Note critique

Penser l’histoire du mouvement étudiant au Québec : sous les lieux communs, un chantier[Record]

  • Daniel Poitras

…more information

  • Daniel Poitras
    CEVIPOF (Sciences Po, Paris)

Le mouvement de 2012 déclenché par la grève étudiante au Québec nous a donné une autre occasion de voir à quel point la « mise en histoire » d’un objet comme le mouvement étudiant demeurait largement liée aux lieux d’expérience d’un chercheur. Plus que d’autres, cet objet est particulièrement révélateur à la fois d’une inscription générationnelle et de postulats scientifiques, sociaux ou politiques. Sa proximité prend plusieurs formes selon l’observateur : temporelle, à travers les souvenirs (de militant, de sympathisant) ; idéologique, selon le rôle global donné au mouvement étudiant ; éthique, en ce qui concerne, notamment, la désobéissance publique ou la violence. Cette proximité est encore renforcée par l’expérience de chacun avec la « jeunesse », qu’il s’agisse de la sienne (remémorer ou idéaliser) ou de celle perçue en tant que parent, téléspectateur, éducateur, etc. Cette familiarité, au fil du temps, en vient à constituer un stock de repères mémoriels (personnels et collectifs). Latents et parfois enfouis, ceux-ci s’actualisent vivement lorsqu’éclate un événement d’ampleur impliquant les étudiants. Qu’on les maudisse ou les acclame, ces événements favorisent, dans une province portée au consensus, l’éclosion de débats/combats publics qui stimulent la réflexivité citoyenne. Or cette proximité de l’observateur et de son objet, si elle génère parfois des hypothèses neuves, n’est pas toujours féconde pour la recherche. Qu’il s’agisse du transfert enthousiaste d’espoirs révolutionnaires sur le dos des étudiants ou de réactions épidermiques face au « désordre » ou aux « grossières indécences » de la jeunesse, plusieurs chercheurs se laissent prendre au jeu et instrumentalisent l’histoire du mouvement étudiant. C’est le cas du livre de Marc Simard, Histoire du mouvement étudiant québécois 1956-2012. Des trois braves aux carrés rouges (Québec, Presses de l’Université Laval, 2013), que j’examinerai dans la première partie de cette note critique La deuxième partie, programmatique, est d’une autre mouture : j’y grouperai, autour de quatre horizons de la recherche, des thèmes et des problématiques susceptibles d’élargir le champ d’études sur l’histoire du mouvement étudiant. Il faut cependant prendre « programmatique » avec des pincettes. On ne trouvera pas ici un projet particulier, bien ficelé et cohérent, ni encore une liste exhaustive des travaux effectués ou des recherches à entreprendre. Mais il semblait approprié, trois ans après 2012, de faire le point, d’autant plus que plusieurs travaux sont en cours sur le sujet. Un ouvrage de synthèse sur l’histoire du mouvement étudiant au Québec était une bonne idée, à condition, comme Marc Simard le mentionnait lui-même, d’inclure des « interprétations venant de tous les horizons ». Le lecteur opine : afin de réaliser un projet aussi ambitieux, s’élever un tant soit peu au-dessus de la mêlée est essentiel. De plus, l’auteur a un avantage : contrairement aux pionniers, il ne défriche pas un territoire vierge, il n’a pas l’excuse de bricoler une cabane au milieu de nulle part avec les moyens du bord. La littérature sur les mouvements étudiants, bien que relativement récente, a déjà donné des textes marquants. Un coup d’oeil rapide confirme que ces interprétations ne sont pas absentes de l’ouvrage, mais, réalise-t-on rapidement, elles y sont sous une forme pour ainsi dire frelatée : Marc Simard s’intéresse en fait assez peu aux « interprétations ». Peut-être est-ce pour mieux proposer des hypothèses neuves ? L’auteur a l’honnêteté d’admettre que ses obligations comme professeur au cégep ne lui ont pas laissé le temps de faire une étude originale. Reste alors le format de la chronique, à quoi fait penser l’ouvrage (ponctué de tableaux) si on le feuillette rapidement. Mais Marc Simard a d’autres ambitions : s’il s’intéresse peu aux interprétations, il veut tout de même donner …

Appendices