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Introduction

La ville chinoise de Zhuhai, près de la frontière de Macao, bénéficie depuis 2006 d’une politique nationale de « high-tech zone », laquelle a comme objectif explicite, en Chine comme dans d’autres pays, de constituer des tissus d’activités liées aux nouvelles technologies comparables à la Silicon Valley. L’instauration d’une telle politique pose évidemment toute une série de questions dont certaines, au premier abord, concernent la conduite des politiques publiques. Comment planifier et organiser un pareil processus, sachant que le modèle californien s’est largement construit par sédimentation, en dépit de l’importante impulsion initiale donnée au projet par l’université de Stanford et la NASA ? De surcroit, quel est le type de pilotage adéquat pour attirer et développer un programme d’activités appelé à chevaucher plusieurs périmètres administratifs et politiques ? Enfin, comment gérer, en Chine, la transition entre une économie encore globalement contrôlée par l’État et la mise en place des nouveaux outils de gouvernance qui vont être mobilisés, tels que les incitations financières, une flexibilisation de l’emploi, des contractualisations ou encore une évaluation continue des performances ?

De manière plus approfondie, ces stratégies de développement économique suscitent également des questions d’analyse politique et sociale. Pour initier et organiser un tel développement planifié, sur quelles forces collectives prendre appui ? Quels types d’élites (entrepreneurs privés, patrons de grandes entreprises publiques, cadres politico-administratifs locaux, responsables universitaires, « start-uppers », ou encore « overseas talents », comme on dit maintenant en Chine...) entreront en compétition ou en alliance ? Et autour de quel type de leadership (rôle central ou non du Parti-État) ? Plus globalement, peut-on considérer que les configurations décisionnelles prennent la forme d’une coalition de croissance, stabilisée autour de règles d’action partagées, et dont le modernisme et les formes de régulation permettraient de parler de régime, partiel ou local, de gouvernance (Camau et Massardier, 2009) ? Telles étaient nos questions de départ. Elles se posent en termes plus actuels et spécifiques que des analyses classiques sur le « local state corporatism », qui ont étudié l’inscription locale de firmes essentiellement multinationales (Evens, 1979) ou, en Chine, les relations de type corporatiste entre entrepreneurs et responsables politiques lors de l’ouverture du marché (Chan et Unger, 1995). Dans la littérature, nous nous situons plutôt du côté des perspectives de Bernard Ganne et Shi Lu (2011) en actualisant leurs analyses sur les districts industriels et les clusters par rapport aux développements très contemporains de la haute technologie en Chine. Précisons encore que notre approche est principalement politologique : l’interrogation porte d’abord sur le pouvoir et les contours des élites managériales et non sur une étude des organisations gestionnaires du développement ou sur l’efficacité des décisions.

Rappelons tout d’abord que la Chine apparaît aujourd’hui comme un pays en transition entre une économie émergente et une économie mature, mais avec des situations qui restent très contrastées entre les Provinces, essentiellement entre les régions côtières de l’Est et celles de l’intérieur, à l’Ouest. Ces situations hétérogènes supposent des arbitrages compliqués dans les politiques économiques sur le plan national et appellent, malgré une planification d’ensemble, d’importantes différentiations des actions de développement aux divers niveaux locaux institutionnels : Provinces, Villes (Chengshi) et Districts. De plus, ces régulations complexes s’entrecroisent avec des compétitions au sein du Parti communiste chinois entre « factions » ou grandes tendances politiques (André, 2014). Pour l’essentiel, la combinaison minimale entre elles conduit actuellement le pouvoir central à essayer de faire cohabiter au sein du pays une gestion économique presque libérale avec un autoritarisme politique marqué. En même temps, le gouvernement affiche un style de « bonne gouvernance », dont on sait les critères transnationaux attachés à la doxa de la Banque mondiale : privatisations accrues et/ou délégations au privé; décentralisation et/ou coopérations multiniveaux affirmées; flexibilisation de l’emploi et des statuts; célébration de la participation des habitants. Mais quelle est la réception actuelle par le pouvoir et par les élites chinoises de ce message international ? Ou plutôt, jusqu’à quel point ce message va-t-il, dans des situations précises, être mobilisé et réélaboré à l’intérieur du contexte politique et économique chinois ?

Il faudra analyser en quoi ce style de bonne gouvernance locale correspond à des coalitions de croissance, classiques ou non (Logan et Molotch, 2007; Stoker et Mossberger, 1994). S’appuie-t-il, en même temps, sur de simples déconcentrations décisionnelles ou, plus nouvellement, sur des processus d’agencification (Egeberg et Trondal, 2009) qui créent des pilotages à distance dotés d’une autonomie partielle ? Ce qui conduira enfin à se demander si cette réception chinoise de la « bonne gouvernance » peut s’accompagner d’une certaine pluralisation des modes de gouvernement, ou bien si elle ne fait que conforter un contexte autoritaire (Hermet, 1975). Face à ces diverses interrogations, il apparaît en tout cas toujours nécessaire de compléter la compréhension de la scène nationale par l’analyse des interactions aux niveaux locaux (les Provinces, mais aussi les Villes dynamiques et même leurs districts). Ce sera donc l’objectif de cet article, qui rend compte d’une recherche centrée sur un cas particulier, mais dont la portée heuristique tient à son caractère exemplaire par rapport au tournant qualitatif actuel, qui délaisse le modèle de banale « usine du monde » pour entrer dans la concurrence internationale sur les nouvelles technologies. En cela, la Chine met tout son volontarisme, pour rattraper des retards et si possible concurrencer les États-Unis.

Dans notre étude de cas, le choix de la « high-tech zone » (HTZ) de la ville de Zhuhai était lié pour partie à une opportunité d’accès au terrain, permise par un programme de coopération internationale[2] qui portait notamment sur cette ville. Mais cette opportunité s’accompagnait de contacts personnels antérieurs de plusieurs années et qui ont par la suite été élargis. Le cas de Zhuhai permettait d’interroger non seulement les options de développement de haute technologie explorées actuellement en Chine, mais aussi les choix concernant le type de gouvernance économique et le style de pilotage politique qui y sont associés. Enfin, l’échelle de cette monographie nous permettait d’aborder de manière fine et détaillée une question sociopolitique centrale concernant l’évolution du leadership : dans le contexte de développement économique high-tech actuel en Chine, les pouvoirs locaux peuvent-ils être considérés comme une pépinière de nouvelles élites (Guiheux, 2003) ?

Pour situer les modalités du gouvernement économique local à Zhuhai, il faut en poser d’abord le cadre. La ville de Zhuhai se situe au sud de la Chine, dans la région du Delta des Perles qui constitue aujourd’hui un très puissant ensemble d’environ 100 millions d’habitants au sein du triangle Canton-Macao-Hong Kong. Surtout, elle participe aujourd’hui pleinement au double virage « high-tech » d’une économie chinoise de type mature : d’abord, chronologiquement, vers une automatisation et une robotisation de la production manufacturière (moteurs, métallurgie, industries de transformation), puis actuellement vers le déploiement d’une nouvelle économie de pointe, celle du numérique (ordinateurs intelligents, exploration de données, ateliers de fabrication collaboratifs ou fablabs), des biotechnologies et des énergies propres. De ce point de vue, le développementalisme high-tech chinois peut être comparé, au sein de notre échantillon de pays émergents, à celui qu’on observe en Inde sur des sites comme Bengalore.

