Recensions

Mélanie LeBlanc, Dans l’accent de la Baie : se construire Acadien dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2021, 362 p., collection « Agora »[Record]

  • Laurence Arrighi

…more information

  • Laurence Arrighi
    Université de Moncton

« Vivre à la Baie » est le titre de l’une des chansons du groupe musical 1755, dont l’un des couplets se lit comme suit : « La Baie Ste Marie c’est mon ptit coin d’pays / Ça vaut la peine de l’voir allons y ». Si cela vaut la peine d’y aller voir, ceux et celles qui étudient l’Acadie tendent souvent à limiter leur intérêt au seul Nouveau-Brunswick. C’est l’une des manifestations de la logique centre-périphérie qui est reproduite au sein de la francophonie acadienne alors même qu’elle est tant décriée dans la francophonie canadienne et mondiale. Le Nouveau-Brunswick et, plus précisément, la région de Moncton concentrent en effet une bonne part de la recherche actuelle en études acadiennes. Dans son introduction, l’autrice l’avoue sans ambages, avant son terrain, elle n’avait pas pleinement conscience de la singularité de la situation de la baie Sainte-Marie, région historiquement acadienne et qui perpétue son héritage francophone dans un contexte provincial très anglo-dominant. La grande singularité qui touche la chercheuse originaire de Tracadie (en contexte franco-dominant) et alors étudiante à l’Université de Moncton (en milieu bilingue) est l’omniprésence des questions linguistiques. Toujours dans son introduction, l’autrice indique que ces questions semblaient se poser « dans toutes les sphères de la vie communautaire » (p. 19), s’actualisant dans des discours en tension au sein de la communauté sur la valeur des langues et des variétés. Une telle situation appelait nécessairement un regard sociolinguistique sur ce terrain, jusque-là étudié uniquement selon des approches descriptives des formes linguistiques. Une fois le livre lu, il paraît évident que la discipline a pu trouver là un terrain de premier plan à l’application de notions théoriques majeures, telles que celles de représentation, d’idéologie et d’insécurité linguistiques (exposées au chapitre 1). Il ne faut pas oublier cependant que c’est grâce à maintes observations de terrain, à une vaste collecte de données, à l’adoption d’un regard ethnographique acéré et, enfin, à une écriture précise et fluide que l’ouvrage que nous lisons a patiemment pris forme. La lecture de Dans l’accent de la Baie donne l’impression qu’une rencontre fructueuse s’est produite entre la chercheuse, sa subjectivité, son orientation théorique, ses manières de faire (le tout étant lié) et le terrain à un moment donné. En effet, il est remarquable que cette jeune sociolinguiste, travaillant dans une orientation critique au fait des questions de luttes de pouvoir non seulement entre les communautés, mais aussi au sein d’une communauté, se soit retrouvée sur ce terrain à un moment aussi propice (les années 2000 à 2005). Plusieurs changements sont alors en cours dans la communauté, des changements de nature à bouleverser son écologie linguistique puisqu’ils touchent à des secteurs (éducation, médias, économie locale) de première importance pour le maintien et la reproduction d’une communauté linguistique minoritaire. Ces changements offrent autant d’événements discursifs (Guilhaumou, 1996) qui permettent de « voir en action » bien des dynamiques sociales, politiques et ici linguistiques, autrement sous-jacentes. Premier bouleversement, au moment où LeBlanc arrive à la Baie, « l’école homogène de langue française », selon les mots en usage, est en train de s’implanter pour remplacer l’école bilingue, entraînant certaines dissensions dans la population locale. L’école est donc le premier site d’enquête de la chercheuse (chapitre 3). Parents et autres acteurs du monde scolaire ne sont pas tous sûrs de la pertinence de ce nouveau modèle. Les tenants y voient une vraie victoire et la possibilité d’affermir le vivre en français à la Baie, de même que la qualité de la langue de leurs enfants (par un plus grand accès au français standard). Les opposants, favorables au bilinguisme, ont peur …

Appendices