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Contexte et problématique

Les recherches sur la persévérance dans les études postsecondaires soulèvent un problème important d’abandon au cours de la première année chez des étudiants inscrits dans des programmes réguliers, c’est-à-dire qui ne visent pas la professionnalisation (Fontaine et Peters, 2012). Au contraire, les quelques recherches qui portent sur l’abandon et la persévérance des étudiants en formation initiale à l’enseignement relatent que ces derniers tendent à quitter en fin de parcours, principalement en troisième et quatrième années de baccalauréat à la suite des stages de prises en charge (Lebel, Bélair et Goyette, 2012; Roness et Smith, 2010). Le même constat est soulevé dans d’autres programmes professionnalisants, notamment en travail social et en sciences infirmières (Bergeron-Leclerc et Simard, 2019). Cette situation illustre un réel problème qui va au-delà de la filtration naturelle des étudiants qui se produit en début de parcours universitaire.

À cela s’ajoute le nombre grandissant d’étudiants ayant des besoins particuliers, que l’on nomme étudiants en situation de handicap (ESH), qui fréquentent les établissements postsecondaires (AQICESH, 2017-2018). Toutefois, peu de recherches permettent de comprendre la persévérance de cette population spécifique (Robert, Debeurme et Joly, 2016). Philion, Bourassa, Lanaris et Pautel (2016) expliquent à ce sujet qu’une même situation de handicap (SH) a des effets différents sur chaque étudiant et sur son parcours de persévérance. D’autres recherches indiquent que la persévérance scolaire est affectée par leur SH, que les ESH tendent à obtenir leur diplôme dans un délai plus long que leurs collègues n’ayant pas de déficience fonctionnelle et que le manque d’ouverture de la part du corps professoral peut affecter leur parcours (Bergeron-Leclerc et Simard, 2019; McGregor et al., 2016; Robert et al., 2016; Vaillancourt, 2017). Ces chercheurs s’entendent sur le fait que les ESH sont assujettis à un parcours postsecondaire difficile, voire plus difficile que celui des étudiants dits réguliers.

La formation initiale à l’enseignement ne fait pas exception à cette réalité en accueillant des étudiants stagiaires en SH dans une proportion qui augmente au fil des années (AQICESH, 2017-2018). Ces étudiants ont certes accès aux différents services d’aide, mais il demeure difficile pour eux d’être accompagnés lors des stages.

Il est reconnu que les stages sont des moments impliquant un haut potentiel de difficultés pour tous les stagiaires, surtout les derniers stages de prise en charge (Desbiens, Borges et Spallanzani, 2012). Des recherches récentes rapportent que les stagiaires rencontrent différents types de difficultés, dont des difficultés psychologiques, sociales, économiques, organisationnelles et interactionnelles (Bergeron-Leclerc et Simard, 2019; Monfette, 2018). Pour les ESH, les stages peuvent représenter des moments où leurs difficultés sont décuplées puisqu’ils doivent à la fois démontrer leur niveau d’atteinte des compétences professionnelles (MEQ, 2001), comme doivent le faire leurs collègues n’ayant pas de handicap, en plus de gérer les difficultés spécifiques associées à leur SH (Bergeron-Leclerc et Simard, 2019; Dufour, Dondeyne, Van Nieuwenhoven et Richard, 2019; Lebel et al., 2016). Par exemple, on dénote des difficultés liées au fait que les accommodements qui s’avèrent efficaces dans les cours universitaires ne le sont plus en contexte de stage, ou encore, que les stagiaires en SH ne savent pas quels accommodements demander dans le cadre de leurs stages (Csoli et Gallagher, 2012; Dufour et al., 2019).

