Recensions

Andrée Rivard, Histoire de l’accouchement dans un Québec moderne, Montréal, Les Éditions du remue-ménage, 2014[Record]

  • Isabelle Courcy

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  • Isabelle Courcy
    Université d’Ottawa

Réfléchir à la médicalisation de la naissance, c’est chercher à comprendre comment la science s’est progressivement emparée de l’une des expériences humaines les plus fondamentales, sans égard au fait que la grande majorité des femmes enceintes soient en santé ou qu’elles aient une grossesse « normale ». Ce livre, issu des recherches doctorales de l’auteure, s’inscrit dans le champ des recherches critiques et des réflexions féministes, d’où son postulat de départ voulant que les femmes, actrices de premier plan, soient « porteuses du changement social » (p. 25). Pierre de touche de la thèse mise de l’avant, ce changement concerne l’émergence de nouvelles attentes individuelles quant aux conditions de mise au monde qui se manifestent, à partir des années 1960, « par une affirmation sans précédent des droits des femmes » (p. 129). Sur le plan théorique, l’auteure mobilise les travaux du sociologue Alain Touraine sur la modernité ainsi que la perspective foucaldienne sur le biopolitique pour analyser les rapports que les femmes entretiennent avec les appareils médical et étatique sur l’accouchement, et ce, à la lumière des mutations sociales survenues au Québec au courant du dernier siècle. La première partie du livre porte sur des facteurs ayant concouru à façonner les mentalités et permis la montée de la médicalisation de l’accouchement autour des années 1950. L’idée qui est d’abord développée se révèle dans le titre du premier chapitre : « La médecine obstétricale, icône de la modernité ». L’auteure montre comment la médecine, posée en idéal de la modernité, est parvenue à s’infiltrer dans les sphères les plus intimes de la vie des individus en imposant dans les consciences une vision mécaniste du corps qui en appelle à des normes et à des comportements de santé jusqu’alors jamais vus. La promesse d’un accouchement « sans risque » assuré par les progrès de la médecine moderne sera rapidement intériorisée par les Québécoises. Dans le deuxième chapitre, il est question de la « génération lyrique », les premiers-nés et les premières-nées du baby-boom (Ricard, cité par Rivard, p. 88-91). L’historienne montre comment les aspirations de cette génération de jeunes adultes voulant faire une rupture avec le passé pour « entrer dans une modernité qui semble arriver chez eux [et chez elles] plus tardivement qu’ailleurs » (p. 88) ont favorisé l’amplification et l’intégration des messages modernistes de la vision médicale. En ces « temps nouveaux », l’accouchement moderne est promu comme étant « sans risque » et « sans douleur », ce qui signifie le plus souvent un accouchement dirigé en milieu hospitalier avec anesthésie générale de la parturiente (p. 129). La deuxième partie de cet ouvrage, composée des troisième et quatrième chapitres, s’attarde sur le mouvement d’affirmation porté par le désir partagé par plusieurs Québécoises d’accoucher selon les méthodes de « l’accouchement conscient », c’est-à-dire sans médicaments pouvant altérer leur conscience et en présence de leur conjoint (p. 134). En opposition avec le modèle dominant de l’accouchement dirigé, ces demandes seront généralement très mal accueillies par le corps médical et le personnel hospitalier. Néanmoins, des initiatives originales verront le jour comme le Centre psychoprophylactique d’accouchement sans douleur de Québec (1957-1968), qui fait l’objet du quatrième chapitre. Par la restitution de témoignages et l’analyse d’archives, l’historienne montre comment cet espace a permis à des couples de vivre l’expérience de la mise au monde dans une vision renouvelée de la naissance selon laquelle la participation active de la femme était valorisée, tout comme l’engagement des pères dans le processus d’enfantement et au sein de la famille en général. Ce terrain d’exploration, utile à la poursuite de la thèse soutenue par l’auteure, apporte une …