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Introduction au Volume 18, numéro 2

En octobre 2012, à l’issue d’une réunion du Comité pour les métaux stratégiques (COMES), Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif de François Hollande, annonce le lancement d’une stratégie nationale de « renouveau minier ». Plusieurs décennies de déclin ont conduit à la fermeture des dernières mines métropolitaines au début des années 2000 et le ministre souhaite, comme dans d’autres secteurs industriels français, renverser la tendance et relocaliser les activités minières. L’ambition de cette stratégie est de rouvrir le sous-sol métropolitain aux investissements et à l’exploration minière, afin de donner de la France l’image d’« un pays dans lequel on peut exploiter des mines », pour « servir l’intérêt stratégique de la nation »[3]. Si la France n’est pas le seul pays européen à s’engager dans cette stratégie, elle reste un cas particulier puisque, contrairement à certains de ses voisins, toute activité d’exploration minière a cessé depuis les années 1990 malgré l’existence d’un service géologique puissant (le Bureau de recherches géologiques et minières : BRGM) et de multinationales minières françaises (Eramet, Orano et Imerys, notamment).

Pour autant, près d’une décennie après cette annonce, force est de constater son échec relatif puisqu’aucune mine n’a été rouverte en France métropolitaine. En effet, ce « renouveau minier » a été l’objet de nombreuses critiques puisant aussi bien dans les répertoires argumentaires militants que dans les pratiques des compagnies minières. Malgré des dispositifs de contournement et de gouvernement de ces critiques, il semble aujourd’hui indéniable que cette relance minière n’a pas été en mesure d’intégrer les nouvelles dimensions qui rendraient possible la réouverture de mines en Europe en général et en France en particulier. Au-delà de l’objectif affiché de sécurisation des approvisionnements, la relance minière est vite apparue comme une démarche spéculative à rebours des planifications locales, des contraintes environnementales et des velléités participatives.

L’objectif de ce numéro spécial est d’explorer la construction de cette relance minière et les conflits qu’elle a engendrés afin de comprendre les raisons de cet échec. Comment s’est structuré le discours de la relance minière ? Quels sont les acteurs qui le définissent et le propagent ? Dans quelles arènes évoluent-ils ? Quels effets a ce discours dans le forum public ? Comment comprendre la dynamique des controverses dans les arènes d’expertise et de débat public sur cette stratégie de relance de l’exploitation des ressources minérales en Europe et en France ? Comment saisir enfin les reconfigurations politiques et le renouvellement des formes de mobilisation à l’oeuvre dans les critiques et les contestations territoriales des projets d’exploration et d’exploitation, en particulier dans le cas français ?

Cette introduction vise à présenter trois éléments constitutifs de la relance minière européenne qui se retrouvent dans les différentes contributions du présent numéro : l’impératif stratégique, la nécessité des transitions énergétique et numérique, le concept de mine responsable. Nous revenons ensuite sur le panorama des conflits déclenchés par la relance minière afin de situer le contexte général de l’épreuve critique rencontrée par le renouveau minier et le discours de la mine responsable qui forme le coeur des contributions proposées dans ce numéro. Nous concluons en présentant les articles composant le numéro spécial.

1. Sécuriser et relocaliser les approvisionnements en matières premières minérales stratégiques

Le déploiement, tant au niveau européen qu’au niveau national, de cette stratégie de sécurisation des approvisionnements et de relocalisation des activités minières en Europe répond à un contexte de compétition géopolitique et d’impératif stratégique des États européens, et s’appuie sur un discours, de la part des acteurs industriels comme des acteurs publics, sur le caractère « critique » et « stratégique » de ces ressources pour les industries européennes.

