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L’importance de l’enseignement de l’oral, tant au primaire qu’au secondaire, est de plus en plus documentée. Cependant, l’évaluation de l’oral semble générer des maux de tête aux personnes enseignantes, celles-ci se demandant comment évaluer l’oral de manière à favoriser le développement de la compétence à communiquer oralement (CCO) de leurs élèves (Sénéchal, 2022). C’est dans ce contexte que nous avons mené une recherche dans la région montréalaise qui s’est intéressée aux effets de la coévaluation formative sur le développement de la CCO d’élèves de première secondaire (élèves de 12-13 ans) (Desrochers, 2023). Cet article vise à présenter la démarche de coévaluation mise en pratique dans le cadre de cette recherche ainsi que les bienfaits de ce moyen d’évaluation.
Qu’est-ce que la coévaluation ?
La coévaluation est un moyen d’évaluer l’oral qui se caractérise par la confrontation de plusieurs points de vue au sujet d’une même prise de parole. Dans le cadre de notre recherche, deux démarches de coévaluation ont été expérimentées : la coévaluation élève-élève et la coévaluation personne enseignante-élève, lesquelles impliquent la confrontation de l’autoévaluation de l’élève avec l’évaluation de l’un de ses pairs ou avec celle de la personne enseignante. La coévaluation utilisée dans notre recherche et dont il est question dans cet article est de type formatif. Elle vise donc à susciter une prise de conscience chez l’apprenant quant à ses forces et aux éléments pouvant être améliorés. Le but n’est pas d’attribuer une note à l’élève, mais bien de lui fournir des commentaires l’amenant à poursuivre le développement de sa CCO.
Intégrer la coévaluation à une séquence d’enseignement
Pour donner du sens à la coévaluation et afin qu’elle cible seulement des notions ayant préalablement été enseignées, nous avons intégré la coévaluation formative à une séquence d’enseignement de l’oral inspirée des travaux de Lafontaine (2007). Bien que nous ayons réalisé cette séquence en première secondaire pour l’enseignement-apprentissage du genre « exposé oral descriptif » dans un contexte où les élèves avaient tous accès à une tablette numérique, il serait tout à fait possible de la mettre en place à tous les niveaux du primaire et du secondaire pour l’enseignement de différents genres oraux (tels que la table ronde, le débat, l’entrevue, etc.). La séquence comprend six étapes.
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Le projet de communication : La première étape consiste à présenter le projet de communication aux élèves (le genre oral, les sujets des prises de parole, les modalités de la production finale, etc.). Cette présentation peut être réalisée en moins d’une période.
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La production initiale : Il s’agit d’une première production orale effectuée sans enseignement préalable (par quelques élèves volontaires, par exemple).
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L’état des connaissances : Après avoir écouté la production initiale, les élèves et la personne enseignante établissent des forces, mais également des objets de l’oral à travailler en vue de la production finale (comme le débit, le registre de langue, l’organisation du discours, etc.). Les étapes de la production initiale et de l’état des connaissances sont susceptibles d’être réalisées dans la même période que la présentation du projet de communication.
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Les ateliers formatifs : Les objets relevés lors de l’état des connaissances sont ensuite enseignés et mis en pratique lors des ateliers formatifs (un objet par atelier). Au secondaire, il est recommandé de mettre en place quatre ou cinq ateliers par séquence. La durée d’un atelier est d’environ une période, mais peut varier en fonction du rythme d’apprentissage des élèves.
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La coévaluation formative : Cette étape peut être réalisée selon deux démarches, soit la coévaluation élève-élève (durée d’un cours) ou la coévaluation personne enseignante-élève (durée de trois cours ou moins). Elle implique notamment la production d’une prise de parole de pratique (voir la section suivante).
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La production finale : La dernière étape prend la forme d’une évaluation finale lors de laquelle une note peut être attribuée.
Coévaluer en quelques étapes
Nous avons conçu deux démarches différentes pour la coévaluation : une première pour la coévaluation élève-élève et une seconde pour la coévaluation personne enseignante-élève.
La coévaluation élève-élève
Figure 1
Étapes de la coévaluation élève-élève
Tout d’abord, une prise de parole de pratique est effectuée en devoir par les élèves (étape 1). Dans notre cas, les élèves ont utilisé leur tablette électronique individuelle pour se filmer, mais cette étape pourrait également être réalisée avec un téléphone cellulaire. Par la suite, en classe, chaque élève visionne sa prise de parole et répond à un questionnaire d’autoévaluation (à l’écrit) comprenant des questions telles que « Selon toi, quels sont les points forts de ta prise de parole ? » et « Quels sont les éléments sur lesquels tu dois travailler en vue de la production finale ? » (étape 2). Puis, des équipes de deux élèves sont formées. Chaque élève écoute la prise de parole de son pair et remplit un questionnaire de coévaluation (étape 3). Les questions sont sensiblement les mêmes que celles figurant dans le questionnaire d’autoévaluation afin de favoriser la comparaison des réponses lors d’une discussion (étape 4). Ultimement, l’élève est amené à effectuer une production finale, laquelle porte sur un sujet différent de celui de la prise de parole de pratique (étape 5).
