Recensions

Jocelyn Létourneau, Le Québec entre son passé et ses passages, Montréal, Fides, 2010[Record]

  • Julien Goyette

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  • Julien Goyette
    Université du Québec à Rimouski

Conformément à une pratique de plus en plus répandue, l’historien se place ici de plain-pied sur le terrain identitaire. « Que faire de ce qui nous a fait ? » demande en effet Jocelyn Létourneau, en lieu et place du classique historien « Que s’est-il passé ? ». Professeur d’histoire à l’Université Laval, l’auteur ne s’adresse pas non plus au premier chef à ses collègues, mais bien à tous ceux et celles qu’intéresse, de près ou de loin, la mémoire collective. Ce qui ne signifie pas que les historiens sont absents de l’ouvrage : Létourneau les convoque à l’occasion, la plupart du temps afin de valider une interprétation ou pour constater leur impuissance à agir sur la mémoire collective. Sans être annulée, la question historienne se trouve ainsi déplacée de son habituel socle méthodologique et épistémologique pour être tirée vers le champ politique et, j’oserais dire, moral. Il s’agit moins dans le cas présent de savoir ce qu’a été le passé québécois, de réfléchir sur les moyens de le connaître, que de trouver « l’histoire la plus juste à proposer de l’expérience québécoise » (page 12). Or qu’est-ce que la justesse d’une histoire en regard de l’identité ? L’histoire dont les héritiers ont besoin, nous dit l’auteur dans la foulée de ses écrits antérieurs, est une histoire qui rend compte de la complexité du passé plutôt qu’elle ne la gomme, une histoire qui libère les possibilités d’interprétation des acteurs du présent plutôt qu’elle ne les étouffe, une histoire qui dénoue les noeuds du passé plutôt qu’elle ne les resserre, une histoire qui rime avec espoir et délivrance plutôt qu’avec désillusion et servitude. En somme, une histoire tremplin plutôt qu’une histoire cul-de-sac. Dans sa présentation, l’auteur souhaite d’une part calmer le jeu devant certains acteurs du débat identitaire portés à crier au loup à la moindre atteinte – réelle ou fictive – au « Nous national », et d’autre part ouvrir un espace de dialogue entre les opinions divergentes des protagonistes. Pour ce faire, il doit camper les adversaires dans des positions diamétralement opposées : d’un côté, les conservateurs, partisans du statu quo, défenseurs d’une identité authentique et éternelle ainsi que d’un passé à consolider ; de l’autre, les réformistes, inconditionnels du changement, tenants d’une identité ouverte et en devenir, de même que d’un avenir à construire et à conforter. Et après avoir tout disjoint, Létourneau a beau jeu de se faire l’apôtre du compromis : Divisé en deux parties, l’ouvrage rassemble une série de textes qu’une bourse et un congé sabbatique ont permis de remanier et de bonifier. Dans sa lecture, le lecteur reconnaîtra certains concepts et formules chers à l’auteur (« se souvenir d’où l’on s’en va », « canadianité », « Québécois d’héritage canadien-français », etc.). La première partie porte sur l’histoire comme enjeu d’avenir pour la société québécoise. Parmi les thèmes discutés, on retrouve la supposée « crise » de la mémoire. Ce que le Québec vit en ce moment, ce serait moins un rapport brisé avec le passé, la mémoire et la tradition, que l’épuisement d’un métarécit national qui s’entête, envers et contre les faits, à vouloir faire entrer de force le passé par le goulot devenu trop étroit de la nation. Contrairement à l’idée reçue, les jeunes Québécois n’ont pas perdu la mémoire ; au contraire, leur représentation du passé est étonnamment forte, quoique simpliste. Les enquêtes de l’auteur menées auprès des étudiants du secondaire montrent bien qu’en dépit de l’enseignement prodigué dans les écoles, les jeunes se font volontiers les haut-parleurs de la mémoire collective. « Ce n’est pas tant la perspective constructiviste inhérente …