La valeur des ressources minérales – et donc leur exploration, puis leur exploitation – renvoie en grande partie à des dynamiques de marché. Car si la valeur d’un site dépend de ses caractéristiques géologiques intrinsèques[4], ce sont bien des critères extrinsèques comme la satisfaction de conditions politiques, sociales et surtout économiques qui vont déterminer la viabilité et la rentabilité d’une exploitation[5], et par là, plus largement, la valeur stratégique d’un territoire. Or, le début du XXIe siècle est marqué par une pression à la hausse sur les marchés des matières premières minérales et métalliques, de la Metal Exchange à la Bullion Market de Londres, du COMEX de New York au TOCOM de Tokyo. Si la croissance des pays émergents est responsable de la hausse de la demande, l’accumulation du capital est favorisée par la rareté relative de certaines ressources, illustrée singulièrement aujourd’hui par le cas des terres rares (Pitron, 2018), qui pousse les États miniers à développer l’exploration pour maximiser la rente, phénomène connu sous le nom de « rente de Hotelling » (Hotelling, 1931). Cette tension spéculative, liée au commodities super-cycle, aiguise par conséquent une compétition géopolitique pour l’approvisionnement et pour l’accès aux territoires riches en ressources, particulièrement pour ce qui est des ressources stratégiques comme les « terres rares » (Abraham et Murray, 2015 ; Pitron, 2018). La valeur stratégique des sous-sols et des ressources naturelles ne cesse alors de croître à mesure que les cours s’envolent sur les bourses mondiales. Cette inflation ouvre de nouveaux territoires à l’extraction puisque des gisements plus complexes, moins concentrés et situés dans des zones avec des coûts élevés d’exploitation deviennent rentables. L’affolement des marchés, en particulier celui de l’or et des terres rares, contribue à accroître, au tournant des années 2000-2010, les tensions économiques, sociales et politiques pour les territoires concernés (voir notamment Engels, 2018 ; Hecht, 2012 ; Mai-Bornu, 2019), mais aussi les tensions géopolitiques entre les pays fournisseurs, les industries extractives et les pays consommateurs (Pitron, 2018).

C’est particulièrement le cas de la Chine, qui monopolise la production de terres rares depuis la fin des années 1990, dont la diplomatie des matières premières et l’imposition de quotas d’exportation au milieu des années 2000 déstabilisent l’orthodoxie libérale européenne (Niquet, 2011). Alors que dans le cas du cobalt, produit en grande partie en République démocratique du Congo, c’est l’instabilité politique liée aux conflits armés dans la région et le travail forcé des enfants qui fragilisent une filière en forte expansion (Danino-Perraud, 2021). La stratégie ricardienne des avantages comparatifs a rendu les pays consommateurs et en particulier les États européens extrêmement dépendants de monopoles extractifs qui non seulement accaparent l’exploitation minière, mais aussi développent l’ensemble de la chaîne de valeur sur tout un ensemble de métaux critiques et stratégiques (Danino-Perraud, 2021).

En France, l’Alliance des minerais, minéraux et métaux (A3M)[6] estime que l’approvisionnement de ces ressources représente « un enjeu stratégique pour notre économie et contribue à la souveraineté nationale » (Alliance des minerais, minéraux et métaux [A3M], 2017, p. 4), tandis que, à l’échelle de l’Europe, la Commission européenne considère que « l’accès à des matières premières minérales vendues à des prix abordables est indispensable au bon fonctionnement de l’économie de l’UE » (Commission européenne, 2008). C’est pourquoi, faisant le constat de sa dépendance aux marchés et n’étant plus une grande région productrice, l’Europe a fait le choix stratégique, à la fin des années 2000, de soutenir d’une part la sécurisation des importations (en diversifiant ses approvisionnements, en passant des contrats bilatéraux, etc.), et de promouvoir d’autre part la relance de l’exploration et de l’exploitation de ses ressources minérales et métalliques (Cozigou, 2016, 2020), en particulier pour ce qui touche aux terres rares et aux matières stratégiques, dans le cadre de la Raw Materials Initiative (2008). Plusieurs dizaines de projets miniers ont ainsi vu le jour en Europe depuis la fin des années 2000, et c’est dans ce cadre que la France a inauguré en 2012 son programme du « renouveau minier » (Galin, 2016 ; Galin et Gaillaud, 2020).

2. Répondre aux besoins des transitions énergétique et numérique

L’impératif stratégique de la sécurisation des approvisionnements et de la relance minière est mis à l’agenda des gouvernements européens par les transformations profondes des dépendances énergétiques portées par les transitions énergétique et numérique. Décarbonisation de la production énergétique et amélioration de l’efficacité énergétique sont envisagées à l’aune d’une modernisation écologique reposant sur un recours accru au numérique. Or, les matières premières minérales et métalliques tiennent une place cruciale dans cette double stratégie de transition.