Précisons également les conditions générales de l’enquête. Dans les pays autoritaires en général, les coûts d’entrée sur le terrain et de familiarisation avec les conditions d’enquête sont très importants. En l’occurrence, cette enquête n’aurait pas été possible sans l’existence d’une équipe mixte franco-chinoise et sans un très long travail préalable, sur place et en France. Cela représente en fait trois à quatre mois de préparation : demande initiale de documents publiés, rendez-vous exploratoires, construction d’une relation de confiance minimale à travers plusieurs prises de contact successives (il convient de mentionner qu’il n’est pas mal vu en Chine de déranger les mêmes interlocuteurs plusieurs fois de suite; cela permet au contraire de faire tomber peu à peu la méfiance) et, bien sûr, échanges éventuels de bons procédés, tels que des contacts secondaires ou des informations. C’est ainsi que nous avons procédé. Le relais d’étudiants locaux a été également précieux. En particulier, dans la conduite des entretiens sur place, il faut souligner qu’il était important pour nous de toujours mener les entrevues à deux afin de pouvoir capter au maximum la richesse de la conversation sans devoir l’enregistrer, ce qui est mal vu. Une dizaine d’entretiens approfondis a été réalisée, en tête-à-tête si possible, mais le plus souvent avec deux interlocuteurs à la fois (dans les administrations) ou parfois plus. Un panel d’entretiens comportant quatre catégories a été constitué (fonctionnaires, ONG, élus, entrepreneurs). Tous les entretiens ont été réalisés en mandarin, puis traduits consécutivement en français avant d’être repris en détail par la suite, d’où le rôle essentiel d’une traduction très « informée », c’est-à-dire faite par une personne ayant à la fois une connaissance scientifique du sujet traité et une double connaissance des référents culturels chinois et occidentaux.

Au total, notre recherche sur le cas du pilotage de la HTZ de Zhuhai a, comme on le verra, mobilisé diverses grilles de lecture – leadership politique et d’élites locales, professionnelles ou non, coalitions stabilisées et règles du jeu partagées – qui permettent de caractériser les éléments d’un régime local de gouvernance. Le propos général de cet article sera présenté en deux temps qui correspondent aux grandes étapes de l’analyse, c’est-à-dire comprendre d’abord la structuration d’une coalition locale liée au développement high-tech, pour ensuite pouvoir caractériser le régime local de gouvernance qui y correspond politiquement.

1. Le « pilotage par agence » du développement high-tech, fin et moyen d’une coalition de croissance locale

Dans l’action publique, le leadership se construit autour de dimensions étroitement complémentaires : une capacité à mobiliser des forces collectives autour de projets d’ensemble et à fédérer différents types d’acteurs, ainsi qu’une autorité bien acceptée et donc une certaine légitimité à agir. On verra comment ces facettes du leadership se combinent étroitement entre elles dans le cas du développement économique à Zhuhai, car, en Chine (plus encore qu’ailleurs), le volontarisme dans les implantations économiques dépend des interactions étroites entre chefs d’entreprise et acteurs politiques locaux. Ces interactions seront analysées successivement à travers leurs composantes principales : le rôle des hauts cadres politiques locaux, les réseaux d’élites managériales, et l’agencification (Jacobsson et Sundstrom, 2007) de l’action économique locale.

1.1 Le rôle décisif mais toujours discret des hauts cadres politico-administratifs locaux

La Ville de Zhuhai a été, rappelons-le, une des toutes premières à être sélectionnée comme zone économique spéciale dès 1979, au même titre que l’ont été par la suite de très grands centres économiques (Tianjin, Shanghai) choisis pour promouvoir « l’ouverture économique » après la Révolution culturelle. Comme sa voisine du Delta des Perles, Shenzhen (qui va grandir très vite face à Hong Kong comme plateforme industrielle puis tertiaire, avec aujourd’hui 10 millions d’habitants), Zhuhai jouit d’emblée des faveurs du gouvernement central de l’époque, sans doute en raison de son emplacement aux portes de Macao. Cette zone franche, qui recouvre alors tout le périmètre de la Ville (au sens administratif et politique chinois) de Zhuhai, connaît d’abord un développement lent et un peu fragmenté. Mais ce n’est qu’une première étape préfigurant un avenir économique plus ambitieux, car à partir de 1992, mais surtout après 2006, le plan quinquennal affiche une nouvelle priorité nationale : le développement high-tech, scientifique et industriel. Avant même que cette orientation nationale ne donne lieu à des appels à projet officiels, la Ville de Zhuhai (et l’équipe politique autour de son maire) se porte candidate pour développer un projet local de HTZ et se bat pour être retenue. Si l’on sait généralement peu de choses (comme dans la plupart des pays) sur les négociations détaillées entre les divers niveaux de gouvernement, ce succès montre néanmoins à lui seul la bonne image de Zhuhai, mais aussi le dynamisme et le poids politique du maire de l’époque, ainsi que l’importance de ses relais à l’échelle nationale, dans les cercles dirigeants autour du président Hu Jintao, favorable au développement de marché et au commerce international. L’engagement personnel du maire a dans ce cas été décisif pour l’obtention d’un label national et de moyens économiques incitatifs exceptionnels (entretiens où la parole est là évasive, probablement parce qu’il y a auto-censure, mais aussi parce qu’il ne s’agit pas de pratiques officielles). Le site de Zhuhai bénéficie plus largement d’importants investissements nationaux en matière d’équipements structurants (autoroutes venant de Guanzhou-Canton; aéroport international).

Après une dizaine d’années d’existence, la HTZ de Zhuhai s’est maintenant développée et structurée sur un très large périmètre (139 km2, soit plus que la superficie de Paris), et avec des activités importantes (des entreprises nationales dans le software informatique, les nouvelles énergies et le domaine biomédical, mais aussi des sociétés étrangères ou en coentreprises, comme Panasonic et Philips Electronics). Pour attirer ces entreprises de pointe, des instruments incitatifs assez classiques ont été mobilisés (prix de location des terrains, exonérations fiscales temporaires), dont on verra plus loin (partie 1.3) la mise en oeuvre des règles du jeu. De manière plus originale, on a pu aussi compter sur des politiques de sélection des autorités locales vis-à-vis des entrepreneurs arrivants. On reste ici, en Chine comme ailleurs, dans le domaine de « l’officieux » et des informations lacunaires, mais il apparaît qu’on a recherché à Zhuhai un équilibre entre deux stratégies différentes. On a cherché d’une part à favoriser des relations industrielles amont/aval, c’est-à-dire des implantations qui soient complémentaires des activités déjà présentes sur place, et à attirer en même temps des preneurs de risques prêts à investir dans le nouveau secteur de la haute technologie. Dans un premier temps, cela pouvait concerner la simple robotisation des chaînes de production et les composants microélectroniques classiques, mais la priorité a très vite été donnée par la suite au numérique, aux automatismes et à l’intelligence artificielle. On parle ici de secteurs de pointe très liés à la recherche informatique et aux laboratoires des universités techniques, mais aussi par conséquent aux politiques publiques dites « sensibles » en Chine, c’est à dire militaires et de sécurité.