Pour s’assurer de la qualité des rétroactions, il est important d’avoir préalablement enseigné aux élèves à formuler des commentaires. Différentes techniques peuvent être enseignées, dont la justification à l’aide de faits audibles ou observables, l’utilisation du message en « je » et la rétroaction sandwich (force, élément à améliorer et force) (Dumais, 2011).
La coévaluation personne enseignante-élève
Du côté de la coévaluation personne enseignante-élève, la démarche proposée est similaire. La principale différence repose sur le fait que la personne enseignante doit visionner l’ensemble des vidéos produites par ses élèves, ce qui demande plus de temps de préparation (étape 2). Elle doit également discuter avec chaque élève qui a préalablement rempli un questionnaire d’autoévaluation. Pour des discussions d’environ cinq minutes par élève, deux à trois cours peuvent s’avérer nécessaires (étape 4). Pendant ce temps, les autres élèves de la classe peuvent être au travail.
Figure 2
Étapes de la coévaluation personne enseignante-élève
La coévaluation élève-élève ou personne enseignante-élève, laquelle choisir ?
Dans le cadre de la recherche qui a été menée, nous avons d’abord cherché à comprendre si l’une des démarches permet une plus grande amélioration que l’autre. Pour ce faire, nous avons mis en place une coévaluation élève-élève dans un premier groupe et une coévaluation personne enseignante-élève dans un second groupe. Nous avons ensuite comparé la note obtenue par chaque élève de chacun des groupes lors de la prise de parole de pratique avec celle obtenue lors de la production finale. Nos résultats indiquent que l’amélioration s’avère statistiquement significative pour les deux démarches, donc que l’amélioration se révèle similaire d’une démarche à l’autre.
Par ailleurs, nous nous sommes entretenus avec 18 élèves afin de mieux comprendre les raisons pouvant expliquer leur amélioration. Ces raisons, présentées au tableau 1, fournissent des informations pertinentes pouvant aider le personnel enseignant à opter pour l’une ou l’autre des démarches.
Tableau 1
Quelques raisons mentionnées par des élèves pour expliquer leur amélioration
Nos résultats suggèrent que la coévaluation élève-élève favorise l’implication des élèves : ceux-ci semblent poussés par une motivation intrinsèque les amenant à se sentir responsables de leurs apprentissages et à consacrer davantage de temps à la préparation de leur production finale. Cette démarche semble donc bénéfique pour des élèves ayant plus de difficulté à s’engager dans les tâches de production orale (y voyant peu de pertinence, par exemple). D’un autre côté, la coévaluation personne enseignante-élève place davantage les élèves en posture d’écoute (certains osant peu parler lors de la discussion), mais serait largement bénéfique pour l’amélioration de leur confiance en eux, surtout lorsqu’ils perçoivent la personne enseignante comme étant une coévaluatrice expérimentée. Cette démarche semble donc avantageuse pour des élèves anxieux à l’idée de prendre la parole et peu confiants en leur CCO.
Conclusion
En somme, la coévaluation formative intégrée à une séquence d’enseignement de l’oral contribue positivement au développement de la CCO des élèves du secondaire. Nos résultats indiquent que ses bénéfices vont au-delà de l’amélioration des notes, tendant notamment à augmenter la motivation des apprenants et leur confiance en eux. Étant donné que les prises de parole sont redoutées par bien des élèves, il nous semble s’agir de bénéfices non négligeables.
Appendices
Bibliographie
- Desrochers, K. (2023). Effets des coévaluations formatives élève - élève et enseignante - élève sur le développement de la compétence à communiquer oralement d’élèves du secondaire [mémoire de maitrise, Université de Montréal]. Papyrus. https://doi.org/1866/32470
- Dumais, C. (2011). Une séquence d’enseignement intégrant l’évaluation par les pairs. Dans L. Lafontaine (dir.), Activités de production et de compréhension orales : Présentation de genres oraux et exploitation de documents sonores (p. 47-59). Chenelière Éducation.
- Lafontaine, L. (2007). Enseigner l’oral au secondaire. Chenelière Éducation.
- Sénéchal, K. (2022). Description des pratiques déclarées, des représentations et des besoins de formation de membres du personnel enseignant en ce qui concerne l’enseignement de l’oral au primaire québécois. Éducation et francophonie, 50(1). https://doi.org/10.7202/1088546ar
List of figures
Figure 1
Étapes de la coévaluation élève-élève
Figure 2
Étapes de la coévaluation personne enseignante-élève
List of tables
Tableau 1
Quelques raisons mentionnées par des élèves pour expliquer leur amélioration