Selon les résultats de deux études à ce sujet, les difficultés des stagiaires en SH seraient les mêmes que celles rencontrées par les autres stagiaires, mais celles-ci seraient plus marquées sur les plans psychologique, organisationnel et interactionnel (Dufour et al., 2019; Philion et Vivegnis, 2018). Sur le plan psychologique, des difficultés accrues associées à la confiance en soi et à l’anxiété de performance ressortent. Sur le plan organisationnel, les résultats de ces recherches indiquent des difficultés additionnelles liées à la maîtrise de la langue, à la planification, au pilotage d’activités d’enseignement et à la gestion du temps. Enfin, sur le plan interactionnel, ils rapportent des problèmes d’attitudes plus grands (manque d’ouverture aux rétroactions, déni) et un besoin de soutien plus important.

Par ailleurs, un enjeu de taille s’ajoute à ce portrait des difficultés rencontrées par des stagiaires en SH, soit celui associé à la divulgation de son trouble aux enseignants associés et aux superviseurs de stage. En effet, dans le cadre des stages, les stagiaires ne sont pas tenus de divulguer leur SH aux autres membres de la triade (enseignant associé, superviseur et stagiaire) et plusieurs sont réticents à le faire par peur de répercussions sur leur expérience de stage, voire sur la réussite de leur stage (Bergeron-Leclerc et Simard, 2019; Dufour et al., 2019; Lebel et al., 2016; Philion et Vivegnis, 2018). Plusieurs d’entre eux désirent essayer de réussir leurs stages sans mesures ou n’osent pas demander des mesures d’accommodement (Dufour et al., 2019; Philion et al., 2016). Ils tentent de peser le pour et le contre de la divulgation de leurs besoins particuliers lors des stages, ce qui ajoute une tension constante pendant leur parcours universitaire. Comme le soulignent Bergeron-Leclerc et Simard (2019, p. 14), ce constat est préoccupant puisque l’accès à des mesures d’accommodement représente un facteur de protection central dans la réussite scolaire des ESH.

La capacité à surmonter les difficultés rencontrées en stage semble avoir une incidence sur le désir de poursuivre sa formation et sa carrière en enseignement (Goyette, 2015). Outre la pénurie d’enseignants au Québec (Sauvé, 2012), le nombre restreint de recherches sur la persévérance dans des programmes professionnalisants (Tardif et Deschenaux, 2014) ainsi que le peu de recherches sur le parcours de persévérance de stagiaires en SH (Dufour et al., 2019) témoignent de la pertinence de la présente étude. Ainsi, cet article a pour but de répondre à la question générale suivante : quelles difficultés ont teinté le parcours de persévérance de stagiaires en SH en formation initiale à l’enseignement ?

Cet article se décline en trois sections. La prochaine section présente le cadre conceptuel qui regroupe les concepts de persévérance, de situation de handicap et d’étudiant en situation de handicap. L’article expose ensuite la méthodologie qui a permis de répondre à la question générale et aux objectifs spécifiques. La troisième et dernière section regroupe les résultats et la discussion. D’abord, cette section offre un aperçu du profil des trois stagiaires en SH. Ensuite, les principales difficultés rencontrées par ces stagiaires sont relatées, avec ou sans égard à leur SH. La discussion des résultats est intégrée à cette section afin de faire ressortir la manière dont la SH a teinté leur parcours de persévérance.

Cadre conceptuel

Concept de persévérance

Il existe encore plusieurs ambiguïtés en ce qui a trait à la définition de la persévérance puisque ce concept est souvent interrelié à d’autres concepts tels que ceux de volonté, de ténacité, d’engagement ou de passion (Sauvé, Debeurme, Fournier, Fontaine et Wright, 2006). Toutefois, malgré certains chevauchements conceptuels, il est possible de dégager deux éléments centraux qui devraient être intégrés dans la conceptualisation de la persévérance (Roland, De Clercq, Dupont, Parmentier et Frenay, 2015). Premièrement, les auteurs indiquent que la persévérance fait référence à la poursuite de l’accomplissement d’un but (Monfette, 2016). Deuxièmement, l’ensemble des définitions comprennent la notion de difficultés à surmonter lorsqu’il est question du concept de persévérance (Monfette, 2016). Ainsi, la persévérance peut être définie comme étant la capacité de poursuivre son but malgré les difficultés rencontrées en cours de réalisation.

