Recensions

María Sierra Córdoba Serrano, Le Québec traduit en Espagne. Analyse sociologique de l’exportation d’une culture périphérique, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2013[Record]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge
    Université Laval

La visibilité des écrivains du Québec à l’étranger résulte rarement du hasard ou d’un engouement spontané. Dans bien des cas, cette présence québécoise dans d’autres cultures est au contraire le résultat d’efforts concertés, de stratégies de réseautage et de subventions ciblées pour favoriser des échanges culturels entre de nombreux partenaires : dans ce cas-ci, les maisons d’édition, les États concernés et les publics. C’est précisément ce que démontre le premier livre (dérivé d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université d’Ottawa) de María Sierra Córdoba Serrano, qui enseigne au Monterey Institute of International Studies, en Californie. Le but de son livre est de montrer comment des dizaines de livres québécois ont été traduits et édités en Espagne, principalement en Catalogne. Le corpus choisi de nos auteurs traduits en castillan ou en catalan est impressionnant par son ampleur et souvent insoupçonné : des oeuvres de Nelly Arcan, d’Yves Beauchemin, de Ying Chen, de Dominique Demers, de Cécile Gagnon (14 ouvrages), d’Anne Hébert, de Louis Hémon (Maria Chapdelaine) et de plusieurs autres, totalisant 77 oeuvres, principalement des romans et des ouvrages pour la jeunesse. Une attention particulière est ici accordée à l’écriture des femmes, et surtout à « l’écriture au féminin » de Nicole Brossard (p. 97). L’intérêt de l’Espagne pour les écrits québécois ne date pas d’hier ; une traduction en espagnol du roman Maria Chapdelaine a été publiée en 1923, soit sept ans après la première édition en français, et plusieurs rééditions ont suivi, en castillan et en catalan (p. 240). Ouvrage bien structuré, Le Québec traduit en Espagne se subdivise en cinq chapitres portant sur les bases de la sociologie de la traduction, la mise en place et l’organisation des réseaux ayant permis la traduction de nombreux romans québécois en Espagne, la prééminence des écrits de femmes au Québec et en Espagne à partir des années 1975, l’apport des voix migrantes au Québec et, enfin, la spécificité québécoise et ses livres à succès. Le cadre théorique de cette recherche emprunte principalement aux travaux fondateurs de Pierre Bourdieu en sociologie de la littérature, mais aussi aux théories des transferts culturels et à plusieurs auteurs anglo-saxons (dans la lignée de l’économie politique de la culture). Ici, le transfert culturel est entendu comme « [l]e transport de matériaux d’une culture à une autre » (p. 1), tout en sachant que « [l]e matériau transféré se transforme dans le processus, puisque son identité et son sens sont fonction d’une relation à un contexte » (p. 1). La question des réseaux sociaux est naturellement essentielle dans cette étude de la circulation des biens culturels ; on interroge, par exemple, le rôle catalyseur des associations d’études canadiennes afin de déterminer s’il est plus important d’organiser des conférences dans des universités étrangères où des écrivains québécois rencontrent des professeurs européens, ou s’il est préférable de faire en sorte que les livres eux-mêmes (et non les écrivains) puissent circuler dans les librairies d’Espagne et d’ailleurs (p. 81). En outre, la question des bourses et des subventions de recherche est également soulevée, tout comme l’action promotionnelle d’organismes comme l’Association internationale des études québécoises (AIEQ) (p. 80). D’ailleurs, la question de l’intérêt des universitaires espagnols pour la littérature québécoise est abordée franchement : on mentionne parmi les facteurs déterminants de ces vocations « les généreux programmes de bourses de recherche et d’aide à la publication provenant du gouvernement provincial, mais surtout du gouvernement fédéral » (p. 82). L’action concertée de ces réseaux culturels appartenant à des instances diverses mais ayant des buts communs peut donner des résultats probants, comme l’illustre le cas québéco-espagnol, car « ces agents, normalement …