Introduction. Les enjeux du modèle des sociétés du savoir tels qu’ils sont vécus au Québec[Record]

  • Jean Bernatchez

…more information

  • Jean Bernatchez
    Université du Québec à Rimouski

L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), dans son rapport Vers les sociétés du savoir publié en 2005, propose un idéal inspirant, celui des sociétés du savoir. Une société qui aspire à devenir une « société du savoir » met en place des institutions et des politiques favorisant l’accès du plus grand nombre à la connaissance et à la pensée critique, ainsi que l’utilisation dans les pratiques sociales de savoirs scientifiques pertinents aux finalités de paix et de développement, selon des modalités associées au partage et à la collaboration. Une société du savoir valorise la pluralité et la complémentarité des connaissances (savoirs scientifiques, techniques, traditionnels, pratiques, expérientiels, créatifs, etc.) et le libre accès aux connaissances savantes. Elle lutte contre les fractures sociales qui privent des citoyens de l’accès au savoir le plus élémentaire (la littératie). En 2012, l’Alliance mondiale pour la recherche au service de la communauté rédigeait une déclaration en ce sens, affirmant « que le droit à l’apprentissage, le droit à la connaissance, le droit à la production de connaissances, et le droit d’accéder à la connaissance constituent des droits inaliénables pour tous ». Ce numéro de la revue Globe vise à mettre au jour le rôle que joue et que peut jouer la science dans la réalisation de cet idéal, au Québec plus particulièrement. À première vue, le rôle de l’institution scientifique (organisations, acteurs, pratiques, discours, ressources, connaissances, etc.) dans une société du savoir est crucial. Nourrie par la théorie, l’expérimentation ou la collecte de données, l’institution scientifique crée et diffuse les connaissances qui seront ensuite transmises à toute la société par le système d’éducation et les médias. Elle peut être un lieu fertile d’innovations qui transforment les conditions d’existence. Ce pouvoir lui impose la responsabilité de respecter, protéger et diffuser tous les savoirs imaginés et accumulés par l’Humanité, de viser l’universel de manière inclusive. Cet idéal doit cependant composer avec des contraintes. Dans le premier type de contraintes, cet idéal s’oppose au modèle de l’économie du savoir proposé entre autres par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 1996 dans son rapport L’économie fondée sur le savoir. Ce modèle influence la plupart des politiques scientifiques nationales mises en oeuvre au cours des deux dernières décennies. Il considère la recherche scientifique et l’innovation qu’elle génère comme un outil de développement de la compétitivité économique. Quand l’État considère le savoir comme un capital ou une marchandise et qu’il privilégie les sciences appliquées et les partenariats avec le secteur privé à but lucratif, que devient l’idéal des sociétés du savoir ? Ce dilemme est clair dans le cas des universités québécoises : sont-elles des marchés compétitifs dont les clients sont les étudiants ? Sont-elles un service public qui a pour mission de former des étudiants parce que la société a besoin de citoyens instruits et conscients de leur responsabilité sociale (médecins, enseignants, journalistes, ingénieurs, écrivains, biologistes, juristes, informaticiens, etc.) ? Le deuxième type de contraintes est d’un autre ordre, même si on peut considérer qu’il fait partie des conséquences du mouvement vers le développement d’une économie du savoir. Il s’agit de la crise morale que traverse actuellement la pratique scientifique partout dans le monde, comme le montrent le nombre croissant de rétractations d’articles frauduleux même dans les plus grandes revues, le manque d’intérêt ou de confiance des décideurs dans les avis scientifiques, la fragilisation de l’autorité des organismes régulateurs (en sciences de la santé, notamment), les difficultés des sciences sociales et humaines à maintenir leur financement public, les conflits d’intérêts individuels et institutionnels dans la recherche et l’innovation, le corporatisme …

Appendices