Persévérance aux études postsecondaires

Outre le flou entourant le concept de persévérance, d’autres divergences ressortent dans les définitions de la persévérance aux études postsecondaires. En concordance avec Roland et al. (2015) et Sauvé et al. (2006), les divergences dans les définitions témoignent de la nécessité d’expliciter le positionnement épistémologique des chercheurs qui abordent ce concept puisque la délimitation entre un étudiant persévérant et un étudiant ayant abandonné ses études n’est pas toujours claire. Dans le cadre de cette recherche, les délimitations au sujet des étudiants stagiaires persévérants sont présentées dans la méthodologie.

Situation de handicap et étudiants en situation de handicap

Au début des années 2000, le terme handicap a été redéfini afin d’englober les troubles de santé mentale et les troubles neurocognitifs (Vaillancourt, 2017). Ainsi, une variété de situations de handicap ont vu le jour et ont été classées en deux grandes catégories, celles dites « traditionnelles » et perceptibles et celles dites « émergentes » et moins perceptibles, voire invisibles (Bergeron-Leclerc et Simard, 2019; Pautel, 2017; Vaillancourt, 2017). Le tableau 1 présente les troubles classés sous chaque catégorie. Il permet de concevoir l’hétérogénéité des troubles et des besoins sous-jacents en découlant.

Tableau 1

Exemples non restrictifs de troubles associés aux deux catégories de SH

Exemples non restrictifs de troubles associés aux deux catégories de SH
Tableau adapté de la classification proposée par Philion et al. (2016, p. 36-37)

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À cette même époque, la définition du handicap a évolué vers la notion de situation de handicap qui s’éloigne d’une perspective purement médicale et individuelle de la notion d’handicap pour inclure la dimension sociale dans l’apparition du handicap (Vaillancourt, 2017). Actuellement, et s’appuyant sur les travaux de Fougeyrollas (2018) et son modèle du Processus de production du handicap, la SH repose sur un modèle dynamique et interactif entre les caractéristiques environnementales et personnelles qui produisent ou font émerger le handicap dans un contexte donné (Dufour et al., 2019; Philion et al., 2016).

Le statut d’ESH est un statut accordé en fonction d’un diagnostic médical ou professionnel qui permet de se prévaloir, au besoin, de mesures d’accommodement et d’accompagnement visant à favoriser l’atteindre des objectifs du programme d’études et la réussite du parcours académique selon une perspective d’équité (Philion et al., 2016; Vaillancourt, 2017). Certains étudiants vivent avec un diagnostic depuis leur enfance tandis que d’autres reçoivent un diagnostic pendant leur parcours postsecondaire. Dans tous les cas, dès la divulgation de son diagnostic à l’institution scolaire, l’étudiant est considéré comme étant un ESH.

Objectifs de la recherche

Afin de documenter le parcours de persévérance de stagiaires en SH, les objectifs de la recherche sont de 1) dégager les difficultés rencontrées lors des stages en enseignement chez trois stagiaires en SH et 2) analyser comment ces difficultés ont teinté leur parcours de persévérance dans leur programme.

Méthodologie

Cette recherche qualitative/interprétative a privilégié l’approche méthodologique de l’étude de cas multiples selon la posture interprétative de Merriam (1998).

Délimitation de la persévérance dans cette recherche

Dans le cadre de cette recherche, sont considérés comme persévérants tous les stagiaires finissants qui étaient en quatrième année de baccalauréat au moment de la collecte des données, peu importe s’ils ont changé d’établissement d’études, s’ils ont changé de programme depuis leur entrée à l’université, s’ils étudiaient à temps partiel, s’ils ont interrompu leurs études pour différentes raisons ou même s’ils ont dû reprendre des cours qu’ils avaient préalablement échoués. Ces spécificités font partie de leur parcours de persévérance et représentent potentiellement des difficultés qu’ils ont surmontées pendant leur formation afin d’atteindre leur but, soit d’obtenir leur diplôme en enseignement.