Des matériaux de construction à la production d’énergie, l’exploration et l’exploitation des ressources de nos sous-sols accompagnent le développement des sociétés humaines (Christmann, 2016) : les ressources minérales et leurs usages jalonnent ainsi les grandes étapes de l’histoire humaine, de la recherche des métaux précieux au Paléolithique à la houille de la révolution industrielle des XVIIIe et XIXe siècles (Jébrak et Marcoux, 2008, p. 2-17). Les transitions énergétiques passées ont toutes signifié des transformations profondes des rapports de force et des dépendances : l’avènement du charbon a libéré les manufactures anglaises de leur dépendance à l’énergie hydraulique (Malm, 2016) tandis que celui du pétrole a libéré les industriels du XXe siècle des pressions de la classe ouvrière occidentale tout en générant une dépendance accrue à l’or noir du Moyen-Orient (Mitchell, 2013). La transition énergétique contemporaine déplace à nouveau la dépendance vers les minerais et métaux nécessaires à la fabrication d’énergies renouvelables d’une part, et à l’amélioration de l’efficacité énergétique d’autre part.

Le modèle des énergies fossiles est confronté à plusieurs problèmes qui « forcent » une transition énergétique vers de nouveaux modes de production d’énergie renouvelables et décarbonés. D’abord, depuis la Seconde Guerre mondiale, les économies du Nord global se sont appuyées sur un taux de rendement énergétique – l’Energy Return on Investment (EROI) – particulièrement élevé, c’est-à-dire sur une énergie et des ressources peu coûteuses et abondantes. Or, depuis les années 1970, l’EROI des sources énergétiques décline (Hall et al., 2014 ; Huber, 2009 ; Huber et McCarthy, 2017) : notre modèle énergétique et productif, basé sur les ressources carbonées, serait de moins en moins efficient. Ensuite, les ressources énergétiques fossiles sont responsables des changements climatiques. C’est pourquoi depuis les années 2000, et plus particulièrement au tournant des années 2010, s’est développé un discours nouveau sur la nécessaire décarbonisation de nos économies, et donc sur une nécessaire transition énergétique, au profit d’énergies renouvelables. Enfin, en Europe, comme dans de nombreux pays du Nord global, cette transition énergétique demeure avant tout pensée comme une modernisation écologique (Buttel, 2000) à base de « technofix » et de solutionnisme technologique (Carr, 2013). À titre d’exemple, le BRGM souligne qu’un moulin à vent du XVIIIe siècle avait besoin de six métaux de base tandis qu’une éolienne du XXIe siècle nécessite près d’une soixantaine de métaux.

La transition énergétique est également envisagée à travers l’amélioration de l’efficacité énergétique et dans ce sens elle repose aujourd’hui largement sur les solutions techniques offertes par la transition numérique. Le développement de compteurs et de réseaux intelligents, de transports électrifiés et d’objets connectés génère des masses de données qu’il faut stocker et échanger (et qui exigent donc la construction de centres de données climatisés et de réseaux plus puissants comme la 5G). La base matérielle de cette efficacité énergétique est énorme (Bazilian, 2018), faisant craindre à un nombre croissant de chercheurs et de citoyens un jeu à somme nulle, voire une expansion des dégradations environnementales (Huesemann et Huesemann, 2011). Outre l’effet rebond de l’efficacité énergétique décrit il y a 150 ans par Jevons (Jevons, 1865), la transition numérique repose sur des minerais jusque-là peu utilisés (comme les terres rares), dont l’extraction est réalisée en grande partie dans des pays avec peu de contraintes environnementales et dont l’usage dispersif rend complexe le recyclage.

Pour autant, les ressources nécessaires aux transitions énergétique et numérique sont au coeur de l’économie « verte » et sont devenues en à peine une décennie d’intérêt stratégique aussi bien pour les industriels que pour les États. L’A3M souligne ainsi en 2017 :

Les métaux sont indispensables à tous les produits et services qui font notre quotidien. On les retrouve par exemple dans la construction, les transports, l’électronique ou la production et le transport d’énergie. Ils sont également à la base de l’économie virtuelle, avec une utilisation systématique dans les outils informatiques, les objets connectés ou encore le transport et le stockage de l’information. Ils constituent par conséquent des matières premières essentielles et parfois critiques, particulièrement dans le cadre de la transition écologique et numérique.

