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Il était une fois, en 1852, dans une seigneurie du Bas-Canada... C’est par ces mots qu’est accueilli le visiteur qui accède au site Internet Le village Prologue, destiné à un public varié, mais en bonne partie composé d’élèves du primaire et du secondaire. Au « village Prologue », on vous convie à « entrer dans les replis du temps et de l’espace ». L’espace, c’est celui d’une seigneurie fictive où se déroule la vie d’une petite société rurale bas-canadienne : la seigneurie Prologue (du nom de son seigneur). Le temps, c’est le milieu du xixe siècle. La période ciblée par les créateurs du site est fort intéressante, à la toute fin de l’ère seigneuriale dans la vallée du Saint-Laurent, à peine deux ans avant l’abolition du régime seigneurial (18 décembre 1854). C’est une seigneurie bien établie, au terme de deux siècles d’histoire seigneuriale, qui apparaît aux visiteurs et non une seigneurie des commencements du Régime français, en période de peuplement-colonisateur. Cela n’est pas dénué de sens, si l’on considère que l’enseignement de l’histoire au secondaire et au primaire, lorsque vient le moment d’aborder les seigneurs et le système seigneurial, tend encore bien souvent à évoquer la période initiale et à dépeindre une seigneurie dans une vision quelque peu édulcorée, souvent exclusivement en termes de droits et de devoirs. Le monde seigneurial idyllique de Philippe Aubert de Gaspé n’est pas toujours très loin... Ainsi, ce choix chronologique paraît judicieux. Reste à voir ce que les visiteurs du site rencontrent une fois pénétrés dans ce fameux « village Prologue ».

Le site est animé par la Fondation Village Prologue, un organisme sans but lucratif, dont l’origine remonte à la fin des années 1980, qui a pour principal objectif de favoriser et de promouvoir le développement de l’histoire, du patrimoine culturel québécois et de la langue française auprès d’une clientèle large, allant des enfants aux aînés. Depuis 2000, le site Web interactif « Le village Prologue » est au coeur même de la mission de cette fondation ; il est redevable à différents partenaires dont la Commission scolaire de Saint-Hyacinthe, le Rescol canadien et le ministère de l’Éducation du Québec. Si l’objectif est en soit fort louable, le contenu pose quelques problèmes intrinsèques à la structure du site, en lien avec les modes d’accès dans l’univers de cette seigneurie virtuelle. Au dire même des concepteurs, le projet n’a pas qu’une dimension :

Plusieurs activités peuvent être réalisées avec l’environnement du Village Prologue. Certaines sont organisées et coordonnées par l’équipe d’animation du « Village Prologue », d’autres sont suggérées ou imaginées par les enseignant(e)s et les élèves qui participent. Le « Village Prologue » est une sollicitation à l’imagination. Des gens de tous les âges s’y retrouvent pour y vivre des moments passionnants.

Or, le visiteur peut très bien découvrir les personnages, les lieux et certaines anecdotes au gré des clics de la souris, mais il risque de rester un peu sur son appétit dans la mesure où les activités du village Prologue s’adressent aussi (surtout) à des clientèles scolaires qui peuvent interagir avec les personnages du village (moyennant des coûts non négligeables). Dans le cadre d’activités d’apprentissage, avec l’aide des enseignantes et enseignants, les participants peuvent très certainement faire preuve d’imagination et aller au-delà du canevas de base, développant diverses « compétences », non seulement en histoire. Par exemple, le volet rédaction occupe une place centrale, par l’intermédiaire de l’activité de correspondance avec les personnages du village Prologue, tel qu’il appert d’un document acheminé aux commissions scolaires et disponible sur le Web :

L’activité centrale du site Internet est l’échange épistolaire entre les élèves et certains personnages de cette seigneurie [...] Le Village Prologue est présenté aux élèves comme une histoire interactive qu’ils peuvent modeler et transformer car en écrivant aux personnages, ils peuvent les influencer, changer leur quotidien, le temps d’une année scolaire...

Cependant, le visiteur « solitaire » qui arpente le territoire de la seigneurie Prologue se retrouve quelque peu déboussolé et risque de se désintéresser assez rapidement.

Il n’est pas dans notre intention de remettre en cause le travail considérable et l’imagination indéniable derrière ce vaste projet ; le territoire semble très réel (il y a même des numéros cadastraux), les dessins sont superbement réalisés (plus artistiques que virtuels d’ailleurs), les toponymes sont évocateurs et inventifs (étang des chats noyés)... Cependant, si elles peuvent fort bien accompagner et agrémenter un apprentissage de l’histoire, les informations contenues dans ce site demeurent le plus souvent partielles et les personnages sont parfois caricaturaux, même à la limite de l’anachronisme (coureur des bois, « infirmière », apprentie herboriste...). D’un point de vue strictement historique, on demeure un peu en surface, sans vraiment approfondir les notions de l’histoire seigneuriale. La seigneurie et ses diverses composantes territoriales sont présentes, mais semblent, à la limite, un prétexte à la mise en scène d’une galerie de personnages. Il s’agit d’une trame villageoise d’antan avec les clichés qu’elle suppose, sous une forme plus littéraire qu’historique. Le seigneur Prologue est bien sûr un personnage central de ce petit monde rural. On le présente d’ailleurs comme un homme aimable et, bien entendu, résidant de sa seigneurie, ce qui était dans les faits le lot d’une minorité des seigneurs laïques. Quant au meunier, on affirme qu’il fait une excellente farine et que les censitaires ont recours à ses services de bon gré. Sans aller jusqu’à présenter la seigneurie Prologue comme un carcan féodal et contraignant pour les habitants, on s’attendrait, surtout en choisissant une période aussi tardive que 1852, à ce que la question du monopole de la banalité, par exemple, soit évoquée de façon un peu plus nuancée. Le manoir, le moulin, la commune sont au nombre des lieux que l’on peut découvrir, tout comme l’église, diverses maisons et autres coins bucoliques du village.

Évidemment, les visiteurs du « village Prologue » auront peut-être envie de pousser plus loin et, surtout, les élèves guidés dans cette aventure par des maîtres dynamiques pourront sans aucun doute tirer profit de cet outil pédagogique alliant histoire, littérature et nouvelles technologies.