Participants

Les participants ont été sollicités lors de rencontres pré-stage IV[1] au début de la session d’hiver 2016 au sein des programmes de baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire ainsi qu’en enseignement en adaptation scolaire et sociale d’une université montréalaise. En concordance avec la perspective interprétative de Merriam (1998), les participants ont été sélectionnés à l’aide d’un questionnaire d’enquête qui a permis de recruter des participants ayant des profils différents s’étalant sur un continuum de persévérance à quatre niveaux présentés dans le tableau 2.

Tableau 2

Niveaux du continuum de persévérance et positionnement des participants au moment du recrutement

Niveaux du continuum de persévérance et positionnement des participants au moment du recrutement

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Parmi les neuf participants de la recherche[2], trois d’entre eux avaient le statut d’ESH[3]. Le tableau 3 présente les participantes de la recherche avec leur positionnement sur le continuum de persévérance au moment du recrutement ainsi que leur positionnement actualisé à la fin de la recherche. Le positionnement au moment du recrutement tient compte des trois premières années de formation tandis que le positionnement à la fin de la recherche tient compte de la dernière année de formation, notamment des difficultés rencontrées lors du stage IV.

Tableau 3

Présentation des participantes

Présentation des participantes

TDA : Trouble déficitaire de l’attention; TSM : Trouble de santé mentale.

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Collecte des données

La collecte des données s’est effectuée durant la session d’hiver 2016 à l’aide d’entretiens semi-dirigés et d’explicitation (voir figure 1). Le premier entretien semi-dirigé avait pour objectif de documenter le déroulement des trois premières années dans le programme en s’attardant plus longuement aux trois premiers stages, en particulier le déroulement des stages (relation avec l’enseignant associé, avec les élèves, avec le superviseur, charge de travail, etc.), les difficultés rencontrées et l’évolution de leur vision de la profession enseignante depuis leur entrée dans le programme. En cours du stage IV, un entretien d’explicitation avait pour but d’explorer les situations concrètes relatées par les participants afin de faire une « verbalisation descriptive » (Vermersch, 2010, p. 36) des actions entreprises pour surmonter les difficultés vécues spécifiquement lors de ce stage. Le dernier entretien (d’explicitation et semi-dirigé) a été effectué après le stage et avait pour but de clore le parcours de persévérance des participants et d’aborder l’entrée dans la profession. Dans tous les entretiens, les participants étaient libres de choisir les difficultés qu’ils voulaient aborder en plus d’être libres de parler ou pas de leur SH.

Figure 1

Schématisation de la collecte des données

Schématisation de la collecte des données

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Analyse des données

L’analyse des données inductive délibératoire a suivi une démarche se rapprochant de celle précisée par Blais et Martineau (2006). Les distinctions se rapportent essentiellement à certains chevauchements entre les étapes. D’abord, les entretiens ont été retranscrits au fur et à mesure de la collecte des données (étape 1). À travers la retranscription des entretiens, plusieurs lectures des données brutes ont été effectuées (étape 2) pour procéder à une première condensation des données sous forme de résumé pour obtenir le profil des participants (étape 3). Ensuite, une deuxième forme de condensation a consisté à réduire les données brutes en unités de sens se rapportant plus spécifiquement aux difficultés rencontrées lors des stages (étape 3). Enfin, la chercheuse a procédé à la révision des catégories à l’aide d’experts (étape 4).

Résultats et discussion

Cette section présente d’abord un aperçu du profil de chaque participante. Elle se poursuit par la présentation des résultats au regard des difficultés rencontrées lors de leurs stages, avec ou sans égard à leur SH. Les résultats permettent de concevoir à quel point la SH a influencé les difficultés rencontrées ainsi que le parcours de persévérance des étudiantes, ce qui est d’ailleurs discuté dans cette même section.