A3M, 2017, p. 4

Lors d’une conférence pour la COP21, à Paris, le 18 août 2015, Ségolène Royal (ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie du gouvernement français) ajoute également que :

La rencontre des deux révolutions pacifiques et majeures du XXIe siècle, la révolution numérique et la révolution de la transition énergétique pour la croissance verte, représente un formidable potentiel pour nos économies et nos sociétés, une nouvelle frontière. Ce nouveau modèle de développement est un accélérateur d’innovation technologique, de création de richesse et d’emplois.[7]

Ce discours sur la révolution numérique repose donc en grande partie sur l’argument selon lequel la « transition numérique » accélérerait la « transition énergétique », comme le souligne Nicolas Hulot (ministre de la Transition écologique et solidaire du gouvernement français) lors de l’introduction au Forum de la transition énergétique le 28 mars 2018 : « La troisième révolution énergétique est celle combinée des énergies renouvelables, du digital, et des réseaux intelligents. »

3. Une relocalisation justifiée par un approvisionnement responsable et durable

Si la principale stratégie des États européens reste la sécurisation des importations, la relocalisation de projets miniers s’accompagne d’un discours sur la responsabilité et la durabilité de l’extraction. Ce discours repose sur deux arguments principaux : d’une part, la « mine responsable » (ou « durable » ou « verte ») doit apporter des bénéfices nouveaux aux communautés locales ; d’autre part, la traçabilité des minerais doit permettre de labéliser les filières de production afin de privilégier les meilleures pratiques.

La stratégie dite du « renouveau minier français », défendue en 2012 par Arnaud Montebourg, s’accompagne à partir de 2015 de l’initiative « mine responsable ». Portée par les promoteurs du renouveau minier en Europe et en France, le référentiel de la mine responsable « est basé sur le fait que la mine doit être conçue pour apporter sur le long-terme un bénéfice net optimal aux populations du pays hôte avec un impact social et environnemental minimum » (Chevrel et al., 2017, p. 13). Il n’existe pas de définition officielle du concept, mais plutôt une liste de principes comme le respect des parties prenantes, de l’environnement, de la santé humaine ou de la loi en vigueur, mais encore la promotion de la transparence, des bonnes pratiques et de la responsabilité des entreprises, un investissement dans le développement futur et l’utilisation de technologies modernes (Chevrel et al., 2017, p. 16). L’initiative de 2015 devait se traduire par une charte validée aussi bien par les industriels que par les associations environnementales, or ces dernières se retirent du projet et l’initiative demeure un engagement volontaire peu suivi dans les faits[8].

Le concept de « mine responsable » n’est pas propre à la France, et est inventé dès les années 1990 en déclinaison du référentiel du développement durable pour la filière extractive (Drebenstedt, 2014 ; Franceschi et Kahn, 1999). À l’échelle internationale, ce concept est institutionnalisé dans les arènes industrielles de l’extraction au tournant des années 2000 (Franks, 2015 ; Tost et al., 2018). Ces principes sont repris dans la Déclaration de Milos en 2003, à l’issue de laquelle est publié le Framework for Responsible Mining, où est énoncé explicitement le concept de mine durable comme cadre de référence des industries extractives pour les décennies à venir.

Le concept de mine responsable est aussi le résultat des observations et des critiques produites par la gestion de l’après-mine, en particulier pour ce qui est du cadre européen. Après des décennies portées par les idées de développement, de progrès et de prospérité pour les territoires miniers, l’arrêt des activités extractives et la désindustrialisation qui l’accompagne ont en effet laissé place aux traces indélébiles de la désindustrialisation et des pollutions environnementales de l’après-mine (Balan, 2021 ; Bretesché et Ponnet, 2012 ; Camizuli et al., 2021 ; Le Berre et Bretesché, 2021 ; Oakley, 2018). Ainsi, a émergé une nouvelle configuration sociopolitique dans laquelle se trouvent les notions de développement durable, de gestion des risques, et de territoire : tandis que la nature n’était perçue que comme une « ressource industrielle », elle est devenue un « problème environnemental » (Brunet, 2004 ; Le Berre et Bretesché, 2018 ; Letté, 2012). Si cette réflexion sur la durabilité de l’exploitation et de la post-exploitation minières se forme dès les années 1990, il faut attendre le milieu des années 2010 pour que, dans le contexte de la relance minière nationale, soit lancée une concertation nationale visant à définir « un modèle français de la mine responsable » (Galin, 2016).

Enfin, parallèlement à ce travail « d’acceptabilité » du retour de la mine en Europe, la notion de « mine responsable » reprend le principe de transparence des filières extractives. L’initiative pour la transparence dans les industries extractives naît en 2002 et aboutit en Europe au règlement 2017/821, qui fixe un devoir de diligence à l’égard des importateurs de l’UE de la chaîne d’approvisionnement des « minerais des conflits ». Plus largement, de nombreuses initiatives visent à promouvoir une traçabilité des minerais et métaux afin de lutter contre la contrebande et les trafics, mais aussi de favoriser les entreprises aux pratiques plus vertueuses. Si l’efficacité de ces initiatives non contraignantes reste encore à prouver, la traçabilité vise aussi à permettre une différenciation des compagnies minières occidentales vis-à-vis de leurs contreparties du Sud global, notamment chinoises, peu soumises à des normes strictes. La traçabilité comme label de qualité, de respectabilité et de durabilité est promue comme un avantage stratégique dans des marchés occidentaux de plus en plus préoccupés par les droits humains et la protection de l’environnement.