C’est pourquoi une des caractéristiques de la HTZ de Zhuhai a été l’implantation très volontariste de centres universitaires et d’écoles d’ingénieurs, ainsi que la recherche d’interactions entre enseignement supérieur et activités économiques. Les maires successifs de Zhuhai et les hauts cadres politico-administratifs locaux s’y sont employés. Pour cette raison, le nombre ainsi que la taille des différents campus universitaires présents dans la zone sont impressionnants. Plusieurs types d’actions incitatives, officielles et officieuses, ont été mises en place en ce sens dès 2006. La Ville de Zhuhai, qui détient par délégation de l’État et de la Province la politique de l’affectation locale des sols, a consenti des baux de longue durée aux universités (40-50 ans, comme pour les activités économiques). Elle a même autorisé d’importants périmètres et réserves foncières pour plusieurs des plus célèbres universités de Chine. La Ville de Zhuhai est même allée jusqu’à cofinancer la construction de campus avec de grandes universités nationales (l’Université normale de Pékin et l’Université Tsinghua) qui étaient prêtes à implanter de nouveaux campus ou parcs scientifiques sur son territoire. Enfin, elle est aussi allée jusqu’à créer une coentreprise avec l’université de Tsinghua en vue de développer une plateforme d’incubation d’entreprises. Là encore, la composante personnelle intervient : à l’époque, le président de cette université de Pékin était originaire de la ville de Zhuhai et a décidé que ce très prestigieux établissement dans les classements internationaux, parrainé par des dirigeants nationaux et proches des milieux de l’ingénierie militaro-sécuritaire, créerait sa seule implantation pour la Chine du Sud à Zhuhai même... (entretien). Au total, la HTZ compte actuellement 70 000 étudiants.

1.2 Une élite de managers « flexibles »

Le leadership est un dispositif relationnel. On ne peut rendre compte de ses caractéristiques profondes que dans les pratiques complémentaires entre « des leaders » (on a vu leur impulsion dans la sous-section 1.1) et ceux qui les entourent et interagissent dans l’action, c’est-à-dire leurs « followers ». Mais ceux-ci ne sont pas pour autant des acteurs banals. Entre les hauts cadres politiques et les services administratifs des autorités locales, on voit en effet se structurer à Zhuhai un milieu intermédiaire de professionnels très qualifiés (« talents »), caractérisés par un nouveau type de trajectoire sociale et professionnelle émergent en Chine de trajectoire sociale et professionnelle.

Ceux que l’on désignera à Zhuhai comme des managers se situent ainsi généralement à la charnière du technique et du politique local, tout en partageant un certain nombre de propriétés sociales communes ou proches. Ils ont la quarantaine environ, voire moins. Ils possèdent un solide parcours de formation élevé à l’université (informatique, management, économie, droit). Ils ont déjà fait preuve d’une réelle mobilité professionnelle en ayant assuré différents postes, tantôt opérationnels tantôt de gestion, mais aussi alternativement dans le public et dans le privé. Leur parcours est donc doublement nouveau, différent à la fois de celui des apparatchiks classiques, qui ont passé toute leur carrière dans le monde des autorités locales, et de celui des cadres qui, encouragés par le discours de Deng Xiaoping, avaient créé (avec plus ou moins de bonheur) des entreprises privées (Enquête Annuaire 2003 de l’Économie). Ces managers partagent des affinités de génération, de parcours, d’intérêts professionnels et sociaux, marquées tout à la fois par l’« ouverture au marché » et par une culture Geek intensément partagée (entretiens).

C’est donc un milieu qui manifeste une certaine cohésion, laquelle se traduit beaucoup plus par la similarité des trajectoires socioprofessionnelles managériales que par des références discursives aux principes internationaux de la « bonne gouvernance ». Il est vrai que, dans ce pays, on affiche le plus souvent l’invention d’une « voie chinoise », ou du moins la volonté de siniser les modes de faire étrangers. Nuançons cependant un peu : cette cohésion, observée à travers les entretiens, pourrait être liée pour partie à la manière dont le panel d’entretiens a dû être constitué, dans un contexte politique et bureaucratique de grande méfiance[3]. Cet « effet réseau » permet, en revanche, de bien cerner le style du gestionnaire efficace qui structure nouvellement ce profil d’élites, bien au-delà des différences de postes occupés, opérationnels ou gestionnaires, et des frontières entre les secteurs d’activité, publics et privés. Sur la dizaine d’années de notre période de référence pour l’enquête, cela contraste avec les parcours connus des hauts dirigeants du Management Committee de la HTZ de Zhuhai qui, pour plusieurs d’entre eux, ont occupé la fonction de secrétaire du Parti communiste. Ceux-ci ont donc suivi le double parcours classique et acquis la double légitimité administrative et politique des hauts cadres locaux (tout comme l‘alternance connue entre les fonctions de maire d’une ville et de secrétaire du Parti). À l’inverse, nos professionnels flexibles, par leurs parcours plus fluides de gestionnaires depuis l’expansion de la HTZ (2006-2012), convergent plutôt par la proximité de leurs formations, et ils échangent facilement grâce à des parcours identiques. Sur la HTZ, ils forment des réseaux transversaux aux entreprises et aux secteurs (par le biais de blogues personnels et d’échanges informels de posts, comme l’ont montré plusieurs entretiens), et ces réseaux produisent des appuis et des formes de contrôle réciproques tout à la fois (Ledeneva, 2013). Enfin, ils sont proches par l’adhésion à l’objectif commun de développement high-tech et par son style de pilotage local qui valorise leur professionnalité, plus que par des références politiques explicites. Cela nous conduit à la troisième facette de cette gestion de la HTZ, le pilotage par agence, ou agencification poussée de l’action économique locale.

1.3 Le « Management Committee » de la high-tech zone : un pilotage par agence

La HTZ de Zhuhai est, on l’a dit, très vaste. Elle recouvre environ un quart du périmètre de la Ville (au sens administratif), qui est lui-même très grand (1 700 km2). Ce genre de zone comprend évidemment des espaces de production au sens large, ainsi que d’enseignement-recherche, mais on y rencontre également, ce qui est plus surprenant, de grands quartiers de logements (et parfois de collectifs denses), mais aussi des espaces naturels collinaires et même une réserve écologique sur une ile proche située au milieu de la rivière des Perles. Ce vaste périmètre dit de « développement économique », possédant ses propres règles juridiques et fiscales, se trouve actuellement à cheval sur plusieurs périmètres administratifs préexistants. Pour d’autres cas de ce genre, les « zones de développement » chinoises ont été rapidement transformées en nouveaux Districts. La HTZ de Zhuhai a jusqu’à présent échappé à ce modèle, encore que cette évolution ne soit pas exclue par principe. Mais pour le moment, une autre formule a été expérimentée et est privilégiée depuis 11 ans, celle d’un « Management Committee » (traduction officielle et courante ici, du mandarin en anglais).