Profil des participantes

Isabelle

Isabelle a immigré au Québec pour travailler et faire ses études en enseignement. Avant d’entamer son programme de formation, elle a travaillé comme éducatrice en CPE. Ayant toujours éprouvé des difficultés à l’école, elle a officiellement reçu un diagnostic du TDA lors de sa deuxième année de formation en enseignement, spécifiquement à la suite d’une demande formelle d’évaluation neuropsychologique de la part de sa superviseure de stage II.

Isabelle a commencé à remettre en question son choix de carrière lors de son stage II. Toutefois, puisqu’il s’agit de la profession qu’elle désire faire depuis son enfance, elle a choisi de poursuivre ses études en enseignement.

Geneviève

Geneviève a choisi de faire son baccalauréat en adaptation scolaire puisqu’elle aime travailler avec les enfants ayant des problématiques particulières. Entre sa troisième et quatrième année de formation, elle a vécu un important épisode de santé mentale et a reçu un diagnostic de trouble de santé mentale, ce qui lui a demandé d’interrompre ses études et a retardé son cheminement universitaire d’un an.

Geneviève avoue avoir commencé à être plus fatiguée pendant son stage III. Elle s’est posé la question : « est-ce que je suis vraiment faite pour cette profession ? », mais explique qu’elle avait passé le point de non-retour, ayant déjà réussi plus de la moitié de sa formation.

Mireille

Mireille travaillait comme éducatrice en service de garde à temps partiel pendant ses études. La période entre son stage III et IV a été marquée par un événement important qui s’est déroulé dans le cadre de son travail d’éducatrice. À la suite de cet incident et lors de sa quatrième année de formation, Mireille a été placée en arrêt de travail et d’école temporaire et elle a également reçu un diagnostic de trouble de santé mentale.

Mireille n’a jamais remis en question son choix de carrière. Même lors des moments difficiles au cours de sa dernière année de formation où elle vivait un important épisode de santé mentale, elle a tout de même choisi de poursuivre ses cours puisqu’elle réalisait à quel point la fin de son programme approchait, d’autant plus qu’elle ne voulait pas prendre de retard puisqu’elle désirait entamer une maîtrise dès l’obtention de son diplôme.

Principales difficultés rencontrées lors des stages

L’analyse des résultats démontre que les trois stagiaires ont principalement rencontré des difficultés organisationnelles et interactionnelles lors de leurs stages en enseignement, ce qui concorde avec les résultats de Dufour et al. (2019).

Difficultés organisationnelles

Sur le plan organisationnel, les principales difficultés rencontrées par les stagiaires sont en lien avec la qualité de la langue, la planification et la gestion du temps.

Pour Isabelle, une importante difficulté liée à la qualité de la langue écrite représente l’élément déclencheur associé à plusieurs autres difficultés rencontrées pendant son parcours universitaire ainsi qu’à l’obtention du statut d’ESH à la fin de son stage II :

Au fur et à mesure de mon stage, j’ai commencé à me rendre compte d’un certain handicap qu’on ne m’avait pas dépisté [auparavant]. […]. Je savais que j’avais des problèmes au niveau du français, j’ai toujours eu des problèmes en français écrit. J’ai de la difficulté à repérer mes propres fautes et c’est pour ça qu’elle [la superviseure] voulait me faire échouer. […]. Mon stage II s’est donc terminé avec une fiche de suivi [concernant la compétence liée à la communication orale et écrite]. Ma superviseure m’a demandé d’être testée sur les difficultés que je rencontrais, d’avoir une évaluation par un neuropsychologue. […] Maintenant grâce à ça (rires)… enfin grâce à ça, j’ai été diagnostiquée avec un déficit d’attention et j’ai commencé un suivi avec les étudiants en situation de handicap » .

