Recensions

Pierre-Mathieu Le Bel, Montréal et la métropolisation. Une géographie romanesque, Montréal, Triptyque, 2012[Record]

  • Jean-François Chassay

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  • Jean-François Chassay
    Université du Québec à Montréal

Le rapport de Montréal au roman québécois est plus complexe qu’on le croit souvent. Une schématisation rapide laisse parfois penser que Bonheur d’occasion marque la naissance du roman montréalais. Pourtant, Montréal est fort présente dès le XIXe siècle (il y a même deux Mystères de Montréal, ceux d’Hector Berthelot et d’Auguste Fortier), et même un roman de la terre emblématique comme La terre paternelle repose sur une tension entre la campagne et Montréal. Évidemment, la présence physique de la métropole ne suffit pas. Pendant longtemps, Montréal est surtout un décor et ne se manifeste comme figure essentielle que peu à peu. À l’idée du pays se substitue, dans les années 1970, celle d’un paysage. Un paysage fortement urbain qui fonde souvent le rapport ontologique des personnages au monde. Ce n’est pas le « À nous deux maintenant ! » de Rastignac adressé à Paris, mais parfois nous n’en sommes pas loin. Aujourd’hui, un vent de renouveau pousse à croire à un retour des régions dans la littérature québécoise. Montréal disparaît-elle pour autant ? Le premier mérite de l’ouvrage de Pierre-Mathieu Le Bel, Montréal et la métropolisation. Une géographie romanesque, est d’offrir un large portrait de la ville dans le roman au cours des premières années du XXIe siècle – l’imposant corpus (une soixantaine de titres) a été publié entre 2002 et 2006. Une radiographie contemporaine, relevant en fait d’une cartographie. « L’omniprésence cartographique » (p. 50) soulignée par l’auteur donne un indice du point de vue qui est le sien : il aborde le corpus en tant que géographe. Un littéraire pourrait trouver que les textes sont abordés un peu en surface, rapidement, mais affirmer cette position serait injuste dans la mesure où l’auteur énonce clairement sa perspective et son cadre méthodologique : « ce travail se veut avant tout un effort de géographe. Il cherche le dialogue avec un groupe d’oeuvres, soit, mais il lui impose également une thématique » (p. 12). Il précise plus loin : « Je tiens trop à la partie géographique de mon titre, le mot “ métropolisation ”, pour donner aux romans toute leur liberté. Ma démarche ne considère pas le roman en soi et pour soi ; […] [les] textes sont parfois très mauvais, parfois excellents, mais […] sont évalués en fonction de leur appartenance à ce corpus. » (p. 14) Corpus montréalais donc, mais, précisément, il rend compte d’une métropolisation de la ville : ce concept tient compte d’une ville centre bien sûr, mais en déborde pour embrasser des îlots urbains parfois éloignés. La ville est désenclavée de son assise locale : « La métropolisation, plutôt que d’être la manière de transformer une ville donnée en ville primatiale, s’incarne plutôt par la dynamique qui distribue les attributs de la métropole sur des territoires différents, multiples, fragmentés. » (p. 21) Cette manière de penser Montréal a des effets sur la façon d’envisager le corpus, notamment dans les rapports parfois tendus ou conflictuels qui se nouent entre ville, banlieue ou campagne. Après un chapitre de présentation méthodologique et théorique, le livre offre trois grandes sections : la ville « infinie », « éclatée » et « connectée ». Titres précis et ouverts à la fois, efficaces, qui expriment bien ce que propose l’auteur sur le Montréal contemporain. « La ville infinie » rappelle que les limites territoriales d’une ville relèvent moins d’un rapport de gestion urbaine que d’un imaginaire. Les quartiers débordent toujours de leurs limites et le centre, par définition, a toujours des frontières floues. Toute personne ayant déjà habité le Plateau-Mont-Royal a pu se faire dire « donc, …