie. Nous passons les portes de la buanderie où les femmes sont déjà au travail depuis 8 h 30. Il s’agit d’un …

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