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Cet ouvrage collectif est le produit d’un colloque tenu à Londres en 2007 sous l’égide de l’Institute for the Study of the Americas de l’Université de Londres. Il regroupe huit textes de qualité, chapeautés par une introduction qui tente de donner une cohérence au projet. Elle constate la redondance et la pauvreté, au Canada anglais, des débats concernant l’histoire nationale : sa possibilité, sa nature, son intention, son écriture, l’écho qu’elle est susceptible de trouver dans l’espace public, etc. Trop souvent, prétendent les directeurs du volume, la discussion tourne à la guerre des tranchées, chaque parti campant sur ses positions théoriques et se contentant de dénigrer le travail de l’adversaire. À cette barbarie académique, Dummitt et Dawson aimeraient substituer « a healthy and dynamic exchange of ideas about the future of Canadian history ». C’est donc à dépasser par le haut les apories de l’opposition entre histoire sociale et histoire politique (pour aller vite) que les contributeurs ont été invités.

Selon la pyramide des âges universitaires, il s’agit de « jeunes » historiennes et historiens (entre 35 et 45 ans environ), ce qui donne inévitablement, et indubitablement intentionnellement, à l’ensemble un caractère de manifeste générationnel, un genre qui impose de se démarquer de la pratique de la génération précédente. Un sociologue y relèverait des stratégies de positionnement usant du vieux ressort moderne de l’avant-garde (on verra plus loin que la réaction en est une forme), mais on me permettra de passer outre la critique facile des lieux communs de la contestation pour livrer un aperçu des propositions elles-mêmes : le sérieux avec lequel la majorité des auteur(e)s travaille à redessiner le chiton de Clio offre des perspectives d’une valeur authentique. D’autant qu’il serait injuste de prêter à tous les participants des prémisses qui appartiennent peut-être aux directeurs du projet seulement.

Magda Fahrni, dans un texte intelligent, signale la progressive disparition du Québec dans le récit historique canadien, « as though Quebec had already left the federation », et rappelle que la recherche québécoise sur l’histoire du Québec est bien vivante. Elle cherche les raisons du manque d’intérêt manifesté par les collègues du Canada anglais pour nos travaux et se propose de leur montrer que le développement d’études qui tiendraient compte du Québec représenterait une bonne occasion d’inscrire l’historiographie canadienne, d’une manière originale, dans le concert international qui valorise l’examen des comparaisons, des réseaux et des circulations ; une proposition qui vaudrait du reste également pour notre propre solitude.

Michel Ducharme recommande une relance de l’histoire intellectuelle du Québec et du Canada par l’usage de références et de cadres supranationaux. Sa contribution est l’occasion d’un rappel efficace des commencements de l’histoire atlantique, mais évoque les quelques figures canadiennes pionnières avant d’illustrer son propos à partir du cas de l’interprétation des idées politiques durant la période de l’Amérique du Nord britannique. La démarche atlantique posséda, dès son origine, deux versants. L’un permettait le dépassement des fixations nationalistes en signalant l’intensité des échanges et des hybridations et incluait l’ensemble des populations qui partagèrent cet espace (y compris donc les sociétés amérindiennes et africaines), mais l’autre conduisait à un néo-chauvinisme qui consistait à marquer l’excellence et la cohérence de la culture de l’Atlantique Nord issue de l’expansion des pays de l’Europe occidentale.

Si le regard postcolonial d’Adele Perry, en faisant de l’Empire une idéologie transnationale qui forge les nationalismes mâles et blancs du Canada, contribue à entrevoir comment une nouvelle histoire culturelle de nos romans nationaux pourrait émerger en posant la nation elle-même comme un problème, le surprenant projet d’Andrew Smith, qui imagine un répertoire des bienfaits du colonialisme britannique, suggère un grand saut en arrière. En un bel exemple de comparatisme adapté à l’objet, Katie Pickles propose quelques pistes stimulantes pour diagnostiquer la maladie des historiographies nationales en en passant trois (Canada anglais, Nouvelle-Zélande et Australie) sous son microscope : elle découvre un mélange malsain d’insécurité par rapport à la valeur du travail produit et d’esprit de clocher. Les approches transnationales seraient selon l’auteure, qui ne se cache pas la difficulté de la démarche et les impasses théoriques qui existent de ce côté aussi, le meilleur remède pour sortir de l’ornière déprimante de l’histoire nationalo-centrique. Paradoxe d’historiens postnationaux qui cherchent une voie originale pour l’historiographie nationale sur la scène scientifique internationale.