4. Les stratégies de relocalisation et de la « mine durable » face aux mobilisations territoriales

Au niveau européen, cette relance minière, justifiée par l’impératif stratégique, la transition et la mine responsable, n’a pas été l’objet d’une démarche concertée, et les réalisations divergent fortement selon les pays. Des pays comme l’Allemagne, qui n’avaient pas connu de déclin aussi marqué qu’en France, ont pu rouvrir certaines mines, et d’autres comme l’Espagne ont connu un véritable boom de la prospection (2 000 demandes de permis d’exploration déposées en 2018 en Espagne), mais de nombreux projets ont été contestés, et le cas français est remarquable dans ce sens.

En France métropolitaine[9], plus d’une dizaine de permis exclusifs de recherche minière (PERM) sont octroyés entre 2010 et 2019, ce qui constitue une révolution pour le sous-sol métropolitain, qui n’avait connu aucune demande de PERM depuis le début des années 1990. Mais rapidement, ces permis sont l’objet de contestations locales, souvent avant même la demande d’autorisation de travaux[10] : le permis de Tennie, attribué à Variscan Mines dans la Sarthe, est contesté dès 2013, puis celui de Villeranges dans la Creuse, octroyé à Cominor en 2014, puis les trois permis bretons de Silfiac, Merléac et Loc-Envel, ainsi que celui de Couflens dans l’Ariège, également concédés à Variscan Mines en 2015. Hors métropole, le projet Montagne d’Or en Guyane cristallise l’attention et les contestations à partir de 2014 jusqu’à son abandon (provisoire ?) en 2019 (Retourney, à paraître). D’autres permis métropolitains sont moins contestés mais se voient abandonnés par leurs détenteurs pour des raisons techniques et financières, comme ceux de Saint-Pierre dans le Maine-et-Loire, de Beaulieu en Loire-Atlantique (Variscan), celui de Kanbo dans les Pyrénées-Atlantiques (Sudmine) ou de Vendrennes en Vendée (SGZ France). Les oppositions au renouveau minier conduisent donc, à partir de 2017, à l’abandon ou au retrait des permis octroyés dans les années 2010. La séquence du renouveau minier métropolitain est par conséquent brève et semble se conclure en quelques années par l’échec de l’ambition politique initiée par Montebourg.

La politique de relance des industries extractives en Europe, et plus singulièrement en France, s’est donc aussitôt heurtée à l’épreuve de la critique[11] dans les arènes de débat public et de mobilisations dans les territoires concernés (Chailleux et al., à paraître). Malgré la mise en place de commissions de suivi de site sur le périmètre des permis, la critique des projets s’est souvent traduite par un conflit ouvert entre l’opérateur et un ou des collectifs locaux. Ces conflits ont été souvent réduits par les opérateurs et les services administratifs à un syndrome « Not In My Backyard », alors que les mobilisations sont de plusieurs types : contestations de l’arrivée ou du retour de mines sur leur territoire, critique d’une gouvernance territoriale trop descendante, d’un cadre réglementaire perçu comme trop ancien et ne prenant pas suffisamment en considération ni les spécificités locales ni les impératifs environnementaux, ou encore des contestations à l’encontre du modèle capitaliste extractiviste. Tandis que ce nouveau référentiel de la mine responsable engage un renouvellement des coalitions d’acteurs et des stratégies politiques des parties prenantes du renouveau minier (Chailleux, à paraître ; Massé, à paraître), des controverses se développent ayant toutes en commun de se traduire par une politisation nouvelle du sous-sol (Chailleux, 2020 ; Chailleux et al., 2018) et par un réinvestissement politique des territoires (Chailleux et Le Berre, à paraître). Loin d’être l’illustration d’un rejet égoïste et non informé, la contestation des projets miniers en révèle surtout les failles au regard du propre discours des promoteurs de la relance minière : laissé aux mains d’investisseurs privés, le renouveau minier s’est révélé plus spéculatif que stratégique, d’autant plus que les minerais recherchés étaient peu liés aux transitions énergétique et numérique et que les démarches des opérateurs s’affichaient parfois en discordance avec les principes de la mine responsable.

