Article body

L’historien Marc Simard, spécialiste de l’histoire de l’Europe contemporaine et professeur d’histoire au Cégep Garneau depuis 1977, nous offre ce qu’il considère être une synthèse historique du mouvement étudiant québécois. Nous ne pouvons que saluer une telle intention, d’autant plus que notre compréhension de l’histoire de la jeunesse et des étudiants québécois s’est enrichie dans les dernières années avec les travaux de Louise Bienvenue, Nicole Neatby, Karine Hébert et Jean-Philippe Warren, pour ne nommer que ceux-ci. Partant de la théorie élaborée par Alain Touraine, Simard considère que le mouvement étudiant est un acteur sociopolitique ayant une identité, des adversaires et des enjeux qui lui sont propres. À l’instar d’autres historiennes et historiens, il choisit 1958 comme point de départ de son récit, année marquée par la première grève étudiante. Il poursuit son étude jusqu’au sommet sur l’éducation supérieure de 2013.

L’objectif de l’auteur est d’exposer les origines, le cheminement, les moments de continuité et de ruptures au sein du mouvement étudiant. Pour ce faire, il aborde une série de thématiques en lien avec son objet d’étude, en s’intéressant entre autres à ses modes d’organisation et d’action ainsi qu’à ses influences idéologiques. Ce faisant, il présente le contexte québécois, canadien et international ayant eu une incidence sur la naissance et le développement du mouvement, sur ses luttes et ses revendications. Tout en souhaitant que son livre soit « un premier outil de référence [...] relativement complet et fondé sur les méthodes de la science historique » (p. 1), Simard expose également sa posture engagée. Cherchant à situer le contexte de production de l’ouvrage, il met de l’avant son implication lors du conflit étudiant de 2012 comme « citoyen, analyste et acteur politique » afin de justifier ses « appréciations critiques », qu’il évite de tourner, dit-il, en « jugement de valeur ou en règlements de comptes » (p. 3). Lesquels ? L’auteur ne dit rien de plus à cet égard.

L’ouvrage est divisé en huit chapitres. Le premier, « Système scolaire québécois », couvre une vaste période allant de l’après-Conquête jusqu’à la création du réseau des cégeps et universités. Dans les chapitres deux à sept, le récit historique est abordé de manière chronologique jusqu’à 2013. Chacun des chapitres présente une structure semblable, qui commence par une sorte de mise en contexte s’étalant sur environ la moitié des pages. Subséquemment, l’auteur aborde les épisodes de confrontation (grèves) avec le pouvoir politique en signalant la formation des organisations nationales des étudiants ainsi qu’en abordant les thématiques jugées les plus pertinentes pour chaque période. Dans le dernier chapitre, l’auteur élabore davantage sa position contre la gratuité scolaire.

Simard part de la prémisse que le mouvement étudiant est avant tout « le fait des élites » en raison de la composition socio-économique des universités. Les institutions d’éducation supérieure constituent un outil de promotion sociale, « de sorte que de nombreux individus issus des classes moyennes inférieures et populaires leur doivent leur ascension » (p. 3). Là se trouverait la raison de l’adhésion de plusieurs étudiants de classes moins favorisées à la militance étudiante. De cette perspective, l’auteur considère que le mouvement étudiant participe à la « reproduction sociale » et n’est donc pas, contrairement à ses prétentions, « un vecteur de changement ». Malgré sa rhétorique progressiste, le mouvement ne défendrait en réalité que les intérêts des classes moyennes et supérieures « surreprésentées » dans les universités. Appuyé sur ces considérations, Simard définit les organisations étudiantes, toutes périodes confondues, comme des « mouvements corporatistes », centrés sur des revendications à caractère financier (p. 3-4).

On regrette que cet ouvrage ne repose que « partiellement » (p. 2) sur des sources. Ces sources sont majoritairement des articles de La Presse et d’autres journaux commerciaux imprimés ou électroniques « dénichés sur le web » (p. 2), des articles de revues étudiantes des années 2000 et des références Internet telles Wikipédia. L’auteur explique qu’en tant que professeur de cégep, il ne dispose « ni du temps [...] ni des ressources [...] pour mener la patiente quête dans les fonds d’archives des universités, des associations étudiantes ou des médias que requerrait ce type d’ouvrage » (p. 2). Par ailleurs, nous devons reconnaître que Simard s’appuie sur quelques études faites sur le mouvement étudiant, bien que pour lui, la plupart de ces travaux demeurent « soit partiels, soit partiaux » (p. 6).

