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Écrire sur Adrien Arcand peut s’avérer un exercice périlleux. Près de cinquante ans après sa mort, ce dernier continue de faire couler beaucoup d’encre en raison de ses idées et de la vision du monde qu’elles sous-tendent. Journaliste antisémite, anticommuniste et profondément catholique, Arcand demeure une figure controversée identifiée au Parti national social chrétien (PNSC) qu’il établit au Québec durant l’entre-deux-guerres. Toutefois, ce serait une erreur que de limiter son étude à cette simple dimension.

Fruit d’une recherche documentaire minutieuse, l’ouvrage d’Hugues Théorêt permet de mieux comprendre ce personnage à la lumière de son époque, de ses écrits, de son réseau de relations et de connaissances. Mariant l’approche biographique à l’histoire intellectuelle, l’auteur fait oeuvre utile en rattachant Arcand à un courant antisémite mondial. À travers sa correspondance, il esquisse les contours de la diffusion de ses publications hors des frontières et expose les liens unissant Arcand avec les organisations fascistes américaines ou anglaises, ces dernières ayant une influence capitale sur lui.

Adrien Arcand fait bande à part des figures politiques de sa génération. Si les conséquences de la Grande Dépression et la présence de juifs dans les secteurs économiques similaires au Canada français ont servi de toile de fond à un antisémitisme « socioéconomique », celui d’Arcand ne peut se comparer à ceux des Lionel Groulx ou André Laurendeau.

Son antisémitisme n’est pas que circonstanciel. Bien qu’il soit impossible d’en tracer avec exactitude les origines, Hugues Théôret fournit quelques pistes intéressantes. Arcand puise son inspiration autant dans la vieille judéophobie catholique que dans les écrits d’Édouard Drumont (1844-1917). À la lecture du livre, on sent d’ailleurs l’influence qu’exerce la religion chez lui.

À travers la dizaine de chapitres que compte l’ouvrage, l’auteur retrace le parcours d’Arcand au sein des multiples organisations qu’il fonde. D’abord, il institue l’Ordre patriotique des Goglus, puis met sur pied le PNSC avant de le transformer en Parti de l’Unité nationale du Canada (PUNC). Exposant leurs structures complexes, l’auteur traite de leurs organes de diffusion et de la culture politique qui en émane. Une attention particulière est accordée au travail de propagande. Cet aspect est bien rendu, surtout grâce à l’étude des nombreux journaux et brochures produits par Arcand. Le chapitre à propos du pamphlet la Clé du Mystère explore comment cette publication a circulé dans les milieux antisémites en Europe et aux États-Unis avant et après la Seconde Guerre.

À travers l’examen de sa correspondance, Arcand a pu être rattaché à un réseau de connaissances oeuvrant dans la mouvance d’extrême droite. Il sera fortement inspiré sur le plan organisationnel par les fascistes anglais et conserve des liens avec les antisémites britanniques tout le long de sa vie. Bien qu’il soit également fasciné par Hitler, Arcand puise ses influences ailleurs allant jusqu’à abandonner le svastika lors de la création du PUNC. De l’avis de l’auteur, il convient donc de nuancer cette image de « führer canadien ».

Son programme politique devient d’ailleurs plus corporatiste que fasciste. L’auteur définit habilement ces deux concepts et explore la résonance du corporatisme au Québec durant l’entre-deux-guerres. Dans une société aux prises avec une profonde dépression économique, cette politique se veut une alternative au capitalisme et trouve son nombre d’adeptes. Le projet que met de l’avant Arcand propose un corporatisme d’État axé sur l’unité canadienne et les valeurs chrétiennes. Cette formule se situe aux antipodes du corporatisme social promu par la majorité de ses partisans au Québec. Arcand poursuivra sa promotion du « corporatisme canadien » dans l’après-guerre lorsqu’il se portera sans succès candidat aux élections fédérales de 1949 et 1953.

L’ouvrage s’inspire largement du mémoire de maîtrise de l’auteur sur le militantisme et les écrits d’Arcand après 1945. Loin de remiser sa machine à écrire, ce dernier profite de la Guerre froide pour relancer ses idées antisémites, publier des fascicules et exploiter à fond l’anticommunisme. L’analyse en profondeur de cette période et d’À bas la haine, son testament politique, se veut un apport original du livre. Celui-ci se conclut avec une brève section concernant les débats historiographiques. Voilà une belle attention qui saura ravir les historiens et les étudiants curieux d’explorer le traitement du fascisme et de l’antisémitisme dans la littérature scientifique québécoise. L’auteur saisit l’occasion pour apporter quelques nuances à propos de la biographie d’Arcand écrite par Jean-François Nadeau (2010).

Comme le souligne Hugues Théorêt, il existe une certaine difficulté à établir avec certitude la pénétration des idées et des militants d’Arcand au sein du réseau institutionnel canadien-français. Il aborde au passage l’« affaire Tissot », et le rôle qu’a joué l’Ordre de Jacques-Cartier dans cet épisode de l’histoire outaouaise. Il aurait été intéressant d’examiner cet aspect plus en profondeur, surtout dans la foulée des travaux de Denise Robillard sur la Patente.

Somme toute, voilà une solide étude sur Adrien Arcand. Passer du mémoire de maîtrise au livre aurait pu s’avérer un exercice périlleux, mais l’auteur a réussi à contourner ses nombreux pièges. Généreux envers ses sources, il a su s’intéresser à un sujet complexe en évitant les raccourcis et les formules-chocs.