Le Management Committee (MC) de la HTZ n’est pas un simple « comité de pilotage » léger (c’est pour cette raison qu’on a préféré le terme anglais ici). C’est en réalité un ensemble administratif d’une dizaine de services (« bureaux ») différents, qui sont spécialisés fonctionnellement (accueil, fiscalité, personnel, services collectifs, etc…), comme en possèdent par ailleurs les districts chinois. L’originalité de cette organisation tient au fait que les personnels de ces services sont, pour moitié, des employés détachés temporairement par les administrations territoriales classiques et, pour moitié, des personnes embauchées spécifiquement à contrat. Au total, on compte plus d’une centaine d’agents au MC de Zhuhai. En outre, le MC dispose d’un budget en propre et de ressources déléguées. Cette organisation administrative en services fonctionnels se double de « plateformes » de services Internet, locales ou sectorielles (blogues, sites dédiés) qui permettent à la fois de diffuser les informations officielles et de faire remonter les demandes des entreprises implantées. C’est là un effort de déconcentration du MC qui le place ainsi au plus près des implantations et des différents secteurs d’activité présents sur la HTZ, et ce même si ce déploiement du MC auprès des entreprises risque de faire concurrence au rôle de médiation joué en Chine par les associations professionnelles de branche économique (entretien).

Le MC est chargé de mettre en oeuvre des règles propres à attirer et à fixer sur la zone des activités de haute technologie en priorité. Par délégation de la Ville, il négocie, avec les entreprises candidates, l’implantation, les sols jugés nécessaires et les types de baux de location (durée et montants). Rappelons à ce propos qu’en Chine, le sol est soit propriété collective des « villages » en zone rurale, soit propriété de l’État en zone urbaine. Dans ce dernier cas, l’État en délègue la gestion aux collectivités locales, qui en gèrent l’usage par le biais de concessions de longue durée. Par ailleurs, le MC pilote et module également les différentes règles fiscales applicables à une zone franche, et instruit aussi les incitations financières accordées pour les nouvelles implantations et les extensions sur place. Il facilite en outre les contacts avec les gestionnaires de réseaux et d’équipements collectifs sur les différents périmètres de la zone high-tech. Mais à la gestion plus ou moins négociée de ces classiques normes administratives et financières s’ajoutent également d’autres types de règles qui relèvent, elles, plutôt de l’audit des entreprises présentes. Le MC effectue un suivi de l’activité des entreprises présentes sur la HTZ. Il a établi des règles de reporting périodique, opéré à l’occasion de visites de terrain régulières et de rapports d’activité plus formels rédigés chaque année (entretiens). Il effectue de cette manière une sorte d’évaluation permanente de la situation de la zone, permettant un diagnostic économique actualisé. Il effectue aussi des classements des résultats d’activité des entreprises, pouvant déboucher sur une sorte de ranking dans un esprit de bonne gouvernance.

Le MC a donc les moyens et le rôle d’une « agence », organisme semi-autonome, détaché de l’administration « normale », au plus près du secteur privé mais fonctionnant avec des fonds publics. Cette agencification est loin d’être le seul cas en Chine, mais elle y affiche une intensité particulière, en relation avec l’enjeu du high-tech à Zhuhai. Il a été officiellement établi qu’environ les trois quarts des décisions relatives à la zone économique lui sont déléguées par la Ville. Il est question ici, comme on dit en Chine, de « certificats administratifs », c’est-à-dire d’autorisations diverses d’implantation et d’activité, de fiscalité locale, de gestion du logement des salariés et de facilitation des relations avec les fournisseurs de services collectifs. La Ville de Zhuhai (en clair, ici, le maire et ses adjoints) conserve cependant l’initiative des négociations les plus stratégiques autour des grandes implantations (allocation de réserves foncières particulières, modifications ponctuelles du plan d’urbanisme, subventions exceptionnelles).

Il faut souligner par ailleurs que la formule d’agencification illustrée par le MC permet aussi une exonération du contrôle direct d’une Assemblée populaire spécifique (comme en ont tous les Districts), ce qui, même en Chine, peut constituer un levier relatif de dépolitisation. En tout cas, au lieu d’un pilotage local classique de niveau district, on a donc préféré à Zhuhai des formes de délégation à la carte, ce que certains considèrent comme du « gouvernement à distance » (Epstein, 2005). Le MC dispose de compétences déléguées par la Ville, la Province ou encore l’État. Il met en oeuvre des règles générales, les précise et les gère au quotidien sur le terrain, disposant d’une autonomie partielle mais seulement sur un objet sectoriel précis, le développement économique local. Bien que les procédures et les contextes politiques soient différents, c’est ce qui correspondrait, dans la culture administrative française, à ce qu’on appelait au temps des Trente Glorieuses une « administration de mission » (« mission d’aménagement » ou « d’établissement public d’aménagement »). Dans nos autres pays émergents du dossier, ce cas de figure n’apparaît pas.

Avec le Management Committee de la HTZ de Zhuhai, on est en somme en présence d’un dispositif gouvernantiel, c’est-à-dire typique du style de « bonne gouvernance » au sens de la doctrine internationale, même si celle-ci n’est pas mentionnée comme telle par nos interlocuteurs. Il lui correspond en effet pour sa flexibilité nouvelle en matière financière et statutaire, sa capacité à faciliter des coopérations public-privé dans le suivi et l’évaluation des entreprises, et sa déconnexion d’avec la politique des assemblées représentatives.

1.4 Une coalition locale de politique publique structurée autour du développement high-tech

Le développement économique local dans les économies matures mobilise classiquement un triangle d’acteurs qui entrent en interaction de manière régulée et stabilisée : des milieux d’entrepreneurs (généralement organisés mais pas forcément unifiés), des leaders politiques (souvent en concurrence, horizontale ou verticale) et des professionnels de l’attractivité économique (depuis le management des moyens de financement jusqu’à celui des politiques d’image). En est-il de même en Chine, spécialement dans la HTZ de Zhuhai ? Pour raisonner en termes de coalition de politique publique (Hooghe et Marks, 2001; Massardier et coll., 2014), il faut en l’occurrence pouvoir caractériser à la fois un réseau d’acteurs, un projet commun et des règles du jeu partagées, qu’elles soient écrites ou non.

Le fonctionnement du réseau d’action développementaliste à Zhuhai peut être stylisé en fonction des flux échangés. Les capacités d’initiative de type bottom up (projets de chefs d’entreprise locaux; interpellations, voire simple expression des attentes) s’avèrent assez limitées sur la HTZ, même si les besoins des entrepreneurs peuvent éventuellement remonter vers le pouvoir politique via le filtre du MC. D’autre part, la participation des habitants aux projets d’urbanisme locaux y est encore très ponctuelle et expérimentale (voir l’article de Liao sur la participation à Zhuhai). Les rapports sur l’activité économique locale produits par les élus-entrepreneurs de l’Assemblée populaire locale ont quant à eux un statut purement consultatif.

En revanche, les relations de type top down se révèlent prédominantes, même dans une configuration de gouvernement à distance. Au moment du démarrage de la HTZ, les subventions aux entreprises qui s’installaient ou se développaient sur place venaient initialement de l’État central. Depuis, beaucoup de compétences ont été transférées à la Ville de Zhuhai (et même directement au MC), mais les dépenses correspondantes aussi ! Et si l’attribution des certificats administratifs, la gestion des sols, ainsi que la mise en place des incitations financières ont bien été déléguées par la Ville au MC, c’est cette dernière qui en pose toujours les grandes règles (le niveau de la Province, pourtant également compétent pour des zones d’activité, n’a guère été évoqué par nos interlocuteurs). L’État central a quant à lui fixé ses priorités de développement et d’aménagement dès le début du processus de création de la HTZ. Par conséquent, si le Management Committee donne l’impression aux entrepreneurs et acteurs sociaux de la zone d’être l’interlocuteur principal et le décideur au quotidien (entretiens), il nous paraît plutôt caractériser une situation intermédiaire entre la tutelle classique descendante et l’autonomie totale.