Isabelle, entretien 1

Par ailleurs, toutes les participantes rapportent avoir rencontré des difficultés concernant la planification. Par exemple, Geneviève explique : « C’était dur [mon stage III en orthopédagogie] parce qu’il y avait beaucoup de planification à faire, beaucoup d’activités à élaborer et aucune période libre. » (Geneviève, entretien 1)

Pour sa part, Isabelle a éprouvé des difficultés sur le plan de la planification lors de son stage III qui met en lumière un effet négatif associé aux mesures d’accommodement pour les ESH :

Le stage III c’est le stage de l’évaluation. Mais je n’avais pas pris le cours d’évaluation parce que comme j’étais devenue ESH, j’avais le droit de ne pas être à temps plein. J’ai donc arrêté de me rendre barjo, j’ai enlevé le cours sur l’évaluation parce qu’il est donné à l’été. Donc, c’était un stage sur l’évaluation et je ne n’avais pas suivi le cours sur l’évaluation (rires).

Isabelle, entretien 1

Enfin, Isabelle et Mireille rapportent des difficultés en lien avec la gestion du temps et elles avancent un lien direct entre les difficultés rencontrées et leur SH :

J’ai déjà calculé combien tu travailles en stage, 60 heures par semaine. Moi, j’ai un déficit d’attention, pour faire un travail de qualité ça me prend trois à quatre heures un truc que les gens font probablement en une heure. Moi ça va me prendre trois heures de plus. […]. Mais je n’ai pas le choix parce qu’il faut que ce soit prêt quand j’arrive [à l’école].

Isabelle, entretien 1

J’ai de la difficulté à me concentrer, je prends encore de la médication, je suis facilement distraite, clairement mon cerveau n’est pas totalement rétabli. […]. Donc, ça me prenait deux heures par élève pour faire son bilan. Elle [l’enseignante associée] ça lui prenait 30 minutes et moi deux heures. Pis j’en avais une trentaine à faire.

Mireille, entretien 3

À ce sujet, elles tentent d’avoir recours à des accommodements lors de leur stage IV :

J’ai quand même pris rendez-vous avec le bureau pour les ESH lors de l’intra-stage pour faire le point, parce qu’au début de stage on m’avait dit que je pouvais demander des aménagements. Mais moi je ne sais pas ce qui va me causer problème à l’avance. […] Tu sais moi dans ma tête je me dis que je peux y arriver comme tout le monde. […] Je sais que je ne peux pas avoir d’accommodements sur le stage, mais plus sur les travaux en parallèle. Plus de temps pour faire les billets ou quelque chose comme ça.

Isabelle, entretien 2

Tout au long du stage IV, ma superviseure m’a donné des petits ajustements [pour la remise de mon journal de bord]. […]. Mais là, la dernière fois que je l’ai vue, elle m’a dit « bon maintenant, je te considère guérie. Je ne veux plus te donner de délais, je ne veux plus te donner de temps supplémentaire ». Alors je suis allée voir mon médecin pour qu’il dénote que je ne suis pas guérie et que j’ai besoin de temps pour faire mes travaux, ce qu’il a fait.

Mireille, entretien 3

Les résultats présentés ci-dessus soutiennent la prémisse que les ESH doivent gérer des difficultés amplifiées, voire inattendues par leur SH lors des stages (Lebel et al., 2016). Ces résultats éclairent leur positionnement sur le continuum de persévérance. En effet, elles considèrent toutes avoir éprouvé plus de difficultés que la moyenne des étudiants, notamment dues à leur SH, ce qui a inévitablement teinté leur parcours de persévérance.

À ce sujet, deux éléments émergent des résultats liés aux difficultés organisationnelles. D’abord, il est intéressant de constater, dans le cas d’Isabelle, qu’une mesure d’accommodement ayant pour but d’aider les ESH à vivre des réussites scolaires a engendré une difficulté additionnelle pour elle. Dans le cadre des programmes professionnalisants, les grilles de cheminement sont organisées afin que les étudiants suivent les cours préalables et préparatoires à chaque stage avant lesdits stages. Il est d’ailleurs attendu que les étudiants suivent un cheminement régulier, à temps plein, afin de favoriser une alternance intégrative entre les savoirs théoriques et les savoirs expérientiels (Leroux et Portelance, 2018). Ainsi, les résultats témoignent du manque de pertinence de certaines mesures d’accommodement pour les ESH inscrits dans un programme dont les stages constituent la pierre angulaire.

