Recensions

François Provenzano, Historiographies périphériques. Enjeux et rhétorique de l’histoire littéraire en francophonie du Nord (Belgique, Suisse romande, Québec), Académie Royale de Belgique, Classe des lettres, 2011[Record]

  • Claude Hauser

…more information

  • Claude Hauser
    Université de Fribourg

Rares sont les auteurs traitant des littératures francophones qui réussissent à conserver une posture scientifique dégagée de tout esprit de militantisme pour la cause de la francophonie littéraire, tout en ne déniant pas la réalité et la pertinence de cet objet d’étude ni les enjeux politico-culturels qui sont liés à la survivance et au développement de ces littératures dans les espaces concernés. François Provenzano en fait partie, et après un essai décapant intitulé Vie et mort de la francophonie, il propose dans cet ouvrage une approche sociologique originale, car comparative et synthétique, du développement des littératures de la francophonie périphérique aux xixe et xxe siècles. Fondé sur une excellente connaissance des différentes analyses du discours sur la littérature dans les pays considérés, appuyé sur une réflexion théorique poussée qui frise parfois le discours jargonnant pour les non-spécialistes – heureusement, un index des notions les plus employées est offert aux lecteurs en fin d’ouvrage –, le livre de Provenzano propose une étude comparative en quatre phases des historiographies littéraires belge, suisse et québécoise. Phase d’émergence tout d’abord, au cours d’une période qui correspond à celle des affirmations nationales, y compris par la mise en évidence d’un corpus littéraire original dans les francophonies périphériques alors largement soumises à la domination du centre parisien. Dans un contexte teinté d’influences maurrassiennes, Belgique, Québec et Suisse romande sont alors dépendantes d’une « francodoxie » dominante qui veut que, hors du « classicisme » français et de la pureté de son expression littéraire, il n’y ait point de salut. Phase de rupture ensuite, lorsqu’il s’agit, durant la première moitié du xxe siècle, soit de s’affirmer en tant que périphérie par un discours d’avant-garde original, caractérisé par une défense de « l’art pour l’art » prônée par le mouvement de la Jeune Belgique et valorisée dans sa quête d’autonomie par Francis Nautet, soit de prendre ses distances parfois de manière ambiguë « entre la France et nous », comme le proclame l’éditeur québécois Robert Charbonneau et son entourage au sortir de la Seconde Guerre mondiale, soit, enfin, de miser sur un lien fort entre littérature et politique identitaire. Celui-ci s’incarne en Suisse romande dans la personnalité et l’oeuvre de Gonzague de Reynold et perdure en un « esprit suisse », sensible dans l’institution de la Défense nationale spirituelle, qui influence le champ culturel helvétique jusqu’au milieu des années 1960. Puis, succède une phase d’institutionnalisation, qui prend corps à partir du milieu du xxe siècle lorsque l’émergence de la francophonie littéraire puis institutionnelle facilite la reconnaissance des productions littéraires périphériques désormais défendues et illustrées par des critiques établis dans le milieu académique, ou des ouvrages de synthèse qui ambitionnent non seulement de faire le point, mais également de promouvoir au-delà des frontières nationales ce véritable « patrimoine francophone ». Phase de déclassement enfin, très contemporaine, qui voit un discours métalittéraire se développer en prenant pour objet ces institutions du champ périphérique, dont plusieurs études récentes permettent désormais de comprendre le fonctionnement intérieur et les enjeux socioculturels qui les sous-tendent. L’ouvrage de François Provenzano est susceptible d’intéresser des publics différents. Tout d’abord, ceux qui chercheront à se documenter, au fil des quatre phases déterminées, sur les détails du discours d’escorte qui porte sur la progression des champs littéraires belge, suisse romand et québécois ne seront pas déçus. L’essentiel des ouvrages et articles constituant ce discours est minutieusement répertorié, présenté et replacé dans son contexte d’émergence, sans que jamais l’on ne se perde dans le détail superflu. Certes, quelques précisions seront exigées par les spécialistes de chaque champ littéraire considéré, ou quelques nuances ou détails …