Cependant, toutes les relations ne sont pas montantes ou descendantes, car, au-delà, on observe aussi un certain développement de relations « horizontales » ou, plus exactement, moins hiérarchisées que dans les rapports classiques en Chine, entre les entreprises et les autorités locales (lesquelles étaient en position de force durant la période précédente et se montraient soucieuses de maximiser la rente extraite de la propriété publique du sol). Ce caractère plus horizontal de la relation prend notamment la forme d’une évaluation de l’activité des entreprises, qui s’effectue plutôt sur le ton du dialogue (entretiens). Il s’agit pour le MC d’un suivi annuel, voire trimestriel, et qui est considéré comme ouvert et interactif, et non comme un contrôle. Parmi les autres exemples de relations horizontales, on nous a mentionné aussi le cas plus rare, mais décisif, de certains cofinancements d’aménagement de terrains ou de construction de bâtiments entre la Ville et des entreprises ou des universités. Plus informellement, mais de manière importante, on perçoit également à travers les entretiens nombre d’interactions personnelles entre acteurs privés et publics sur la HTZ, lesquelles sont liées à des effets horizontaux de génération et de sociabilité abordés précédemment (parcours de formation universitaire communs, blogues de Geeks pour échanger et éventuellement produire ensemble une information autonome, voyages d’étude et visites conjointes de sites).

Si une stylisation du réseau décisionnel local peut ainsi être caractérisée à l’échelle des organisations professionnelles et des milieux d’action, pour autant les formes d’intégration par le Parti du réseau décisionnel local restent invisibles. On perçoit seulement par moments des différences personnelles de positionnement chez nos interlocuteurs, entre un style pleinement néolibéral (priorité donnée aux contraintes du marché et à la concurrence) et un autre plus attentif au rôle régulateur des autorités (rôle souligné de la municipalité ou de l’État dans les choix d’aménagement).

Le réseau d’action de la HTZ, cohésif autour des codes de la bonne gouvernance, fédère ainsi quatre groupes complémentaires d’acteurs collectifs : des entrepreneurs organisés, des maires développeurs (et des secrétaires du Parti au niveau de la Ville et du MC), des cadres locaux dynamiques, et quelques universitaires managers. Depuis la création de la HTZ, ce réseau apparait plutôt stable et déployé autour du MC (soit sur la dizaine d’années de notre période de référence), même si la Ville de Zhuhai (sans compter la Province dans une certaine mesure) continue d’exercer une influence indirecte sur l’établissement pour poser les corps de règles principaux et la gestion des négociations les plus délicates. Cela dessine les contours d’une coalition de politique publique de type multiniveaux, où les interactions structurent des règles du jeu partagées par des milieux dirigeants publics et privés, autour à la fois d’un développement high-tech, d’un management moderniste, et d’un esprit « cluster » (complémentarité des activités combinée avec un milieu d’acteurs dits « créatifs »). Cette alliance a prospéré d’autant mieux qu’il n’existe pas à Zhuhai de coalition concurrentielle qui se soit structurée autour de protestations écologiques fortes (comme dans des lieux pollués), ou en fonction de luttes contre les expropriations : les indemnisations pour les terres agricoles y ont été peu contestées et les villages guère touchés, pour le moment, par les emprises du développement industriel ou urbain.

À l’issue de cette première étape d’analyse, on peut considérer qu’avec la HTZ de Zhuhai, on se trouve en présence d’une coalition locale de croissance, stabilisée à la fois autour d’un projet économique fort (le développement de la haute technologie), d’un réseau d’acteurs dynamique (managers gravitant autour d’un leadership politique) et de règles nouvellement partagées (de type gouvernantiel). Mais quelles sont alors en Chine les significations politiques de ce type de situation ? Quelles en sont les conséquences sur le style de gouvernement des hommes et des choses ? S’agirait-il là d’un cas émergent de pluralisation de l’action publique ? C’est ce que nous allons examiner et discuter dans un deuxième temps d’analyse.

2. Un régime de pluralisme limité et « fonctionnel », préservant une gouvernance autoritaire

Alors même que l’Assemblée Populaire adopte des règlements généraux sur l’activité économique qui sont formatés ensuite par ses services administratifs, de son côté, le Management Committee invente et pilote les normes de la négociation au quotidien avec les entrepreneurs et les managers… Le style de gestion de la HTZ de Zhuhai s’appuie ce faisant sur les interactions entre plusieurs milieux d’action. Ceux-ci interagissent, comme on vient de le voir, en fonction des éléments-clés qui caractérisent une coalition de croissance stabilisée sur plusieurs années : un objectif commun (le management du high-tech), un réseau d’acteurs en étroite interaction, et des règles gouvernantielles expérimentées et progressivement partagées (reporting, évaluations, ranking). Compte tenu du rythme intense de développement du pays, il pourrait paraître banal qu’une coalition de croissance se structure ainsi autour du développement high-tech. Mais c’est ici un révélateur de la perfusion transnationale des pratiques de « bonne gouvernance », ce qui est plus remarquable. Sur le terrain de notre enquête, si nous n’avons pas entendu réciter le message doctrinal correspondant, certains vecteurs semblent bien présents : fascination officielle en Chine pour la Banque mondiale, enseignement de l’économie mainstream dans les universités chinoises et les écoles de management (Soulas, 2017), audience des modèles de management anglo-saxons, et même des thèmes de certains cours dans les Écoles du Parti[4]… Ce peut être simplement le signe de l’adoption d’une doxa néo-managériale. Cela conduit-il pour autant à une ouverture pluraliste vers de nouveaux acteurs, échelons de pouvoir, ou intérêts organisés ?

La question du pluralisme peut en réalité se décomposer de nombreuses façons, en termes de degrés d’ouverture et de formes de participation adoptées. Du moins, dans son principe, le pluralisme s’oppose aux configurations élitistes, où certaines couches sociales et professionnelles contrôlent étroitement l’accès au pouvoir et participent de manière très privilégiée à son exercice. Mais en pratique, rencontre-t-on des types purs, ou plutôt des formes de combinaison entre ces deux modèles, et cela surtout en contexte autoritaire, qu’il soit partiel ou global ? Dans le cas de Zhuhai, en Chine, on vient de montrer l’affirmation d’élites locales, entrepreneurs et nouveaux managers publics, organisées en réseau d’action (moins par le biais d’organisations professionnelles que par les nouveaux médias et les proximités de formations entre eux), qui participent activement à une coalition de croissance dynamique. Pour autant, ces couches sociales sont-elles partie prenante du pouvoir local de manière stable ? C’est ce que nous examinerons à partir de trois variables complémentaires : les relations encore tutélaires entre niveaux politico-administratifs; une articulation limitée entre élites entrepreneuriales et administratives; et l’acceptation d’un pluralisme restreint, à ouverture de type fonctionnel.