De plus, les résultats de cette recherche mettent de l’avant le fait que les stagiaires semblent préférer se prévaloir de mesures d’accommodement au cours de leur stage et non pas de manière proactive en amont, ce qui concorde avec la recherche de Vaillancourt (2017) qui stipule que c’est souvent à la mi-session, lorsque l’étudiant vit des difficultés et accumule des retards qu’il ressent le besoin de se présenter au bureau d’aide pour les ESH. Toutefois, il semble que les ESH devraient mieux connaître leurs droits en matière d’accommodements et qu’ils devraient faire part de leurs besoins avant les stages (Philion et al., 2016; Philion et Vivegnis, 2018; Robert et al., 2016). Les résultats démontrent que beaucoup de travail reste à faire autant du point de vue des ESH afin qu’ils se responsabilisent davantage que du point de vue des formateurs afin qu’ils fassent preuve de plus de flexibilité et de bienveillance. Selon Vaillancourt (2017), les difficultés liées aux retards accumulés et au stress engendré par le rattrapage difficile peuvent amener les ESH à abandonner leurs études.

Difficultés interactionnelles

Sur le plan interactionnel, la relation au sein de la triade a constitué une difficulté récurrente pour Isabelle et Mireille. Sans égard à sa SH, Isabelle a vécu une relation difficile avec ses enseignants associés lors des stages II, III et IV. Par ailleurs, des difficultés en lien avec la divulgation de sa SH sont survenues lors du stage III :

Dans mon stage III j’ai eu le malheur de dire que j’avais un TDA. […]. J’en ai parlé à mon enseignante associée. Ben oui là, je venais d’être diagnostiquée alors j’ai le droit à des aménagements soi-disant. Donc je l’ai dit, mais c’était un très grand regret de ma part. Je ne le referais plus jamais.

Isabelle, entretien 1

De surcroît, tout juste avant de commencer son stage IV, Isabelle se prononce sur la suite de son parcours universitaire, ce qui pourrait expliquer son positionnement sur le continuum de persévérance lors de son recrutement :

Alors si j’ai une superviseure exigeante, en plus à qui je dois dire que j’ai un TDA et que j’ai des fiches de suivi, moi dans tête, il y a des grandes chances que j’échoue. Donc, pour moi le stage IV c’est comme s’il est voué à l’échec à l’avance, mais ce n’est pas grave. Je vais faire de mon mieux, je n’ai pas trop d’attentes.

Isabelle, entretien 1

Mireille aussi a vécu des difficultés relationnelles avec ses enseignants associés et ses superviseurs lors de ses stages II et IV. Lors du stage IV, ce type de difficulté a pris énormément de place lors des entretiens. Selon Mireille, elle a reçu un accompagnement déficient, notamment au regard de sa SH :

Quand ma superviseure de stage IV est venue me voir [lors d’une visite de supervision], elle m’a dit « mais pourquoi que tu parles tellement de ton état de santé? ». Parce qu’elle avait commencé par me demander comment s’était passée la période. Moi j’ai dit « bien j’étais un peu étourdie et fatiguée, mais ça c’est bien passé ». Mais elle [la superviseure] a répondu : « qu’est-ce que tu cherches à avoir de ma part? ». Elle pensait que j’essayais d’attirer sa sympathie. […]. Ensuite, elle m’a dit : « tu parles tout le temps de ton état de santé, moi je trouve que pour ta compétence 12 [liée à l’éthique professionnelle] c’est vraiment très, très, très mauvais ».