5. Présentation des articles

Prolongeant les différentes réflexions proposées dans cette introduction, ce numéro spécial confronte les nouveaux répertoires discursifs et les nouveaux modes de gouvernance minière, développés depuis le début des années 2000, aux reconfigurations politiques et au renouvellement des formes de mobilisation territoriale provoqués par ces nouveaux projets d’exploitation des ressources du sol et du sous-sol. Il regroupe cinq contributions qui permettent de montrer, d’une part, la structuration en Europe et en France d’un discours sur l’impératif de la relance minière à travers les arguments de la mine responsable et des enjeux stratégiques, et, d’autre part, le renouvellement de configurations politiques multiscalaires et le réinvestissement politique du territoire à l’oeuvre dans les conflits liés aux projets d’exploration minière.

Pour étudier la structuration de la gouvernance du renouveau minier et de ses contestations, ce numéro spécial s’appuie sur la combinaison de diverses approches méthodologiques : approches discursives, approches néo-institutionnalistes, approches ethnographiques multisituées, approches par les réseaux et les jeux d’acteurs. Une diversité de matériaux est également mobilisée : des rapports d’expertise, des programmes stratégiques, des documents de communication institutionnels, des articles de presse, mais aussi des éléments discursifs issus d’entretiens semi-directifs ou ethnographiques, et des observations in situ. Enfin, ce numéro spécial s’appuie sur plusieurs terrains d’enquête, à différentes échelles et au sein de différentes arènes : à l’échelle locale, régionale, nationale mais aussi européenne ; au sein d’arènes politiques, médiatiques, industrielles, expertes ou encore militantes ; en Espagne, en France et enfin au niveau européen. Ces approches, matériaux et terrains différenciés ont cependant tous en commun de souligner l’importance d’une perspective croisée pour appréhender la complexité sociale, technique, économique et politique de la gouvernance du renouveau minier européen et de ses contestations tant dans les arènes d’expertise et de débat public que dans les différentes échelles de territoire : à l’échelle européenne, nationale, mais aussi locale.

Doris Buu-Sao nous permet de comprendre comment le discours de « la mine responsable » s’est structuré et a circulé en Europe dans les années 2000-2010, à travers une cartographie des réseaux institutionnels formés autour de la stratégie de relance de l’exploitation des ressources minérales en Europe et en Espagne, et par le biais d’une analyse des discours publics visant à rendre légitimes les programmes de relance minière.

Brice Laurent et Julien Merlin nous proposent ensuite une analyse des formes de « mobilisation du futur » dans le cadre des activités extractives (investissement, anticipation et planification) pour montrer les tensions entre les promesses formulées par les compagnies minières auprès des investisseurs potentiels et celles formulées auprès des populations locales concernées par les projets d’exploration. Cet article permet de montrer que la « politique temporelle » des ressources minières, dans sa dimension d’économie de la promesse et dans son mode d’investissement, est caractérisée par des jeux de définition de « la valeur » et d’adaptation de « la responsabilité » selon les différents publics et les différentes arènes et échelles d’acteurs et de territoires.

Sébastien Chailleux nous propose ensuite une analyse du traitement médiatique du sujet des mines en France métropolitaine et de la réception de la politique française de renouveau minier. L’article rend compte de la domination dans l’arène de la presse écrite d’un registre critique à l’encontre de la stratégie de relance minière nationale, et montre une politisation croissante de la question minière française.

À travers l’étude comparée de mobilisations en Bretagne à l’encontre de permis d’exploration et de recherche, Damien Schrijen rapporte la manière dont ces mouvements se sont structurés, relativement à des configurations politiques locales marquées par un passé de luttes environnementales, et résultant du capital social différencié des opposants et de leur capacité à nouer des alliances.

Enfin, Pauline Massé décrit comment la mise en oeuvre concrète, dans les territoires, des modalités de gouvernance par « l’acceptabilité sociale » et « la participation de la société civile », pourtant au coeur des discours sur la mine durable en Europe et des annonces sur la relance minière en France, s’est paradoxalement traduite par des formes de gouvernement à distance, révélant les positions et intérêts difficilement conciliables des parties prenantes, et combien l’intégration d’un projet d’exploration et d’exploitation à un territoire constitue une épreuve complexe pour les industries extractives.