2.1 Le jeu tutélaire des relations multiniveaux

En Chine, l’ouverture au marché a coïncidé avec une montée en puissance des pouvoirs provinciaux (avec le rôle particulier de la réforme fiscale, notamment à partir des années 1990; voir à ce sujet Liao, 2015). Plus généralement, de bons observateurs soulignent le rôle des pouvoirs locaux dans ce pays, un rôle beaucoup plus important qu’on ne le croit à la lecture des médias et des commentaires internationaux centrés sur la « Cité interdite » (Lam, 2011). Pour autant, dans le cas de la HTZ de Zhuhai, les rapports de coopération entre niveaux territoriaux, la Province du Guangdong, la Ville de Zhuhai et les Districts concernés (voire les villages), ont été assez peu commentés par nos interlocuteurs dans le cadre des entretiens. Inversement, ils ont souvent mentionné que l’État central, dans ses orientations territoriales de politique économique concernant la HTZ, intervient officiellement sur les choix des très grandes infrastructures (TGV, autoroutes, aéroport).

La substance d’une « gouvernance multiniveaux » apparaît donc ici limitée. C’est là une référence qui correspond, il est vrai, à des pratiques et des doctrines plutôt occidentales, et surtout européennes (Hooghe et Marks, 2001), avec l’application d’un principe de « subsidiarité » qui suppose que l’échelon le plus bas soit reconnu compétent s’il a la « capacité technique et financière » d’agir (Faure, 1997). Ces cas de figure diffèrent des situations observables en Chine (y compris après la vague de réformes de déconcentration des années 1990-2000), où il s’agit le plus souvent de pouvoirs qui sont « délégués » de manière descendante (et parfois en cascade) à des instances (de la Province aux Villes, de la Ville aux Districts, ou encore du District au village). Qu’il s’agisse de l’affectation des sols, des certificats administratifs (autorisations) ou du suivi des activités économiques, ce sont formellement des délégations. Ce qui signifie que cela reste sous le contrôle (la tutelle) de l’autorité supérieure, qui peut à l’occasion en reprendre le pilotage (ou, du moins, en faire planer la menace). Dans ce climat d’incertitude relative concernant les capacités officielles d’initiative, les coopérations entre niveaux existent mais restent donc plutôt tutélaires. Le pluralisme des coopérations entre niveaux n’est pas totalement absent pour autant. Au départ, les subventions d’État pour le développement du high-tech étaient simplement relayées par les autorités locales. Aujourd’hui, une déconcentration a eu lieu : les Villes sont compétentes sur ce point, mais c’est à elles de trouver alors les financements correspondants. Et le MC, par ailleurs, doit faire trimestriellement des rapports à la Ville sur l’activité économique dans la HTZ.

Toutefois, on peut considérer que, selon ce que permet ou non la personnalité des hauts cadres et leurs interrelations, ce pluralisme multiniveaux limité introduit une certaine flexibilité dans le système hiérarchique officiel. Il fait vivre un schéma pyramidal assoupli, qui peut prendre une grande importance officieuse par moments ou par endroits. Celui-ci n’est cependant ni très visible, ni toujours commenté ouvertement par nos interlocuteurs. Et il n’est pas formulé en doctrine ni défini en tant que priorité politique comme c’est le cas dans d’autres pays, au Maroc ou en Inde notamment.

2.2 Une forme de multi-positionnement chez les acteurs du développement local

Pour approfondir les analyses de réseaux sociaux de décision, l’examen des positions multiples occupées par certains acteurs-clés peut s’avérer très précieux. Il permet d’approfondir l’étude des rapports entre des « mondes » différents et de saisir comment se construisent les liens, officiels ou personnalisés, entre plusieurs milieux d’action, soit plus précisément ici entre différents groupes professionnels ou sociaux locaux. C’est un angle d’analyse qui a aussi l’avantage de relier une échelle d’observation à l’autre, en l’occurrence celle des organisations et celle des individus, pour en comprendre les articulations. Mais ces positions multiples ne sont pas faciles à décrypter, en particulier en contexte autoritaire où la méfiance et l’officieux sont de mise, en particulier en ce qui concerne les rôles et les places dans le Parti. C’est un des enjeux de l’analyse politologique sur la Chine que de pouvoir caractériser le rôle des multi-positionnements d’acteurs dans ce pays (Rocca, 2002). Dans notre enquête, nous avons essayé d’apporter des éléments de réponse, en repérant différents types de positionnements, dans des mondes professionnels et sociaux multiples.

À Zhuhai, on observe d’abord certains multi-positionnements au sens strict, c’est-à-dire constatés simultanément sur une même période. Les archives officielles et certains entretiens nous apprennent que des directeurs successifs du Management Committee de la HTZ ont également agi comme vice-secrétaire local du Parti, c’est-à-dire qu’ils ont occupé des postes politiques décisionnels combinés à des postes de gestionnaires. Ce sont là des cumuls ou des fonctions étroitement associées, ce qui démontre l’importance officiellement accordée à la gouvernance de la HTZ et renforce son caractère décisionnel. Bien que ces situations ne soient pas tenues secrètes, elles ne sont pas pour autant explicites ni transparentes pour les citoyens.

Dans la HTZ de Zhuhai, on a également pu observer un type de cumul moins classique en Chine, soit le cas de certains députés de l’Assemblée Populaire proposés et élus sur quotas socio-professionnels. Cette situation touche plusieurs profils-clés d’activités sur la zone high-tech, dont les entrepreneurs et les enseignants universitaires. Il s’agit là d’une démarche pilote tentée à Zhuhai, mais encore peu répandue en Chine pour l’instant. Même si elle ne concerne que des nombres bien symboliques (seulement 8 des 300 membres de l’Assemblée populaire de la ville de Zhuhai), cette formule est innovante dans la mesure où elle crée une catégorie d’élus à mandat universel, mais qui sont, en même temps, rattachés à des activités économiques et sociales locales qu’ils sont censés « représenter ». S’agit-il d’une représentation corporatiste ? Nous y reviendrons à la section 2.3. On peut cependant affirmer qu’elle rend, en tout cas, explicite une tentative d’articulation entre légitimité politique générale et légitimité professionnelle.

En Chine, il est par ailleurs une autre forme de multi-positionnement assez générale, et qu’on retrouve donc sur notre terrain. C’est, au niveau des très hauts cadres territoriaux, le positionnement alterné, considéré « normal » dans une carrière bien menée, entre la place de maire (ou adjoint dans les villes très importantes) et celle de secrétaire général du Parti à l’échelle locale. Positions donc tantôt de gestion, tantôt plutôt politiques qui alternent régulièrement dans un même parcours professionnel, et qui trouvent leur validation autant dans des fonctions officielles de responsable des services techniques que de décideur explicitement politique (un biface qui existe, évidemment, aussi dans les démocraties occidentales, mais qui n’est que rarement aussi explicite, voire qui est dénié ou dépolitisé dans certains pays, par exemple dans la formule américaine du City Manager). En Chine, ce type de multi-positionnement des cadres locaux (selon des périodes alternées) signifie tout à la fois une séparation formelle de deux activités juxtaposées et la cohérence d’une double légitimité, technique et politique. D’autant que ces deux formes d’autorité y ont, de fait, très étroitement communié au long des trente dernières années sous le même signe de la croissance intensive du PIB local.

