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Tisser la catalogne, un acte féministe ? Un après-midi avec une ex-membre de l’Association Féminine d’Éducation et d’Action Sociale (l’AFÉAS)[Record]

  • Julien Voyer

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  • Julien Voyer
    Université de Montréal

En décembre, je disais à ma grand-mère que je voulais écrire sur l’AFÉAS : l’Association féminine d’éducation et d’action sociale. Elle me conseille alors de rendre visite à son amie, madame Simone Ouellet [nom fictif] dans sa maison du rang Saint-Eugène (aussi, route 167) de la Doré, une municipalité de moins de 1 400 habitants au Lac-Saint-Jean. Je connais déjà cette dame pour l’avoir souvent vue jouer aux cartes et marcher derrière la ferme familiale. C’est une femme aux 80 ans bien sonnés, épouse d’un cultivateur et dévote catholique vouant un culte à Marie — une statue de la sainte de deux mètres de haut munie d’une auréole en fluorescents bleus trône dans sa cour. Ma grand-mère m’explique alors que l’époux de madame Ouellet a fait un AVC qui l’a laissé aphasique et à moitié paralysé. Il a été placé, voilà sept ans, dans une résidence pour personnes âgées en ville, laissant sa femme seule chez elle. Je découvrirai rapidement qu’un réseau familial de ses enfants et petits-enfants se relaie pour les aider à se voir les fins de semaine. Donc, je suis allé dans ma région natale en ce mois de février où la lumière revient tranquillement, mais on ne sait pas si la chaleur va revenir bientôt. Les gens, dans le haut du lac Saint-Jean, organisent des paris sur la date où le lac va « caler », c’est-à-dire que la glace va partir sur 70 % de son étendue pour s’évacuer dans la rivière Saguenay. À mon arrivée, un samedi midi, je stationne l’auto de mes parents à côté des bâtiments maintenant vides de la « Ferme des Ouellet » et sonne à la porte. À l’intérieur de la demeure, on sent l’odeur de soupe à la gourgane. Mon hôtesse fait chauffer un pain de viande au micro-onde entourée de deux de ses enfants en visite — une professeure d’université et un employé du monde du cinéma — et une de ses petites-filles, journaliste dans la mi-vingtaine. Ils ont amené son mari de la ville pour qu’il passe la fin de semaine avec elle. Assis à la table à manger, je complimente ses cheveux blond cendré fraichement teints et son élégant chemisier noir à paillettes. « Ah, tu trouves ça beau, c’est une vieille toilette. J’ai dû refaire les coutures. » me dit-elle, souriant tout de même. Levée à 6 h 30, elle m’explique qu’elle a fait sa prière du matin à Notre-Dame-du-Cap, déjeuné, lu et fait du ménage avant d’accueillir vers 11 h 30 sa visite pour le diner. Après le repas, elle a installé son monde dans un salon aux grandes fenêtres. L’horizon y est long, on voit les terres agricoles couvertes de neiges et la maison du curé de l’autre côté de la fenêtre. Juste à quelques mètres, les trucks [camions] de bois passent sur la 167 faisant branler la maison et cliqueter la porcelaine des tasses à thé. Pendant la conversation, madame Ouellet commente leur passage : elle sait si c’est un de ses fils ou le voisin d’un tel qui conduit le chargement jusqu’à Chibougamau ou plus loin encore. « Je suis pas bonne pour parler, si Léonard [son mari, nom fictif] pouvait, il te dirait mieux ça ». Cette phrase reviendra souvent pendant la conversation, surtout aux moments où madame Ouellet cherche ses mots et des noms de personnes. Mais elle en a quand même long à dire au le sujet de l’AFÉAS. « Moi, ça a [le métier à tisser] 45 pouces. Les catalognes on les cousait au milieu ». Elle explique qu’elle a encore un métier à tisser qui …

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