Mireille, entretien 2

Pour sa part et sans égard à sa SH, Geneviève a plutôt rencontré des difficultés relationnelles récurrentes avec des élèves qui avaient des comportements affiliés au trouble oppositionnel. De plus, Geneviève a vécu un différend avec une collègue en stage IV qui l’a beaucoup perturbée. Plus d’une semaine après l’incident, Geneviève se sentait encore « toute croche » vis-à-vis cette situation, pour reprendre son expression, et elle explique le lien entre cette situation et son trouble de santé mentale :

C’est sûr que j’essaye d’être moins sévère envers moi-même. […]. Mais c’est toujours à travailler, ça me demande un effort constant parce que c’est dans ma personnalité de m’en faire pour rien et d’être stressée. Il faut que je me donne du lousse parce que sinon je finis par être à boute et je ne me tolère plus. […]. Dans le fond c’est ma manière de gérer le stress qui n’est pas bon. […]. Je prends encore des [médicaments], je suis à la dose maximale et je ne me vois pas diminuer.

Geneviève, entretien 3

Spécifiquement dans le cas d’Isabelle et de Mireille, il est possible de percevoir l’impact de la divulgation de sa SH aux autres membres de la triade. Le manque de sensibilité perçu par les stagiaires vis-à-vis leur SH laisse présager un besoin accru de formation pour les enseignants associés et les superviseurs (Bergeron-Leclerc et Simard, 2019; Lebel et al., 2016; Vaillancourt, 2017). Plusieurs stagiaires, dont Isabelle, préfèrent ne pas divulguer leur SH aux formateurs à la suite d’une mauvaise expérience vécue dans un stage précédent (Csoli et Gallagher, 2012; Dufour et al., 2019). Au regard de ces résultats, si le milieu institutionnel désire que les stagiaires divulguent leur SH aux enseignants associés et aux superviseurs, il est de sa responsabilité de mieux outiller les formateurs pour accompagner cette proportion d’étudiants qui ne cesse de croître. Dans le contexte de pénurie d’enseignants actuel, il serait particulièrement dommage de perdre des futurs enseignants en raison d’un manque d’ouverture et d’équité envers les stagiaires en SH. En somme, les difficultés interactionnelles rencontrées par les participantes les ont toutes amenées à se questionner sur leur désir de persévérer dans la profession, voyant le manque d’ouverture et d’empathie des membres du corps enseignant à leur égard lors de leurs stages, ce qui a certainement eu une incidence sur leur parcours de persévérance durant leur formation initiale à l’enseignement. Lors d’au moins un des entretiens, elles ont toutes fait allusion au fait qu’elles ne sont pas certaines de vouloir entamer une carrière dans un milieu empreint de « jugements » et « d’hypocrisie », pour reprendre certains de leurs propos.

Conclusion

En conclusion, cette recherche avait pour but de documenter le parcours de persévérance de stagiaires en SH. Les résultats indiquent que leur parcours de persévérance est principalement parsemé de difficultés organisationnelles et interactionnelles. Rappelons que les résultats présentés dans cet article proviennent d’une recherche doctorale qui regroupait neuf participants. La limite principale de cette étude réside donc dans le fait qu’elle ne regroupait pas uniquement des stagiaires en SH. Ainsi, le nombre de participants est limité et il est possible que les canevas d’entretiens n’aient pas permis de faire ressortir toutes les difficultés spécifiquement liées à la SH puisque les participants étaient libres d’aborder les difficultés qu’ils souhaitaient, avec ou sans égard à leur SH. Malgré cette limite, les résultats de cette recherche permettent de concevoir comment la SH a teinté le parcours de persévérance et permettent de renforcer l’idée qu’il est essentiel de mieux outiller les formateurs à l’accompagnement de ces stagiaires. Enfin, de manière plus générale, les résultats de cette thèse doctorale illustrent que d’autres recherches devraient s’attarder à documenter les stratégies mobilisées pour surmonter des difficultés liées à la relation enseignement-apprentissage lors des stages en enseignement afin de dégager davantage de pistes pour soutenir la formation des futurs enseignants.