Il est cependant une autre situation de multi-positionnement des décideurs, plus innovante pour ce qui concerne la Chine : celle qui est caractérisée par une alternance nouvelle dans les carrières des managers locaux entre le secteur public (ou parapublic, celui des agences et entreprises à statut public) et les entreprises du secteur privé. Cela concerne en particulier des cadres gestionnaires du MC et des ingénieurs informaticiens d’entreprises rencontrés sur notre terrain (entretiens). Leur parcours professionnel s’avère flexible, alternant secteur public et secteur privé, mais aussi postes techniques et postes gestionnaires. À travers les entretiens, on peut analyser cette situation comme favorable à l’alimentation de réseaux de relations transversales entre plusieurs mondes et à la constitution de carnets d’adresses professionnelles, voire de systèmes d’échange d’expériences à la fois politiques et professionnelles.

Plus largement encore, les situations de multi-positionnement en Chine ne peuvent être dissociées de l’appartenance des décideurs économiques et managers au Parti communiste (ou encore aux « partis alliés » rattachés à la même sphère). C’est un positionnement discret, mais qui ne relève pas du secret dans la vie publique chinoise (pour autant, c’est un des points sur lesquels a buté notre enquête car ce n’est souvent pas de bonne tactique pour aborder directement cette question, surtout lors d’un entretien formel). Ce positionnement est quasi-certain pour les cadres des collectivités locales (entretiens), même s’il est complexe à préciser davantage en fonction des tendances ou factions politiques au sein du Parti et de l’entrecroisement des rattachements locaux et familiaux, qui comptent également. Pour les grands managers du privé et des universités, l’adhésion au Parti est fréquente, notamment à un certain niveau de responsabilité de gestion, mais elle constitue aussi un atout pour les jeunes professionnels en rapide ascension de carrière, car le Parti fonctionne comme une école de cadres.

Au total, certains multi-positionnements sont porteurs d’ouvertures décisionnelles. Dans les situations qu’on vient d’aborder, peut-on pour autant parler d’un facteur de pluralisme, indicateur de modernité dans la gestion de la HTZ de Zhuhai ? Si une diversification des élites managériales se dessine autour de certaines multi-positions consécutives ou simultanées, elle apparaît toutefois limitée. Elle témoigne moins d’une ouverture démocratique que d’une représentation corporatiste. Mais dans le même temps, l’analyse de ces multi-positions rend explicites des articulations originales entre la légitimation politique et celle des compétences ou « talents » professionnels dans la Chine contemporaine.

2.3 Une pluralisation de type « fonctionnel »

Sur la base des multi-positionnements d’acteurs et des ouvertures qu’on a ainsi pu observer dans la gestion de la HTZ, considérons plus avant la dimension délibérative des interactions à Zhuhai. Au-delà de la diversité (mais aussi d’une certaine cohésion interne) des élites managériales impliquées dans le pilotage du high-tech, une pluralisation s’observe-t-elle dans le fonctionnement des institutions politiques, représentatives ou participatives à Zhuhai (He et Warren, 2011; King, Pan et Roberts, 2013) ? Nous avons pu recueillir de l’information concernant deux types de configurations qui montrent les limites actuelles d’un pluralisme délibératif.

Dans le système électoral local de Zhuhai, on retrouve en effet le modèle très général en Chine des candidatures soigneusement présélectionnées par les autorités. S’y ajoute cependant la formule, plus originale et expérimentale, des profils de députés censés représenter par leurs professions certaines catégories-clés des activités socio-économiques locales (voir la section 2.2 plus haut), même si ces députés sont élus au suffrage universel et siègent dans les assemblées populaires au milieu des autres élus. Techniquement, ce n’est donc pas exactement du corporatisme (parce que, même si les candidats sont présentés sur quotas professionnels, les élections se font, elles, au suffrage général et non par collèges spécialisés). C’est donc une façon plutôt originale, mais non exclusive à travers le monde, de chercher à représenter spécifiquement des intérêts catégoriels au sein d’assemblées délibérant de manière globale (Volpe, 2015). Nous qualifierons un tel dispositif représentatif, ouvert explicitement à des secteurs de la vie économique et sociale, de « pluralisme fonctionnel ». À Zhuhai, la formule valorise deux professions clés pour le développement high-tech : les entrepreneurs et les universitaires.

L’ouverture en Chine de nouvelles fenêtres délibératives, qu’on nomme aujourd’hui « dispositifs participatifs », offre-t-elle, pour sa part, plus d’opportunités ? En d’autres termes, quelles sont les potentialités pluralistes de ces nouvelles procédures dites de « participation » qui sont autorisées par les autorités chinoises ? Un cas de figure a justement été développé à Zhuhai récemment. On connaît en Chine les pétitions et les traditionnelles « auditions publiques », qui existent de longue date et sont organisées par le pouvoir sur des questions variées pouvant aller du fonctionnement de la justice de proximité au prix officiel de certains produits de base. Des procédures nouvelles, plus locales et moins systématiques, s’y sont ajoutées depuis une dizaine d’années, dans un objectif « d’acceptabilité » de projets d’aménagement ou de réponse négociée à des luttes contre la pollution. Certaines démarches expérimentales ont même été importées à partir de modèles occidentaux (voir notamment Fishkin, 1991). À Zhuhai, nous avons pu enquêter à la fois sur les formes de mobilisation d’un comité de défense d’un quartier ancien et sur une offre participative officielle liée à un projet de requalification d’espaces publics de quartier (analysée dans l’article de Liao, 2015).

Les détails de l’enquête en cours et des analyses afférentes y sont précisés. Mais les principaux éléments en sont résumés ici pour notre propre diagnostic. Il apparaît d’abord que les sujets qui sont offerts à la participation des habitants sont maintenus dans des limites à la fois politiques, mais aussi très sectorielles, sur le plan des dossiers techniques (facettes ponctuelles de l’aménagement des espaces publics, tout comme dans les démocraties libérales !). Dans le cas où la participation a été présentée comme une offre démocratique par les autorités municipales, elle reste néanmoins enfermée dans des questions d’embellissement et surtout dans des temporalités de participation qui sont imposées par les autorités.

Quant à l’enquête que nous avons menée auprès du comité d’habitants non officiel voué à la défense du vieux quartier du XIXe siècle (Tangjia), qui se trouve maintenant inclus dans le périmètre de la HTZ, elle montre que le dialogue participatif avec les administrations locales du District et de la Municipalité est très limité. Le comité (entretiens avec plusieurs de ses membres) déplore le manque d’écoute sur les questions de protection architecturale, y compris auprès des services spécialisés sur le patrimoine bâti. Ce groupe d’habitants reste très isolé face aux autorités locales préoccupées de croissance urbaine et économique et qui l’écoutent à peine ou bien l’instrumentalisent sans scrupule. Il est vrai qu’en même temps, ses leaders n’osent pas se rapprocher des médias et d’artistes célèbres afin de se faire mieux connaître, par crainte, semble-t-il de réactions policières ou de représailles politiques.