Steven High reproche aux historiens du social d’avoir reproduit dans leur pratique un modèle autoritaire qui installe le spécialiste dans une position de surplomb par rapport aux sociétés qu’il commente. Il milite pour une écriture démocratique et collaborative des récits sur le passé, attitude qui aurait été particulièrement empêchée au Canada par une profession fondamentalement conservatrice, jalouse de ses prérogatives et comme génétiquement positiviste.

Michael Dawson et Catherine Gidney posent une autre question classique en métahistoire : celle des limites dictées à la connaissance par l’usage des périodes. Ils dénoncent l’habitude des historiens du XXe siècle canadien de ne pas assez chercher de causes aux effets qu’ils constatent en amont de la période qu’ils étudient. On sent ici un désir d’élargir la perspective dans le temps qui correspond assez logiquement à celui de prendre du recul par la pratique transnationale.

On pourra apprécié que les directeurs aient voulu, dans une formule très XVIIIe siècle, « cultiver la discussion » (p. XV) en accueillant dans un volume des propositions diverses (quoique dans l’ensemble fort compatibles). On pourrait en outre les soupçonner d’une moins noble intention, celle de portraiturer la génération porteuse d’un projet historiographique estampillé par Christopher Dummitt comme étant celui de l’inclusiveness en une troupe de praticiens dogmatiques. En effet, selon ce dernier, les épisodes récents des luttes académiques au Canada anglais doivent être pensés comme le résultat d’un antagonisme entre une approche from below, dont l’objectif est l’intégration citoyenne des dominés par la légitimation universitaire de leur mémoire, et une histoire élitiste, politique et militaire. Le militantisme des historiens et historiennes de l’inclusiveness les rendrait incapables de participer à des échanges raisonnables sur une question aussi sensible que l’avenir de l’écriture de l’histoire canadienne. Au contraire, la génération suivante – génération du trans/sub/post/inter/néo national – aurait renoué avec les antiques vertus du débat d’idées et proposerait ce livre pour preuve de sa salutaire différence. Je me demande si la plupart des auteurs n’ont pas été embarqués malgré eux dans cet équipage quelque peu présomptueux.

Quoiqu’il en soit, le volume m’a semblé être le signe tangible et positif du fait que la recherche canadienne était elle aussi bien engagée dans le mouvement international de désenclavement des historiographies qui est la marque de l’époque. J’ai apprécié le sérieux avec lequel la plupart des auteurs ont livré la commande, de sorte que les textes offrent une succession de bilans bien ficelés qui seront utiles, en particulier pour les étudiants des cycles supérieurs et pour quiconque désire un panorama, même partiel, des tendances actuelles en histoire du Canada, surtout anglais, des dernières années.

Je note encore que l’histoire écrite en français au Québec est toujours positivement présentée, lorsqu’elle est mentionnée. Cet hommage cependant sert surtout à faire une nouvelle fois la morale aux historiennes et historiens canadiens-anglais quinquas et sexagénaires de l’inclusiveness, accusés de frilosité théorique comme d’indifférence à l’endroit des études de leurs collègues francophones.

Finalement, cet ouvrage est-il bien celui d’une génération ? On serait tenté de le croire puisque, au-delà de la diversité des intérêts et des regards, des points évidents de ralliement émergent et sonnent comme autant de critiques des prédécesseurs : volonté d’échapper au présentéisme, au local, au national et dans certains cas au social, au carcan du label même de canadianiste jadis porté comme un étendard. Cette génération s’affiche en quête de distance, désireuse d’un long traveling arrière qui l’aiderait à se dégager de l’idéologie de la modernité pour mieux découvrir, dans notre monde, les traces d’influences culturelles hérétiques venues d’ailleurs, ou d’hier.