L’ouvrage de Simard comporte de nombreuses difficultés tant théoriques que méthodologiques. D’une part, puisque l’auteur souligne l’importance de la question financière pour le mouvement étudiant, nous comprenons mal pourquoi il ne prend pas en considération les commissions Massey et Tremblay, deux forums publics importants pour saisir les processus de politisation des étudiants et de construction organisationnelle. Notons également l’absence d’une étude sur la presse étudiante et son rôle dans la construction du mouvement étudiant en tant qu’espace public de propagande, dans le sens habermassien du terme. Il est également problématique d’intituler le deuxième chapitre « Préhistoire et naissance du mouvement étudiant », alors qu’il se termine en 1967, quand le mouvement étudiant est déjà configuré et actif sur le plan sociopolitique et culturel. Il aurait été pertinent de développer davantage la période des années 1950 et de clore l’analyse avec la naissance de l’Union générale des étudiants du Québec en 1964. Par ailleurs s’il avait été pris en compte, l’épisode de la remise en question de l’éducation confessionnelle par le mouvement étudiant aurait permis à l’auteur d’éviter cette affirmation erronée selon laquelle il y avait « absence radicale de réflexions sur l’éducation » (p. 281). De plus, l’importance des concepts de syndicalisme étudiant et de travailleur intellectuel est certes soulignée, mais elle est toutefois réduite à un « artifice intellectuel » et à une « importation française ». Pourtant l’intégration de cette terminologie d’origine européenne à la réflexion québécoise a profondément imprégné un important travail endogène de redéfinition de l’identité étudiante à partir des années 1960.

D’autre part, Simard met de l’avant une caractérisation des étudiants en termes générationnels. Par exemple, il soutient que la génération Y est composée d’« enfants-rois ». « C’est la génération égo », soutient-il, inculte et vivant dans « l’abondance et dans la consommation outrancière » (p. 187). De toute évidence, de telles généralisations, formulées dans un ouvrage historique, relèvent davantage de la doxa que d’un effort théorique rigoureux pour caractériser les étudiants et leurs mouvements.

Les mises en contexte sont aussi problématiques. Une chose est de montrer l’interaction entre le contexte historique et l’objet d’étude, une autre est de développer de longues explications sur des enjeux nationaux et internationaux qui apportent peu aux objectifs de l’ouvrage. À titre d’exemple, le conflit palestinien aurait pu être traité plus succinctement au profit d’autres thématiques. Parmi ces thèmes négligés, notons simplement la question des femmes au sein du mouvement étudiant qui n’occupe que quelques paragraphes dans l’ouvrage. L’auteur aurait aussi pu traiter avantageusement de la question internationale à partir de l’engagement et du positionnement du mouvement étudiant sur les enjeux mondiaux. Un tel traitement aurait ainsi été plus complet et aurait empêché l’auteur d’affirmer que les étudiants québécois, « à l’instar de l’immense majorité de leurs collègues du continent américain », ne sont pas « très portés sur la chose internationale comme le montre l’étude de leur histoire » (p. 279). Qui plus est, la lecture de cet ouvrage laisse l’impression que le mouvement étudiant n’est pas un mouvement social en soi, mais qu’il est plutôt le fait d’élites ou encore le résultat de manoeuvres et de stratégies de groupuscules marxistes-léninistes, maoïstes ou souverainistes.

En somme, les raccourcis pris pour rédiger cette synthèse nous donnent l’impression qu’il s’agit davantage d’un livre d’opinion que d’un ouvrage historique « fondé sur les principes et les méthodes de la science historique » (p. 1). L’absence d’un corpus de sources substantiel, les raccourcis analytiques, les sauts temporels et les jugements de valeur de l’auteur ne manquent pas de soulever d’importants problèmes méthodologiques. Ainsi, cette synthèse aurait dû être présentée comme une réflexion ou un essai d’opinion entourant la question du mouvement étudiant québécois, afin de mieux comprendre la grève de 2012. L’ensemble prend donc surtout l’allure d’un éditorial à saveur historique visant à faire valoir un propos central : démontrer le caractère corporatiste du mouvement étudiant.