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Avec ce numéro, la grande aventure de notre revue, Géographie physique et Quaternaire, prend fin. Après une longue bataille pour sa survie, le constat est inéluctable : on doit mettre un terme aux activités de la revue. Cela nous attriste profondément mais il serait irréaliste de tenter de poursuivre la publication de la revue dans le contexte que l’on connaît maintenant.

Géographie physique et Quaternaire a paru pour la première fois en 1977. Suite à des discussions entre l’Association québécoise pour l’étude du Quaternaire et la direction de la Revue de géographie de Montréal (RgM), il a été convenu que deux numéros par année de la revue seraient dédiés à la géomorphologie et au Quaternaire alors que les deux autres numéros seraient consacrés à la géographie humaine. Ces discussions qui ont peine à aboutir pour diverses raisons se déroulent au même moment qu’un des organismes subventionnaires examinait la pertinence d’avoir deux revues de géographie au Québec : la RgM et le Cahiers de géographie de Québec. Il faut donc repenser le paysage des revues géographiques au Québec. Se tient aussi à Trois-Rivières le 3e colloque de l’AQQUA en 1976, ce qui produit une quantité impressionnante de manuscrits qui seront vite prêts pour publication sous la direction de Serge Occhietti. Certains se rappelleront de l’assemblée générale de l’AQQUA en 1976 où les délégués ont discuté de l’avenir de la revue. Le nom de la revue est une des questions qui a été vivement débattue : Faudrait-il garder le terme géographie dans le nom de la revue ? C’est finalement en 1977 que la décision est prise de publier les articles issus du 3e colloque dans une revue qui s’appellera Géographie physique etQuaternaire et qui sera publiée par les Presses de l’Université de Montréal. Le comité responsable de cette réussite est composé de Camille Laverdière, Pierre Gangloff et Pierre Richard alors président de l’AQQUA. Bien que la naissance de la revue n’ait pas été facile, GpQ était une preuve tangible de l’émergence de l’étude du Quaternaire au Québec et d’une science digne d’un rayonnement international. Ceci était aussi un signe que le Québec prenait sa place en science. Ce dynamisme a permis de rehausser la qualité des publications scientifiques et de créer un réseau de collaborateurs qui sont par la suite devenus des supporters fidèles de la revue, comme les membres de la CANQUA.

GpQ aura été un fleuron, l’étendard d’une communauté scientifique. La revue aura rivalisé avec les meilleures revues dans le domaine. Au fil des années, la qualité de sa facture unique, l’originalité de ses contributions et l’excellence de son contenu ont marqué la scène de la publication scientifique en sciences de la Terre. Le bilan de la production scientifique francophone et anglophone dans la revue est plus qu’impressionnant. À son apogée, GpQ était distribuée à plus de 700 individus et à quelques 200 institutions. Plusieurs articles publiés dans nos pages sont devenus des classiques comme par exemple ceux de Prest ou de Mackay, pour ne nommer que ceux-là. Des numéros spéciaux de grand intérêt sont publiés notamment à la faveur de congrès comme celui de l’AQQUA ou de la CANQUA, mais aussi à l’initiative de chercheurs qui organisent des réunions thématiques. Par exemple, GpQ a eu le privilège de publier des numéros spéciaux extraordinaires sur le glaciel, les Montagnes Blanches, et les systèmes fluviaux. La revue a aussi innové en étant une des premières en sciences de la Terre à prendre le virage électronique dès 1998.

