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Dans cet ouvrage, Renée Legris, professeure en études littéraires et spécialiste des fictions radiophoniques et télévisuelles, s’intéresse aux émissions dramatiques diffusées à la radio québécoise tout au long du XXe siècle. Elle y reconstitue l’histoire des différents genres dramatiques, de la première diffusion d’une pièce de théâtre à CKAC en 1923 à la production d’un radioroman mis en ondes à Radio Ville-Marie en 2008. Au fil de son argumentation, l’auteure démontre que les fictions radiophoniques sont à la fois un reflet et un témoin du contexte socioculturel changeant de la société québécoise.

Dans cette étude divisée en six parties, comportant au total 20 chapitres, et agrémentée de nombreuses photographies d’artisans de la radio, Renée Legris articule son propos de façon thématique et chronologique. Après avoir présenté l’origine des dramatiques radiophoniques et leur réception critique, elle traite de l’évolution des différents genres dramatiques et de leurs univers sonores, pour ensuite aborder les principaux thèmes exploités dans les radioromans et les dramatisations historiques selon les époques. Elle conclut le tout en discutant de la place particulière occupée par les femmes dans les productions dramatiques.

La spécialiste amorce son analyse en mettant en évidence les affiliations et les interactions entre le théâtre et la radio dans la programmation de la station CKAC au début des années 1920 et dans l’émergence d’une production théâtrale nationale. Ensuite, elle indique que les premières dramatiques, diffusées dans les années 1930, prennent la forme de sketchs qui servent de laboratoire et de tremplin à de nombreux auteurs québécois. Ces sketchs donneront naissance à de nombreux genres d’oeuvres radiophoniques, souvent dénigrées par les critiques littéraires, dont les très populaires radioromans qui connaissent un immense succès à partir de la fin des années 1930. Dans les années 1970 et 1980, malgré le déclin des radioromans, des sketchs, des dramatiques par épisodes et des dramatiques historiques, les radiothéâtres perdurent dans la programmation radiophonique et font de cette période, selon l’auteure, un âge d’or de la radio. Malgré certaines initiatives originales dans les années 1990, le radiothéâtre ne survivra pas à l’avènement du XXIe siècle ; ce type de production étant définitivement retiré de la programmation de Radio-Canada en 2001.

Laboratoire d’écriture pour des générations d’auteurs, la radio a également été un lieu unique et incomparable d’expérimentation du son. Puisque « à la radio tout est son », Renée Legris consacre plusieurs chapitres à discuter de l’univers sonore des dramatiques radiophoniques en traitant de la musique, des effets sonores, du bruitage et des voix des comédiens et des comédiennes. Par l’entremise d’exemples variés, elle montre de quelle façon la force évocatrice de la musique et du son, et l’évolution de leur esthétique, participe directement à la construction des récits narratifs. Elle souligne également qu’en se dotant d’une signature sonore particulière, les radioromans et les dramatiques ont durablement imprégné la mémoire collective des auditeurs.

Soucieuse de ne pas laisser sombrer dans l’oubli près de 80 ans d’histoire de créations littéraires radiophoniques, Renée Legris démontre par la suite en quoi les radioromans et les dramatisations historiques, en particulier, sont le reflet de l’évolution des valeurs socioculturelles du Québec des années 1930 aux années 1970. À travers la trame narrative et l’univers sonore de ces récits imaginaires se déploie une société québécoise notamment marquée par le passage de la ruralité à l’urbanité, les rapports sociaux de classes, un conflit mondial et l’effort de guerre, l’affirmation des revendications féminines et féministes ainsi que le recul de l’ascendance de l’Église catholique. En raison de leur forte popularité, les dramatiques radiophoniques représentent un important outil de diffusion − voire de propagande idéologique – des valeurs sociales, religieuses et politiques servant de repères dans un monde en transformation.

Alors que les médias traditionnels sont, encore de nos jours, reconnus pour perpétuer certaines inégalités dans les rapports sociaux de sexe notamment en favorisant le masculin et les valeurs qui lui sont associées, Renée Legris soutient que la radio a davantage été ouverte aux femmes et aux enjeux reliés aux identités féminines. Phénomène trop peu étudié que la présence des femmes dans les médias, l’occasion était belle de faire valoir leur place comme auteures, réalisatrices, comédiennes et personnages dans la production des dramatiques radiophoniques. Cette présence marquée des femmes à la radio aurait permis, selon la spécialiste, de faire la promotion des progrès de la condition féminine et de la diversité des rôles des femmes dans la société.

L’ouvrage se termine avec le constat qu’à l’aube du XXIe siècle, hormis quelques initiatives spontanées, les dramatiques radiophoniques, dont plusieurs genres avaient déjà disparu, n’ont tout simplement pas été en mesure de survivre aux transformations des contextes de production et de réception, aux nouvelles pratiques socioculturelles et aux changements technologiques de l’espace médiatique.

Le remarquable travail d’érudition réalisé par Renée Legris n’est cependant pas exempt de quelques imperfections. La construction de la démonstration, très habile et solide dans son ensemble, donne parfois lieu, surtout dans les deux premières parties, à des répétitions dans le propos et à de longues énumérations de noms et de titres d’oeuvres qui demanderaient une analyse plus développée ou, du moins, une mise en contexte plus formelle. De même, certaines observations sur le son et sur la place des femmes dans l’univers radiophonique, énoncées à divers endroits dans le livre, auraient eu avantage à être insérées dans les sections dédiées à ces thématiques afin de recentrer la progression de l’argumentation et d’éviter les impressions de redites. Enfin, étant donné les liens évidents entre les fictions radiophoniques et télévisuelles, l’absence d’une discussion sur l’impact de l’arrivée de la télévision dans les changements des pratiques socioculturelles de l’auditoire québécois, et peut-être sur l’écriture des dramatiques diffusées à la radio, a de quoi surprendre.

Somme toute, grâce à cet ouvrage, qui témoigne d’une très grande maîtrise du sujet, les dramatiques radiophoniques ont enfin leur synthèse et une base solide pour d’autres études à venir, contribuant ainsi, souhaitons-le, à assurer leur pérennité dans la mémoire collective. D’autant plus que l’intérêt pour la formule du radioroman semble toujours présent, comme l’indique le prix de la meilleure émission accordé à la série Le temps des colombes diffusée à Radio Ville-Marie en 2008. Il reste à espérer que la télévision québécoise et les fictions télévisuelles fassent bientôt l’objet d’une synthèse de cette envergure et d’un plus grand intérêt de la part des chercheurs.