Dans les deux cas, les limites procédurales de ce genre d’exercices participatifs n’ont donc rien d’étonnant et sont un peu les mêmes que celles observées ailleurs dans le monde. À Zhuhai, ces formes participatives apparaissent comme des dispositifs dénués de dynamique pluraliste, contrastant avec les formules esquissées à l’intention de publics professionnels spécifiques. En somme, la participation des habitants ressemble à des « îlots consultatifs » dans un océan politique qui reste autoritaire, c’est-à-dire sans réel multipartisme, sans candidatures non officielles, sans alternances qui ne soient pas régies par des purges politiques, menées ou non au nom de la lutte contre la corruption…

Par conséquent, en considérant l’ensemble des facettes qu’on vient d’aborder, la pluralisation à Zhuhai apparaît au total moins politique que corporatiste (c’est en fait une représentation fonctionnelle des divers intérêts organisés). Pourtant, ce cas d’étude, sur la côte Est et au coeur du dynamisme high-tech, dépeint un des visages les plus ouverts et modernistes du pays. On voit que les quelques ouvertures pluralistes en Chine (King, Pan et Roberts, 2013) ont peu de poids face à un autoritarisme qui, après une phase de détente au début des années 2000, ne semble pas plus se démentir au plan national (ni d’ailleurs dans la Province du Guangdong, pourtant plus ouverte que d’autres au point où l’on s’en méfie constamment en très haut lieu). Cet autoritarisme, explicite ou latent, se traduit par une hypertrophie des mesures dites aujourd’hui de « sécurité », qui se greffent sur la police de la vie quotidienne et les contrôles de quartier (même si les jeunes générations développent une certaine méfiance à l’endroit des jeunes générations pour les médias officiels, méfiance qui stimule, surtout chez les plus éduqués, la production d’informations alternatives sur les réseaux sociaux et les blogues).

Conclusion

Les analyses qui portent sur le style de gouvernement en Chine s’intéressent généralement à la compétition que se livrent les principales factions politiques sur le plan national, aux effets de la lutte contre la corruption et à la vague contemporaine de purges pour asseoir le pouvoir actuel. On trouve aussi fréquemment des analyses sur les politiques économiques appliquées à grande échelle, le PIB national, la bulle immobilière urbaine, les grandes entreprises du secteur public, ainsi que le déploiement international des investissements chinois. Heureusement, d’autres travaux, encore trop rares, concernent également les débats sur les grands choix de politiques publiques à l’intérieur du pays, ainsi que leurs interactions avec les pouvoirs territoriaux et les formes du développement économique local (Chen, 2003). Ces enjeux sont tout aussi essentiels pour le pays, en termes non seulement de repositionnement des débouchés de la production banale, mais aussi de montée en gamme et de développement d’une demande intérieure. Quelle est la politique économique à adopter pour maintenir l’acceptation du pouvoir politique et consolider la stabilité d’une société qui se veut officiellement « harmonieuse » ? Nous voyons deux choix possibles. Le premier consiste à accorder un privilège absolu au développement productif via un libéralisme poussé. C’est le modèle du régime « d’État économique », qui s’appuie avant tout sur des règles de marché et sur l’internationalisation des échanges, dans sa version OMC. Le deuxième choix, celui du régime « d’État distributeur », serait de donner la priorité à une croissance régulée et encadrée par les pouvoirs publics, avec une redistribution marquée des richesses vers les périphéries (au moyen d’équipements collectifs, du pouvoir d’achat lié à la protection sociale, et de mesures favorisant le retour dans leur campagne des mingong, ces Chinois partis vers les grandes villes comme travailleurs pauvres).

C’est là un débat global de politique économique, mais qui a des retentissements essentiels sur le développement du marché intérieur chinois. Car l’hypothèse d’un État-providence à la chinoise, présentée comme une question de justice redistributive vers les Provinces pauvres, sera autant un facteur de relais pour des marchés chinois qui s’essoufflent à l’export. Ces choix en matière de politique globale de développement influeront aussi sur les rééquilibrages entre Provinces, ainsi que sur les interactions entre divers niveaux de pouvoir locaux en Chine. Car un développement tourné vers le marché intérieur suppose un rôle accru des pouvoirs locaux.

Il faut aussi compter avec l’impact important du mode de partage des compétences choisi. Après une période où l’État s’est défaussé de nombreuses dépenses de services collectifs sur les niveaux locaux, laissant en contrepartie aux autorités locales le pouvoir de spéculer sur le foncier et l’immobilier (style prédateur et clientéliste de gouvernement) pour accroître leurs ressources financières tout en se faisant concurrence au hit-parade de la croissance, « l’enjeu local » depuis une décennie (Cabestan, 2004) serait plutôt de favoriser un renouvellement-hybridation des élites politiques et économiques autour d’un développementalisme plus qualitatif et mieux régulé. Sur un mode high-tech, c’est le choix qu’illustre Zhuhai. La recherche de cohésion entre élites économiques et politiques locales prend alors la forme d’une alliance de style managériale entre « innovateurs » publics et privés, c’est-à-dire entre acteurs qui sont encore dans la mouvance du Parti communiste chinois, mais autant par porosité aux marges de cette institution que par inclusion obligatoire.

Dans cette configuration nouvelle, qui est perceptible dans le pilotage local des politiques de développement high-tech et dans les milieux urbains les plus internationalisés, peut-on dire que les managers du secteur privé chinois restent encore dominés en Chine par le politique comme il y a une quinzaine d’années (Rocca, 2002) ? La situation devient plus nuancée. Domination en termes de citoyenneté du fait de l’alliance politique actuelle, positionnée en termes autoritaires, nationalistes et sécuritaires. En tant qu’acteurs économiques cependant, les managers du privé dans ce type de configuration échappent partiellement à cette domination. Car, entre le secteur des grosses entreprises d’État (au management très politisé) et le tissu plus autonome des classiques PME manufacturières, on voit ainsi émerger en Chine un troisième « monde » : celui de l’économie innovante et du high-tech, structuré autour des universités et des autorités locales novatrices, et polarisant des coalitions d’intérêts autour de régimes locaux de « bonne gouvernance » entrepreneuriale. La tendance est maintenant portée à large échelle par le nouveau plan national « Intelligence artificielle 2017-2025 », même s’il ne faut pas généraliser à tout le pays et survaloriser l’effort de R et D chinois (Cao, 2004).

Dans ces configurations, les élites managériales en ascension émanent de la combinaison entre les cadres politico-administratifs les plus modernistes et le recrutement dans les entreprises et les universités de nouveaux « Young Urban Professionals ». C’est du moins ce qu’on observe à l’intérieur des pôles dynamiques du Delta des Perles, dans les secteurs qui appellent une gouvernance économique selon les standards internationaux, comme à Zhuhai sur la HTZ. Il ne s’agit pas d’un bloc unifié, mais plutôt d’une alliance entre plusieurs univers professionnels (« talents » innovateurs de haut niveau, managers universitaires, chefs d’entreprise de haute technologie, cadres politico-administratifs de nouvelle génération). Pour l’instant, c’est une diversité qui n’affaiblit pas la cohésion entre ces élites, car celle-ci s’actualise dans le même temps. Cette cohésion est garantie non plus par la seule appartenance au Parti, mais plus largement par une connivence avec un système de pouvoir tourné vers une croissance qualitative et une gestion flexible. En retour, celle-ci autorise des mobilités nouvelles dans les parcours professionnels, grandement favorisées par une même adhésion à un style de gouvernance qui promeut l’efficacité de marché et l’innovation, assorties d’ouvertures sociétales strictement fonctionnelles. Il s’agit d’un régime partiel de gouvernance qui permet de ménager des enclaves économiques et sociales (comme à Tanger, au Maroc), moins directement marquées par le clientélisme qu’au Brésil ou en Inde, mais où la consultation des « parties prenantes » se traduit par un pluralisme encore très limité (comme le laissent voir les autres articles de ce dossier concernant ces deux pays).