La route de GpQ aura été jalonnée de grandes réussites mais aussi d’embûches qui auront finalement eu raison de l’ardeur de ses artisans. Autant la pertinence pour ne pas dire l’urgence de sa mission ne faisait aucun doute en 1977, autant aujourd’hui en 2009, il ne reste pas beaucoup de place pour une revue comme GpQ. Devant la compétition croissante et la diversité grandissante de la recherche en sciences de la Terre, GpQ, une revue généraliste, voyait son créneau s’éroder. Il faut aussi reconnaître que l’intérêt pour les études du Quaternaire au Québec s’est atténué au fil des ans. L’AQQUA a dû renouveler sa mission devant la diversité de la recherche dans le domaine, mais cela n’a pas empêché le nombre de membres de l’association de chuter substantiellement depuis une dizaine d’années. La diversité de la recherche entraîne aussi une augmentation de la diversité des médiums de publication et par conséquent, des revues scientifiques pertinentes pour la diffusion des travaux des chercheurs. GpQ ne rejoignait pas toujours l’auditoire souhaité par plusieurs chercheurs, ce qui se ressentait par la baisse du nombre de manuscrits soumis pour publication. À cette réalité qu’est l’évolution de la recherche en sciences de la Terre s’ajoute la dégradation du contexte financier, tant dans l’institution d’attache, l’Université de Montréal, que chez les organismes subventionnaires. Les Presses de l’Université de Montréal ont toujours fortement appuyé la mission de la revue et l’ont considéré comme un de ses fleurons. Par contre, il est clair que la perte du poste de secrétaire de rédaction de GpQ suite aux coupures budgétaires pratiquées par l’institution en 1999 a eu un effet très négatif. Malgré toute notre bonne volonté, ceci a mené à des retards de production que nous n’avons jamais réussi à combler dans les années qui ont suivi. Finalement, le fait que les organismes subventionnaires (CRSNG et FQRNT) se soient tour à tour désistés de leur rôle de soutien de la publication scientifique aura été fatal. Bien que l’on soit reconnaissant de l’appui reçu au fil des ans, il faut tout de même souligner la courte vue du Fonds québécois de la recherche en sciences et technologie (FQRNT) dont le conseil a décidé de mettre un terme au programme de financement des revues scientifiques en 2007. Malgré nos représentations au FQRNT précisant les périls que ce changement de politique pourrait avoir sur les trois revues financées, rien n’y fit : le FQRNT a gardé le cap sur sa décision malgré la qualité évidente des revues concernées. Dans le cas de GpQ, cette perte de financement ne pouvait être compensée par d’autres revenus d’appoint. Au final, la communauté scientifique perd une revue de grande tradition en sciences de la Terre, et une des rares où l’on pouvait publier en français. Par son bilinguisme, la revue avait un caractère unique qui a permis de porter une voix francophone dans le monde entier et de donner une plus grande visibilité à des travaux en français. Pour moi, il s’agit d’une réalisation des plus importantes, et croire en cette mission aujourd’hui demeure essentiel : la science se vit aussi en français et GpQ aura été un agent important de la coexistence linguistique en science.

Malgré cette fin que l’on pourrait qualifier de prématurée, il y de quoi être fier d’avoir mené GpQ aussi loin à l’échelle internationale. Les réalisations sont celles d’une communauté scientifique solidaire qui aura cru à la mission que la revue s’était donnée. Il nous faut reconnaître et remercier les artisans qui ont forgé la revue et ceux qui l’ont maintenue avec énergie et enthousiasme pendant 32 ans. En tout premier lieu, soulignons le travail remarquable des rédacteurs qui ont veillé à ce que la revue acquière et maintienne son sceau d’excellence scientifique : Michel Allard, Jean-Serge Vincent et enfin Pierre Richard (qui aura été à la barre de la rédaction plus de vingt ans). Leur professionnalisme, leur vision et leur sagesse auront conduit le contenu scientifique au plus haut niveau. Ces rédacteurs ont fait le don d’eux-mêmes pour la collectivité des chercheurs en sciences de la Terre, un don que l’on se doit de saluer bien bas. Les rédacteurs ont pu compter sur un groupe de rédacteurs associés qui a eu à coeur l’excellence scientifique et le traitement équitable des manuscrits. Je les remercie pour leur aide précieuse et leur travail impeccable. Pour les appuyer, nous avons toujours pu compter sur des secrétaires de rédaction dévoués et diligents. C’est une chance exceptionnelle. Le rôle de Nicole Carette du début de la revue jusqu’en 1999 aura été marquant pour donner à la revue un style rigoureux et une facture originale. Elle a dû nous quitter au moment où l’Université devait réduire les postes. Par la suite, Marc Delage, Luce Venne-Forcione et Sophie Roberge ont pris le relais et se sont investis avec énergie et sans compter. L’équipe de rédaction a fourni un effort indéfectible et je les remercie. Sans leur travail de tous les jours dans des conditions souvent précaires notamment sur le plan salarial, la revue n’aurait jamais eu le succès qu’elle a connu. J’aimerais souligner l’apport des Presses de l’Université de Montréal qui a toujours su épauler la direction et livrer un produit d’une superbe qualité aux abonnés et chercheurs. Enfin, une revue dépend en tout premier lieu de ses auteurs et de ceux qui évaluent les manuscrits. GpQ a maintenu son sceau de qualité grâce à des auteurs remarquables qui y soumettaient leurs meilleurs travaux et aux examinateurs qui évaluaient ces travaux. Sans leur effort et leur dévouement, rien de ce que l’on a produit ne se serait réalisé. Je les remercie d’avoir donné à la revue le meilleur d’eux-mêmes.

En tant que directeur de la revue depuis 1995, j’ai le sentiment du devoir accompli. GpQ a joué un rôle prépondérant dans l’émergence des sciences de la Terre au Québec et ailleurs, et on doit en être fier. En répondant à l’appel du temps et à la volonté d’une communauté scientifique, la revue a relevé un très grand défi. On peut dire qu’elle a rempli sa mission. Les connaissances accumulées dans GpQ n’ont pas perdu leur actualité ni leur pertinence. La longévité de la tranche de savoir que lègue GpQ à la communauté et à la société est maintenant assurée par le biais d’Érudit. GpQ demeurera toujours une oeuvre collective marquée par l’excellence.

Avec mes remerciements les plus sincères,

André G. Roy
Directeur