Recensions

Matthew Evangelista, Gender, Nationalism, and War : Conflict on the Movie Screen, Cambridge, Cambridge University Press, 2011[Record]

  • Olivier Barsalou

…more information

  • Olivier Barsalou
    New York University

Dans un essai publié en 1938, l’écrivaine américaine Virginia Woolf arguait que « as a woman I have no country. As a woman I want no country. As a woman my country is the whole world ». Elle rejetait toute forme de patriotisme féminin, car le contrat social liant l’État et ses citoyens exclut les femmes. L’ouvrage de Matthew Evangelista, professeur en science politique à l’Université Cornell (États-Unis), prend pour point de départ cette présomption selon laquelle les femmes sont simplement les victimes des conflits nationalistes. Ce truisme obscurcit le rôle passif ou actif, souvent privé, que jouent les femmes dans la production et la reproduction de la nation. Woolf établit des liens entre les violences nationalistes et la féminité. Selon elle, ce sont les institutions de la socialisation (école, religion, appareil d’État) qui, de par leur nature hiérarchique et compétitive, inculquent le désir guerrier et nationaliste chez les hommes. Le statut dit « privé » de la femme dans la société est la résultante logique d’un processus de socialisation/intégration duquel elles sont exclues. Cette exclusion des institutions masculines serait, selon Woolf, la source du pacifisme des femmes. Le professeur Evangelista explore ces thèmes et cherche à problématiser les hypothèses de Woolf au travers de l’analyse de films issus de quatre régions du monde qui ont été le théâtre de conflits nationalistes : la guerre d’indépendance d’Algérie, le démembrement de la Yougoslavie, la guerre en Tchétchénie et le nationalisme québécois. À l’instar de la littérature, le cinéma, matériau sous-utilisé en sciences sociales, réussit souvent à mettre en lumière, de façon subtile et sensible, les impensés de la relation complexe liant le genre, le nationalisme et la guerre. Deux grandes hypothèses de recherche se dégagent du livre. La première, inspirée par la pensée de Woolf, suggère que l’amélioration relative du statut de la femme vis-à-vis de l’homme tend à réduire les conflits entre communautés politiques. La seconde, empruntée aux théories associées, entre autres, à Cynthia Enloe, suggère qu’un déclin dans le statut et les perspectives économiques des hommes, dans la mesure où cela affecte négativement leur identité masculine, peut conduire à des éruptions de violence qui s’exprimeront tant à l’intérieur de la communauté, contre les femmes par exemple, qu’à l’extérieur de celle-ci. Cet écroulement des identités masculines conduirait à une « prolifération de petits hommes ». Leur déclin économique ne correspondrait pas aux attentes sociales et à l’image traditionnelle d’une masculinité forte et confiante. Dans ce contexte, la violence s’exprimerait à la fois contre l’oppresseur étranger à la communauté ainsi que contre les femmes, dont l’émancipation continue de pervertir l’image qu’a la société des hommes. Par exemple, le film La Bataille d’Alger (1966), mis en scène par le réalisateur italien Gillo Pontecorvo, évoque avec beaucoup de réalisme l’ambiguïté du rôle de la femme dans la guerre de libération nationale algérienne et réfute du même coup la thèse de Woolf. En effet, ce film met en scène des femmes participant volontairement aux actes de violence du Front de libération nationale (FLN) algérien, que ce soit en posant des bombes ou en trafiquant des armes à l’intérieur de la casbah d’Alger. En ex-Yougoslavie, le film Joli village, jolie flamme du réalisateur Srdjan Dragojevic raconte avec ironie la montée de ces tensions intercommunales et l’absurdité de la guerre. Surtout, comme le décrit Evangelista, les violences envers les femmes se sont nourries de la culture, d’un vocabulaire et d’un sentiment serbes profondément misogynes. Les conflits nationalistes dans les Balkans rompent définitivement, selon Evangelista, avec l’image pacifique de la femme et guerrière de l’homme. L’auteur évoque plusieurs cas où des femmes ont choisi de joindre les …

Appendices