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Dans ce deuxième numéro spécial sur la géomorphologie fluviale, nous retrouvons cinq articles qui couvrent un large spectre de problèmes hydrogéomorphologiques à diverses échelles. Le trait commun de ces articles est qu’ils préconisent la convergence d’une variété d’approches et de méthodes pour résoudre des problèmes fondamentaux et appliqués. Les exemples qui illustrent les propos des auteurs proviennent surtout de la France, mais aussi d’Afrique. Il s’agit d’un ensemble de contributions originales qui soulignent le large éventail thématique qui est abordé par la communauté des géographes francophones.

L’article de Liébault et Clément présente des mesures sur le transport en charge de fond dans les torrents de montagne de la Drôme. Une des particularités de ces cours d’eau est leur réponse hydrologique rapide aux événements pluviométriques et l’aspect soudain et parfois catastrophique des épisodes de transport en charge de fond. Ce sont des rivières dont la dynamique intense est difficile à documenter. Les auteurs ont eu recours à une gamme de méthodes indirectes, simples et peu coûteuses pour mesurer les déplacements de particules et pour déterminer les conditions-seuil de mobilité. Leur étude a permis de montrer que l’utilisation de ces techniques donne des résultats robustes qui confirment le dynamisme de ces torrents.

Suit l’article de Blanchon et Bravard sur le fleuve Orange en Afrique du Sud, un système complexe qui se caractérise par son imprévisibilité hydrologique et morphologique. Les rivières en milieu subtropical ont été très peu étudiées jusqu’à maintenant et le fleuve Orange n’échappe pas à ce constat. Le cours d’eau a aussi subi les impacts de barrages qui modulent son régime hydrologique et sédimentaire. Un des paradoxes qui marque le système fluvial de l’Orange est l’apparente stabilité des formes et des bancs alluviaux. Les auteurs avancent et discutent trois hypothèses pour expliquer cette apparente stabilité : un effet des changements qui tarde à se manifester, une compensation entre les effets des grands aménagements et des interventions à l’échelle locale, et la théorie de la catastrophe qui suggère que deux états d’équilibre sont possibles. Suite à une description précise des formes fluviales et à l’analyse d’une séquence de photographies aériennes et d’autres documents historiques depuis 1937, les auteurs montrent le rôle déterminant des grandes crues qui entraînent des changements marqués dans les formes du lit. La morphologie répondrait donc à deux types d’équilibre selon l’ampleur des crues.

Maillet, Raccasi, Provansal, Sabatier, Antonelli, Vella et Fleury proposent une étude détaillée des transferts sédimentaires dans le Bas-Rhône depuis le 19e siècle. Il s’agit d’une zone-clef du transfert des sédiments entre le bassin-versant du Rhône et la Méditerranée où se forme un delta important à l’embouchure du fleuve. Par un assemblage de données directes et indirectes, les auteurs ont réussi à dresser un bilan sédimentaire, à établir les contributions des différents compartiments et à identifier les discontinuités dans le transfert des sédiments. Il s’agit d’un travail remarquable de reconstitution historique des apports dans un grand système fluvial qui a subi des impacts anthropiques majeurs. Bien que le bilan comporte des marges d’erreur liées à la disparité des données, les résultats de l’étude montrent que le Bas-Rhône a été un lieu de rétention sédimentaire marqué par l’exhaussement de la plaine au 19e siècle avant de devenir un milieu permettant le transit de la majeure partie des flux solides vers la Méditerranée. La charge sédimentaire a aussi diminué et le bassin marin ne reçoit plus que 30 à 40 % des apports qu’il recevait au siècle dernier. Cette étude vient en partie confirmer mais surtout raffiner le schéma qui prévalait jusqu’à maintenant.

À l’heure où les cours d’eau font de plus en plus l’objet d’interventions publiques, la communauté des chercheurs doit se pencher sur le développement et le test d’outils d’analyse qui permettent de caractériser et d’évaluer l’état du système fluvial. Les deux derniers articles de ce numéro portent sur l’hydrogéomorphologie, méthode qui a été appliquée à la cartographie et la caractérisation des cours d’eau en France. Dans une première contribution, Beaufrère, Dabos et Rebillard font un retour sur l’expérience mise en oeuvre dans le bassin de l’Adour-Garonne suite à la mise en place de la politique communautaire dans le domaine de l’eau en Europe. L’article décrit en détail le protocole utilisé et en évalue la performance.

Par ailleurs, Ballais, Chave, Delorme-Laurent et Esposito examinent l’hydromorphologie en relation avec l’inondabilité des cours d’eau. Les inondations sont un problème important en France parce qu’elles causent des dégâts se chiffrant à plus de 150 millions d’euros par année. Les auteurs utilisent la méthode hydromorphologique pour caractériser les zones inondables en lien avec les formes de la plaine alluviale. L’étude distingue la dynamique des petits cours d’eau d’ordre 1 et 2 qui est très affectée par les versants de celle des grands cours d’eau marquée par la présence des lits mineur, moyen et majeur (ordinaire et exceptionnel) et de terrasses. La méthode permet de déterminer la limite externe de la plaine inondable qui est très importante lors de crues de forte ampleur.

Ces articles ajoutés à ceux du premier numéro (vol. 60, no. 3) forment un ensemble très fort qui, sans être exhaustif, illustre la vitalité de la recherche sur les processus fluviaux dans la francophonie. Nous remercions les auteurs pour leur remarquable contribution à l’avancement de la géomorphologie fluviale. Nous sommes convaincus que les deux numéros sont un important jalon et qu’ils témoignent éloquemment du dynamisme des chercheurs dans le domaine.