Dossier 1 : Gouverner le religieux dans l’espace européen : entre acteurs politiques, judiciaires et religieux

Gouverner le religieux dans l’espace européen et nord-américain : entre acteurs politiques, judiciaires et religieux[Record]

  • Claude Proeschel and
  • Sylvie Toscer-Angot

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  • Claude Proeschel
    GSRL (EPHE-CNRS), PSL Research University

  • Sylvie Toscer-Angot
    Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne; GSRL (EPHE-CNRS), PSL Research University

L’inscription de la question religieuse à l’agenda public, qui s’est généralisée dans les années 1990 dans l’ensemble des démocraties occidentales, et qui, « développement impensable il y a quelques années », s’y « maintient » (Côté et Gunn 2006) semble bien s’inscrire dans la logique de l’approche cognitive. Elle ne constitue en effet pas seulement ou pas prioritairement une réponse à un ensemble de problèmes objectifs nécessitant la mise en place d’une action politique. Elle résulte aussi, voire avant tout, d’une évolution de la perceptions des situations par les pouvoirs publics. On peut alors la considérer comme la conjonction de deux phénomènes. Tout d’abord, si la plupart des sociologues s’accordent à inscrire les sociétés européennes dans des logiques longues de sécularisation, qui s’expriment à la fois par un « déclin de l’hégémonie religieuse » (Monod 2007) et une « sortie de la religion » (Gauchet 1985), celles-ci sont cependant l’objet d’un retour contemporain de la présence du religieux dans l’espace public (Casanova 1994). Ses expressions, protéiformes, recouvrent par exemple, les débats sur l’institutionnalisation de l’islam (Frégosi 2008; Cesari 2009; Thomas 2012), l’intervention de courants identitaires catholiques (Portier 2012) dans les débats sur des projets de lois sociétaux (Dobbelaere et Pérez-Agote 2015), mais aussi l’accroissement sensible des controverses relatives à des questions aussi diverses que la construction de lieux de culte, la présence de symboles religieux dans les lieux publics, les normes vestimentaires, l’abattage rituel, ou encore la pratique religieuse dans le cadre professionnel. Cette situation, qui a conduit à l’élaboration, dans le monde académique, d’une interrogation sur la notion de sécularisation comme processus linéaire et continu (Berger 1999), ne peut, à elle seule, expliquer la perpétuation des politiques publiques du religieux. « Les variations de l’environnement » ne devenant en effet « des faits significatifs que dans la mesure où elles peuvent être nommées et interprétées » (Jobert 1992 : 220), elle a également trouvé source dans l’évolution de la façon dont les pouvoirs publics se représentent les enjeux des questions religieuses. Faire une politique publique, en effet, ce n’est pas « ‘résoudre’ un problème, mais construire une nouvelle représentation de ce problème qui met en place les conditions sociopolitiques de son traitement par la société » (Muller et Surel 1998 : 31). Ainsi la remise en cause de la contestation au sein de la communauté scientifique de la thèse de la sécularisation, dans les années 1990, et du lien automatique modernité-sécularisation a marqué l’action publique et contribué à l’évolution de son référentiel. La religion n’est plus désormais considérée comme une simple survivance, mais comme un domaine de gestion des gouvernements démocratiques, dont les enjeux en évolution, en termes d’intégration, de vivre-ensemble ou de neutralité, se doivent de faire l’objet d’une régulation (Barras, Dermange et Nicolet 2017). Cette régulation du religieux est marquée, de manière plus récente, par une évolution dans ses niveaux d’exercice, dorénavant pluriels (local, national, international ou supranational), et dans la diversification des catégories d’acteurs y contribuant : politiques, judiciaires, acteurs de la société civile, qui interagissent et interfèrent mutuellement. Ces nouveaux modes de décision publique et de coordination de l’action publique, pour lesquels le cadre classique de « gouvernement », relié au monopole de l’Etat, ne semble plus adapté, renvoie alors davantage le chercheur vers la notion de gouvernance, entendue comme une « interaction d’une pluralité d’acteurs gouvernants qui ne sont pas tous étatiques ni même publics » (Leca 1996 : 339). La notion de gouvernance s’est imposée dans l’analyse des politiques publiques dans les années 1980, même si elle a un ancrage plus ancien dans le domaine du management des entreprises, à travers la notion …

Appendices