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Des militantes pacifistes aux travailleuses sociales, des mesures prises en faveur des mères célibataires à la transformation de l’assistance publique, du travail des domestiques noires à celui des infirmières visiteuses : nombreuses sont les voies par lesquelles Mothers of the Municipality a choisi de rendre compte des contributions apportées sur le plan social, par et pour les femmes, dans la région métropolitaine d’Halifax.

L’ouvrage, fruit d’un projet de recherche collectif mené par une équipe d’historiennes spécialisées en histoire des femmes et des Maritimes, a le mérite d’aborder la région métropolitaine d’Halifax, peu étudiée. Il traite d’une période importante dans l’histoire des politiques sociales, celle qui va de l’après-guerre jusqu’au début des années 1970, caractérisée par des transformations majeures dans la foulée de l’émergence de l’État-providence. L’ouvrage compte dix chapitres, en plus d’une solide introduction où sont présentés les paramètres du projet de recherche à l’origine du recueil et les quatre principaux thèmes qui le traversent : le militantisme et l’engagement des femmes sur le plan social ; les répercussions du développement de l’État dans la vie des femmes ; la sécularisation des institutions sociales ; la militarisation consubstantielle à la période de la guerre froide, cette période étant surtout évoquée en toile de fond.

L’engagement des femmes est d’abord examiné à la fois dans les groupes de femmes, les associations bénévoles et les organisations professionnelles. Le premier chapitre (Judith Fingard) dresse un état des lieux, plutôt descriptif, des différents organismes ayant milité en faveur de la promotion des droits des femmes et de leur évolution durant la période couverte par le livre. La croissance des services sociaux et leur impact dans la vie des femmes sont abordés à partir de l’étude d’agences provinciales tel le Nova Scotia Department of Public Welfare (Jeanne Fay) ou municipales, à travers la transformation des pratiques d’assistance sociale liées d’abord à la Poor Law (Janet Guilford). Des articles traitent également des relations complexes et des tensions entre organismes de charité privés et publics comme dans le cas des « maternity homes » (Suzanne Morton) ou de l’aide à l’enfance autour de la Children’s Aid Society (Shirley Tillotson), ou encore des services de garde aux enfants. La contribution des femmes dans l’élaboration des politiques sociales ou dans leur mise en application est aussi examinée, tout comme l’apport de certaines professionnelles, comme dans le cas des infirmières de la St. John Ambulance Home Nursing Program (Frances Gregor). À travers l’ouvrage, il nous est donné d’en apprendre plus sur l’histoire d’Halifax, une ville très tôt marquée par un processus de désindustrialisation, aggravée par l’explosion de 1917 ; une ville aussi caractérisée par la présence significative des forces armées canadiennes, un des principaux créateurs d’emplois à partir de 1921.

Le titre du recueil, Mothers of Municipality, veut souligner la variété de significations que peut prendre le terme de mères, tout comme la diversité des réalités que recouvre le mot. Le terme Mothers est aussi utilisé pour évoquer le rôle crucial qu’a continué de jouer le maternalisme au-delà de la première vague du féminisme du tournant du xxe siècle, comme idéologie et comme mouvement voués à l’amélioration des conditions de vie des femmes. De même, les divers chapitres montrent bien à quel point les initiatives en matière d’assistance publique découlent des actions de tout un ensemble d’intervenantes, d’organisations charitables et philan-thropiques, d’organismes paragouvernementaux, d’agences privées, de bureaucraties provinciales. Mais au-delà de ce constat d’une variété de rôles et d’intervenants féminins, les articles du recueil ne se montrent pas très critiques à l’endroit du travail des femmes en matière sociale. Les auteures célèbrent et documentent les actions de ces femmes avec l’idée de révéler leur contribution, plutôt que d’examiner de manière critique leur travail.

Le terme Municipalities, pour sa part, fait écho à la volonté des auteures de l’ouvrage de mettre l’accent sur la ville d’Halifax et plus encore sur la municipalité régionale (la Halifax Regional Municipality), née en 1996 de la fusion de quatre municipalités. Mais ce second terme, contrairement au premier, n’est pas problématisé. On aurait aimé voir se dégager une vision plus globale de l’impact des actions de ces femmes dans le façonnement du milieu régional, comme le titre du livre le suggère. En lieu et place, on a une série d’études de cas sur la région métropolitaine qui en éclairent certes plusieurs facettes, mais sans suffisamment dégager de vue d’ensemble. Généralement de bonne qualité, les articles se superposent les uns aux autres, comme c’est trop souvent le cas dans des ouvrages collectifs. Or, comme ce recueil est tout de même issu d’un projet de recherche, on se serait attendu à ce que les auteures se dotent d’un cadre d’analyse ou de pistes communes qui leur auraient permis de faire des liens plus explicites entre leurs recherches spécifiques et le projet de l’équipe. On a certes d’un chapitre à l’autre des évocations ponctuelles qui renvoient à d’autres chapitres, mais celles-ci se résument à mentionner que tel organisme ou telle personne est aussi étudié dans tel ou tel autre chapitre, par exemple.

Il est à espérer que cet ouvrage encourage d’autres chercheurs à continuer leur exploration de la scène régionale et urbaine pour traiter de cette période majeure dans l’histoire de l’État-providence, trop rarement abordée à cette échelle.